Ariane Nantel Comment la philosophie

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Ariane Nantel Comment la philosophie sous­tendant la rythmique Jaques­Dalcroze sied à l’éducation musicale spécialisée des individus présentant une perte auditive, à la lumière de la Phénoménologie de la perception de Merleau­Ponty Article pour les JFREM 2009 Faculté de musique Université Laval Mai 2009
i Table des matières Table des matières ­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­ i 1. La phénoménologie ­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­ 1 1.1 Maurice Merleau­Ponty (1908­1961) ­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­ 2 2. La pensée de Jaques­Dalcroze ­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­ 4 3. L’éducation musicale spécialisée auprès des apprenants présentant une perte auditive ­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­ 5 3.1 La perception de la musique ­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­ 5 3.2 La signification de la musique ­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­ 6 3.3 Les implications pour le musicien éducateur ­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­ 7 4. Conclusion ­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­ 9 Bibliographie ­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­ 11
1 1. La phénoménologie La phénoménologie soutient que les façons dont les choses se présentent à notre perception et à notre conscience donnent un bon aperçu de leur nature et de leur valeur essentielle. Les phénoménologues considèrent que la réalité humaine est beaucoup plus riche et plus complexe que ce qui peut être véhiculé par une théorie abstraite, puisqu’une telle théorie est en soi réductrice (Bowman, 1998). On doit à Edmund Husserl (1859­1938) la fondation de la phénoménologie comme courant philosophique. Celle­ci a été conçue en réaction à l’empirisme et au rationalisme. Trouvant que la philosophie s’éloignait de sa vocation première, Husserl souhaitait établir une méthode de questionnement qui éviterait la réduction de la philosophie à la psychologie ou à la logique, et qui ramènerait les questionnements rationnels dont elle se réclame à des sujets pertinents à l’ensemble de l’humanité (Bowman, 1998). La phénoménologie d’Husserl est purement descriptive et non pas théorique. Au lieu de se fier à des constructions théoriques abstraites, la phénoménologie décrit la manière dont le monde se révèle ou se présente à la conscience. Plutôt que de mettre de côté des vérités potentiellement importantes parce qu’elles n’entrent pas dans le moule des hypothèses théoriques ou catégorielles d’un système d’analyse donné, Husserl cherche à décrire l’expérience le plus possible. Contrairement à la tendance qu’a l’empirisme à traiter la conscience comme s’il s’agissait essentiellement de réponses mécaniques à des impressions sensorielles, la phénoménologie accorde une place centrale à la capacité de transformation conceptuelle du mental. De plus, contrairement à la tendance du rationalisme à attribuer la signification ultime de la conscience à sa capacité de construire des abstractions, la phénoménologie respecte le caractère unique de ce qui est perçu par un individu (Bowman, 1998).
2 1.1 Maurice Merleau­Ponty (1908­1961) Après Husserl, on trouve quelques philosophes ayant abordé la phénoménologie, comme Sartre, Michel Henry, Martin Heidegger et Merleau­Ponty. Ce dernier conserve la dimension fondatrice qu’Husserl conférait à la perception sensible. Il cherche à « dégager la figure originaire du perçu par­delà les objectivations et les idéalisations qui s’y sont sédimentées » (Greisch et Barbaras, 2000, p. 1410). Comme tous les phénoménologues, Merleau­Ponty est un philosophe du sens. Si le titre de sa thèse Phénoménologie de la perception (1945) peut laisser supposer qu’il s’agit d’abord d’un ouvrage qui concerne la psychologie, celle­ci n’en est pas le souci principal (De Waelhens, 1998). Bien que la psychologie soit le terrain sur lequel Merleau­Ponty choisit d’engager le débat, sa référence aux données de cette discipline a pour but de s’interroger sur une question qui n’est plus du ressort du psychologue […] et qui peut se formuler ainsi : les données de la psychologie étant ce qu’elles sont, quel statut d’être faut­il conférer à la subjectivité qui les anime, comme à la réalité à laquelle cette subjectivité permet d’accéder? (De Waelhens, 1998, p. 1045). Si Merleau­Ponty dit peu de choses qui concernent directement la musique, sa pensée est tout à fait intéressante pour un musicien – ainsi que pour un musicien éducateur – puisque son insistance sur le rôle central du corps et sur l’expérience perceptive est riche en implications dans le domaine musical (Bowman, 1998). Pour Merleau­Ponty, le corps et l’esprit sont indivisibles. Le corps ne peut jamais être vu comme un objet puisqu’il n’est pas possible pour une personne de s’en départir. Ainsi, l’expérience qu’une personne a de son corps nie la possibilité de séparer le sujet de l’objet et donc de séparer l’esprit du corps (Merleau­Ponty, 1976; Juntunen, 2004) : « as our primary instrument of knowledge, [the body] perspective is an inextricable part of everything we know » (Bowman, 1998, p. 260). En ce sens, on peut donc dire que le
3 savoir objectif n’existe pas puisqu’il est toujours teinté de la perception de chaque individu. Merleau­Ponty soutient également qu’on perçoit avec tous nos sens en même temps : « (…) la perception naturelle (…) se fait avec tout notre corps à la fois et s’ouvre sur un monde intersensoriel » (Merleau­Ponty, 1976, p. 260­261). « [Les] sens communiquent dans la perception comme les deux yeux collaborent dans la vision » (Merleau­Ponty, 1976, p. 270). Merleau­Ponty considère qu’on connaît le monde d’abord à travers notre corps, qui fait un avec notre esprit. Notre premier mode de connaissance passe donc par le corps. Seulement ensuite survient la réflexion. « La réflexion ne peut jamais faire que je cesse de percevoir le soleil à deux cents pas un jour de brume, de voir le soleil « se lever » et « se coucher », de penser avec les instruments culturels que m’ont préparé mon éducation, mes efforts précédents, mon histoire » (Merleau­Ponty, 1976, p. 74­75). Ainsi, notre expérience passée du monde intervient également dans notre perception. Par ailleurs, notre perception étant à la base de notre compréhension du monde qui nous entoure, la réflexion qui pourra survenir par la suite sera influencée par celle­ci. Même si Merleau­Ponty ne les énonce pas comme telles, il existe des implications assez évidentes de tout ceci en philosophie de la musique. En effet, la signification de la musique ne peut que d’abord passer par la perception. La compréhension de la musique qu’a un individu ne peut pas être séparée de la perception qu’il a de celle­ci (Bowman, 1998). Analysis and abstraction can never supplant the rich, embodied meanings that inhere in the perceived musical surface. Just as importantly, in Merleau­Ponty’s account of knowledge, musical meanings are not less substantial because of their untranslatable, bodily nature. For all knowledge ultimately rests upon the same perceptual and bodily foundation (Bowman, 1998, p. 263).
4 2. La pensée de Jaques­Dalcroze (1865­1950) Jaques­Dalcroze est un musicien­pédagogue suisse connu pour sa méthode d’enseignement de la musique que l’on nomme rythmique Jaques­Dalcroze (Eurhythmics en anglais). La rythmique Jaques­Dalcroze est davantage une approche pédagogique qu’une méthode en tant que telle puisqu’elle renvoie « à une pensée qui définit moins un chemin qu’elle ne suscite des moyens de le parcourir, quel qu’il soit » (Bachmann, 1984, p. 37). La rythmique demande à être considérée comme un moyen, plus précisément comme un moyen d’établir des liens entre des pôles opposés de l’être, soit le corps et l’esprit, qu’elle tente de réconcilier grâce à la musique, qui devient un agent d’unification. La rythmique sollicite, de la part de l’individu, la manifestation instinctive et spontanée de ses rythmes corporels, en même temps qu’elle fait appel à toutes ses capacités, simples ou complexes, isolées ou associées. Pour cela, elle se sert de la musique ainsi que de l’espace environnant dans lequel l’individu peut effectuer des mouvements et des déplacements corporels. À travers eux seront découvertes les lois qui règlent les rapports de l’énergie, de l’espace et du temps (Bachmann, 1984). On remarque certaines similarités de pensée entre Dalcroze et Merleau­Ponty. En effet, le premier soutient que la musique n’est pas entendue par l’oreille seule, mais par tout le corps. Il rejoint ainsi Merleau­Ponty qui dit qu’on perçoit avec tous nos sens à la fois. De plus, de la même manière que Merleau­Ponty considère qu’on connaît le monde d’abord à travers notre corps, Dalcroze cherche à développer, chez les apprenants, la compréhension de la musique à l’aide de tout le corps. Si Dalcroze est marqué par la dualité corps/esprit, une notion philosophique tenace à son époque, il tentera toutefois de les réunir, voire de les faire fusionner. C’est la musique – et plus précisément le rythme – qui jouera le rôle « d’agent de liaison » entre le corps et l’esprit puisqu’il n’y aurait pas une seule des facultés humaines qu’elle ne soit à même de solliciter. La rencontre entre l’esprit, le corps et la musique qui les réunit s’opérerait dans le mouvement. En effet, le son serait en soi une forme de mouvement. De son côté, la constitution du corps serait conçue pour le mouvement. Quant à l’esprit, il serait lui aussi
5 mouvement si l’on fait référence aux sentiments qui seraient des mouvements de l’âme ou si l’on parle de la mobilité de la pensée. Selon Dalcroze, seul le rythme pourrait répondre à la fois aux exigences de l’esprit et aux possibilités naturelles du corps, et ainsi remplir le rôle de réconciliateur recherché, puisque celui­ci est à la base de toutes les manifestations vitales (Bachmann, 1984). De plus, le rythme est expression individuelle : « la même action exécutée par deux personnes différentes aura une durée, une importance, une signification différente selon le rythme personnel qui la sous­tend » (Bachmann, 1984, p. 24). On voit donc que Dalcroze rejoint Merleau­Ponty, pour qui le corps et l’esprit ne font qu’un, puisqu’il cherche la fusion entre les deux. Dalcroze considère que l’éducation musicale s’adresse à tous et chacun. En effet, il remarque « [qu’]autrefois, l’étude de la musique était réservée à un petit nombre de « prédestinés », que leurs aptitudes spontanées ainsi que le milieu favorable dans lequel ils évoluaient désignaient plus ou moins précocement à l’attention de maîtres chargés de les instruire dans la profession de musiciens » (Bachmann, 1984, p. 104). À l’époque de Dalcroze, et c’est également le cas aujourd’hui au Québec – du moins lorsqu’une école choisit d’inscrire la musique plutôt qu’un autre art à son programme – la musique est inscrite au programme scolaire. Les enfants qui fréquentent ces écoles n’ont pas à faire la preuve d’aptitudes particulières dans le domaine de la musique. L’éducation musicale ne s’adresse donc plus à une minorité, mais bien à tous (Bachmann, 1984). 3. L’éducation musicale spécialisée auprès des apprenants présentant une perte auditive 3.1 La perception de la musique Les gens présentant une perte auditive perçoivent le monde sonore différemment des gens dont l’audition est normale et même différemment entre eux. En effet, la courbe d’audition varie selon le degré de perte auditive et selon où se situe cette perte auditive dans l’échelle des fréquences. Leur perception du monde sonore est donc altérée.
6 Selon la pensée de Merleau­Ponty et celle de Jaques­Dalcroze, un individu perçoit la musique avec tous ses sens. Même si la perception auditive est altérée pour ceux atteints d’une forme de surdité, les autres sens, intacts, sont tout de même impliqués dans la perception de la musique. Bien que, si on les compare à des gens dont l’audition est intacte, les individus qui présentent une perte auditive voient leur perception de la musique « altérée », il n’en demeure pas moins que pour ceux­ci, dans l’esprit de la Phénoménologie de la perception de Merleau­Ponty, le monde musical tel qu’ils le perçoivent est le monde réel pour eux. La perception qu’ils ont de la musique n’est pas « mauvaise », mais elle est sans doute différente. Quelqu’un qui a une surdité monolatérale ou asymétrique, par exemple, n’aura pas la même expérience de la spatialité du son que ceux dont l’audition des deux oreilles est similaire, l’espace jouant un grand rôle notamment dans certaines musiques du vingtième siècle, comme la musique électroacoustique. 3.2 La signification de la musique Inspirée de celle de Merleau­Ponty, la « phénoménologie appliquée » de Thomas Clifton étudie de quelle manière la musique se présente à l’expérience d’un individu. La définition même que Clifton donne à la musique implique la signification que celle­ci peut avoir pour un individu : « (…) music is the actualization of the possibility of any sound whatever to present to some human being a meaning which he experiences with his body – that is to say, with his mind, his feelings, his senses, his will, and his metabolism » (Clifton, 1983, p. 1). D’ailleurs, Clifton soutient que la musique est toujours signifiante pour quelqu’un puisque, sans la complicité d’une personne, aucune musique ne peut exister. Ainsi, pour Clifton, c’est la manière dont une personne expérimente les sons entendus qui en fait ou non de la musique, pour cette personne en particulier. La musique n’est pas qu’une chose de ce monde, mais une manière d’être signifiante et humaine, une façon d’expérimenter ce qui se trouve dans la connexion qui existe entre l’être humain et le son. Clifton évite ainsi de réduire la musique à une chose subjective ou objective. La nature et
7 la valeur de celle­ci prend racine dans l’expérience que les gens en font. (Bowman, 1998). Quelle peut donc être la signification de la musique pour une personne présentant un handicap sensoriel tel que la surdité? Même si on perçoit avec tous nos sens à la fois, la perception de la musique passe tout de même en grande partie par l’audition. Merleau­ Ponty parle de sens spécialisés dans un mode ou l’autre de la perception sensorielle (Merleau­Ponty, 1976). Comme on a vu que la signification de la musique ne peut pas ne pas d’abord passer par la perception qu’on en a, la surdité d’un individu pourra affecter la signification qu’il attribue à la musique. Cependant, comme on perçoit avec tous nos sens à la fois, les autres sens seront également mis à contribution dans la perception du musical et influenceront ainsi la signification de la musique qui sera construite. De plus, comme notre perception est également teintée de nos expériences passées, un individu qui présente un problème de surdité, mais qui a entendu parfaitement pendant des années, percevra la musique différemment d’un individu qui vit avec sa surdité depuis la naissance. Comme le soulève Bowman (1998), même si la signification de la musique est construite par un individu d’une manière toute personnelle selon son expérience, il ne faut pas oublier que cet individu vit en société et que son expérience personnelle est teintée d’influences sociales. Cela rejoint Merleau­Ponty (1976) qui signalait que notre perception était influencée notamment par notre éducation. C’est là que le musicien éducateur peut intervenir pour aider un apprenant à construire sa propre signification de la musique. 3.3 Implications pour le musicien éducateur Lorsqu’un enseignant en musique est confronté à un élève atteint d’un handicap sensoriel, il enseigne à quelqu’un qui perçoit le monde avec tous ses sens, l’un d’entre eux étant cependant atrophié. Lorsqu’il s’agit de surdité, c’est le sens spécialisé dans l’audition, directement impliqué dans la perception du musical, qui est affecté. Bien que chacun ait une perception qui lui est propre d’un même objet, la différence entre la
8 perception de la musique d’un enseignant possédant tous ses sens et celle d’un apprenant ayant un handicap auditif risque d’être encore plus marquée que s’il s’agissait d’un apprenant n’ayant pas cet handicap. On peut se demander dans quelle mesure cet enseignant peut enseigner la musique à un élève atteint de surdité et l’aider à construire une signification de la musique. Tout d’abord, il faut considérer que dans les déficiences auditives – comme dans les déficiences visuelles – tout n’est pas noir ou blanc. Il existe une infinité de niveaux de gris. Il faut comprendre, comme on l’a dit plus tôt, qu’il existe différents degrés de surdité et que, selon la courbe d’audition d’une personne, ce ne sont pas les mêmes fréquences qui seront affectées. Ainsi, on peut dire que chaque individu présentant une déficience auditive, qu’elle soit légère ou sévère, présente une courbe d’audition qui lui est particulière. Il n’est donc pas possible de présenter un modèle uniforme qui dit « voilà, c’est ainsi que les gens qui sont atteints de surdité entendent ». Les sourds ne vivent pas dans un monde de silence. Même un individu ayant une surdité dite totale, c’est­à­dire dont la perte moyenne est supérieure à 120 db (Bureau International d’Audiophonologie), ont ce qu’on appelle une audition résiduelle. Cependant, il existe une grande différence entre « entendre » et « écouter ». La perception de la musique implique, pour une grande part, une perception des sons. Un enseignant peut donc aider l’apprenant atteint de surdité à « apprendre à écouter », c’est­ à­dire à être attentif à sa perception des sons. Ensuite, l’enseignant peut aider l’apprenant à qualifier ses propres perceptions : ce que l’un et l’autre appelle « fort », par exemple, est différent pour chacun d’eux, à leurs oreilles. Toutefois, si l’enseignant montre à l’élève à jouer fort, l’élève comprendra ce qui est « fort » pour lui­même et produira le son demandé tel qu’il aura appris à le percevoir. Pour l’enseignant, le son produit par l’élève sera alors également fort à ses oreilles, bien que le résultat perçu pour l’un et l’autre sera différent. On comprend donc qu’à intensité réelle égale (intensity), l’intensité perçue (loudness) sera différente pour l’entendant et celui atteint d’une déficience auditive.
9 En musique, bien maîtriser les nuances sonores fait partie d’un bon jeu musical. Ici, la rythmique Jaques­Dalcroze serait une bonne approche pour l’enseignant qui souhaite aider un apprenant atteint d’une déficience auditive à qualifier ses perceptions relatives à l’intensité du son. En effet, comme tout le corps est impliqué dans la perception de la musique, on pourra solliciter tout le corps pour aider l’apprenant à saisir les nuances d’intensité. Lorsqu’une personne joue fort, le mouvement effectué pour obtenir le résultat sonore voulu est différent d’un jeu plus doux. De même, les yeux voient le résultat visuel de l’énergie physique utilisée. 4. Conclusion La phénoménologie est un courant philosophique fondé par Husserl. Elle est descriptive et non pas théorique, ce qui permet de ne pas mettre de côté des vérités potentiellement importantes qui n’entreraient pas dans le moule des hypothèses théoriques ou catégorielles d’un système d’analyse donné. De son côté, la phénoménologie de la perception de Merleau­Ponty reprend la dimension fondatrice qu’Husserl conférait à la perception sensible. Merleau­Ponty considère que le corps et l’esprit de l’individu ne font qu’un, que l’on perçoit avec tous nos sens à la fois et qu’on connaît d’abord le monde à travers notre corps. On remarque donc que la pensée de Merleau­Ponty rejoint bien celle de Jaques­Dalcroze qui tente de faire fusionner les dimensions corps et esprit d’un individu au moyen de la musique, qui considère que la musique est entendue par tout le corps et non pas seulement par l’oreille et qui cherche à développer la compréhension de la musique des apprenants à l’aide de tout leur corps. La perception des sons – comme celle de toute chose – est un phénomène qui est propre à chaque individu. Ceci est d’autant plus facile à concevoir lorsqu’on considère la différence de perception des sons possible entre un entendant et un malentendant. Selon Clifton, dont la phénoménologie appliquée s’inspire de la phénoménologie de la perception de Merleau­Ponty, c’est la manière dont une personne expérimente les sons qui en fait ou non de la musique. De la même manière, la nature et la valeur de la musique prend racine dans l’expérience que les gens en font.
10 Bien que la signification de la musique soit construite d’une manière toute personnelle par un individu selon son expérience, on peut aussi dire qu’elle est influencée par l’environnement social de celui­ci puisque l’expérience personnelle est toujours teintée d’influences sociales. En partant de ce constat, on peut donc dire qu’un musicien éducateur peut aider un apprenant, même malentendant, à construire sa propre signification de la musique puisque l’éducation est une des influences sociales auxquelles il est exposé. Finalement, on peut dire que la rythmique Jaques­Dalcroze convient bien à un enseignement spécialisé de la musique. Tout d’abord, Dalcroze a construit sa méthode d’enseignement en considérant que l’éducation musicale s’adressait à tous et chacun. Ensuite, la rythmique sollicite tout le corps pour favoriser la compréhension de la musique. Cela est d’autant plus pertinent lorsqu’il s’agit d’apprenants atteints d’un problème de surdité puisque l’ouïe, le sens spécialisé dans l’audition, est affectée. En affinant sa compréhension de la musique à l’aide de tous les sens sollicités, l’apprenant affine également sa perception de la musique. Puisque c’est avec la perception qu’il en a qu’il construit sa signification personnelle de la musique, on voit donc que cette approche peut contribuer à aider un apprenant atteint de surdité à construire sa propre signification de la musique.
11 Bibliographie Bachmann, M.­L. (1984). La rythmique Jaques­Dalcroze : une éducation par la musique et pour la musique. Genève : À la baconnière. Bowman, W. D. (1998). Philosophical perspectives on music. New York : Oxford University Press. Bureau International d’Audiophonologie. Classification audiométrique des déficiences auditives. Document électronique. http://www.biap.org/recom02­1.htm, page consultée le 19 janvier 2008. Clifton, T. (1983). Music as heard : A study in applied Phenomenology. New Haven; London : Yale University Press. De Waelhens, A. (1998). Maurice Merleau­Ponty. Dictionnaire des philosophes. (A. Michel, éd.). Manchecourt : Encyclopædia Universalis. p. 1045­1050. Granel, G. (1998). Edmund Husserl. Dictionnaire des philosophes. (A. Michel, éd.). Manchecourt : Encyclopædia Universalis. p.742­756. Granger, G. G. (2000). Rationalisme. Dictionnaire de la philosophie. (A. Michel, éd.). Manchecourt : Encyclopædia Universalis. p. 1592­1604. Greisch, J et Barbaras R. (2000). Phénoménologie. Dictionnaire de la philosophie. (A. Michel, éd.). Manchecourt : Encyclopædia Universalis. p. 1404­1416. Haward, L.W. et Ring, R. (2007). Jaques­Dalcroze, Émile. Grove Music Online (L. Macy, éd.). Document électronique. http://www.grovemusic.com, page consultée le 8 mai 2008. Juntunen, M.­L. (2004). Embodiment in musical knowing : How body movement facilitates learning within Dalcroze Eurhythmics. British Journal of Music Education, 21 (2), p. 199­214. Langer, M. M. (1988). Merleau­Ponty’s Phenomenology of perception : A guide and commentary. Gainesville : University Presses of Florida. Merleau­Ponty, M. (1976). Phénoménologie de la perception. Paris : Gallimard. Merleau­Ponty, M. (1989). Le primat de la perception et ses conséquences philosophiques. Grenoble : Cynara. Moore, B. C. J. (2003). An introduction to the psychology of hearing (5 e éd.). San Diego : Academic Press. Ortigues, E. (2000). Empirisme. Dictionnaire de la philosophie. (A. Michel, éd.).
12 Manchecourt : Encyclopædia Universalis. p. 501­521. Swaiko, N. (1974). The role and value of an eurhythmics program in a curriculum for deaf children. American Annals of the Deaf, 119 (3), p. 321­328.
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