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La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - no5 - vol. III - octobre 2000
DOSSIER THÉMATIQUE
et des registres du sida aux États-Unis ne permet pas non plus de
tracer un parallélisme entre l’incidence du sida et celle du can-
cer anal de façon homogène dans tous les États d’Amérique (4).
En résumé, si ces données épidémiologiques affichent de façon
indiscutable l’augmentation de l’incidence des cancers de l’anus,
le rôle de différents facteurs carcinogènes rend l’approche phy-
siopathologique de plus en plus nécessaire.
ARGUMENTS PHYSIOPATHOLOGIQUES
En première approximation, il faut distinguer le facteur méca-
nique de l’inflammation chronique. La conception classique
d’attribuer aux hémorroïdes, fistules ou fissures anales, un rôle
favorisant dans la survenue du cancer est probablement à aban-
donner. Plusieurs études prospectives ou cas/témoins (3, 5) enlè-
vent toute responsabilité aux lésions chroniques (à l’exception
des condylomes) et l’étude danoise (6) ne signale aucun risque
particulier pour le cancer anal chez les 651 patients atteints de
maladie de Crohn et les 509 atteints de RCH qui ont été recen-
sés dans un registre de 68 549 patients.
Par analogie avec les cancers génitaux chez la femme, beaucoup
d’auteurs ont rapproché la localisation anale à celle du col uté-
rin pour évoquer un mécanisme étiopathogénique commun. Ainsi,
les femmes aux antécédents de cancers génitaux de type histolo-
gique “épidermoïde” semblent avoir trois à cinq fois plus de
risque de faire un cancer de l’anus qu’un cancer de l’estomac ou
du côlon (3). Le programme de surveillance mené aux États-Unis,
qui concerne les sujets à risque, indique un risque relatif (RR) de
4,6 pour le cancer anal et de 5,6 pour celui du vagin chez les
femmes aux antécédents de cancer du col utérin par rapport au
risque attendu pour l’âge (7, 8). En revanche, l’irradiation pour
cancer du col n’augmente pas ce risque. Ces cancers ont deux
caractéristiques communes. Ils surviennent sur une muqueuse
épidermoïde et ils sont statistiquement associés aux MST. Parmi
celles-ci, les infections par HPV occupent, une fois de plus, une
place importante (9), car elles sont fréquentes, à l’origine de
lésions macroscopiques facilement repérables de type condylome
et elles peuvent induire des lésions histologiques prédisposant
au cancer comme une dysplasie de haut grade (DHG).
LE VIRUS DU PAPILLOME : HPV
Cette classe de virus touche beaucoup de vertébrés. Ces virus indui-
sent des lésions épithéliales bénignes appelées verrues ou condy-
lomes. L’HPV était considéré comme bénin chez l’homme
jusqu’au début des années 1980. Depuis lors, les premières obser-
vations épidémiologiques rapportant l’association de HPV-cancer
du col chez la femme ont modifié cette conception. Ce virus à ADN
n'est pas cultivable et donc extrêmement difficile à étudier. Il infeste
des cellules différenciées. L’ADN viral est parfaitement connu et
le génome de certains types d’HPV est capable d’assurer l’immor-
talisation de lignées cellulaires (10). Il s’agit essentiellement des
types 16 ou 18, dits oncogènes alors que les types 6 et 11, retrou-
vés le plus fréquemment dans les condylomes bénins, ne peuvent
induire une telle immortalisation. Le génome bactérien est à double
brin, circulaire et composé de 8 000 paires de bases (11).
Les liens cancer du col-HPV ont fait soulever l’hypothèse de
l’implication de l’HPV dans la genèse du cancer anal. L’HPV est
la cause de certaines lésions dysplasiques intraépithéliales et de
leur transformation en DHG. Ce virus est particulièrement répandu
chez les patients infectés par un autre virus, celui du VIH.
VIRUS D’IMMUNODÉFICIENCE ACQUISE HUMAINE (VIH)
Frisch et al. (2) ont détecté l’ADN d’HPV dans 88 % des can-
cers anaux, et plus fréquemment chez les sujets co-infectés par
le virus d’immunodéficience acquise humaine (VIH). Le VIH
favorise indiscutablement le développement des condylomes et
d’autres lésions dues à l'HPV, mais le rôle propre du virus reste
controversé. Selik et Rabkin (12)ont estimé que les hommes entre
25 et 44 ans ont 60 fois plus de risque de mourir d’un cancer de
co-infection par le VIH. De plus, Melbye et al. (13) ont rapporté
un RR de 63,4 pour le cancer anal chez le patient atteint du sida
par rapport à la population générale (3, 9).
Au-delà de la caractéristique commune de ces infections qu’est la
transmissibilité par voie sexuelle, on estime que le VIH est capable
de favoriser le développement des lésions induites par HPV, en
diminuant l’immunité systémique ou tissulaire (figure 1). En effet,
on a clairement démontré que les DHG et les HPV de type onco-
gène sont plus fréquemment retrouvés chez les patients VIH posi-
tifs avec un titre de lymphocytes circulant CD4 inférieur à 200
par millilitre. De même, les cellules présentant des antigènes (cel-
lules de Langerhans) sont moins nombreuses dans la muqueuse
du col infestée par l’HPV, chez les femmes atteintes du sida que
chez les normocompétentes (14-19). De plus, au cours du traite-
ment par les antiviraux (anti-VIH), les HPV oncogènes (types 16
et 18) disparaissent beaucoup plus tardivement (figure 2) de la
muqueuse anale ou génitale que ceux de type bénin (types 6 et
11), ce qui témoigne à la fois de la virulence de ce type de virus
et du délai plus long d’infection de la muqueuse (20).
Figure 1. La muqueuse anale du sujet atteint du sida est marquée par
une altération de l’immunité tissulaire.
Noter la nette diminution des cellules immuno-marquées par l’anticorps
anti-CD1a qui caractérise les cellules de Langerhans, présentatrices
d’antigènes, chez un patient atteint du sida (a) comparée à un sujet
immuno-compétent (b) ; (photo x 250).
ab