TAux D`ActuAlisAtion DécroissAnts et cohérence temporelle Des

Rev.For. Fr. LX -4-2008467
Taux dactualisation décroissants
etcohérencetemporelle
desdécisionsdesylviculture
Jean-Philippe Terreaux
DES TAUX DACTUALISATION DÉCROISSANTS
Les décisions d’investissementen forêt(achatouventedeparcelles,alisation ounon de
travaux,decoupes…) sontle résultatderéflexions faisantintervenir implicitementouexplicite-
mentle long terme. Pourcomparer entre eux des flux derecettes etdedépensesquiaurontlieu
dans le futur,l’utilisation detechniques dactualisationsavère nécessaire. Mais duchoixdes
taux dactualisation dépendexplicitementle résultatdes calculs,cechoixdevantêtre paradoxa-
lementdautantplusaffiné,queles horizons temporels sontéloignés (eten conséquenceque
les anticipations surlefutursontplusfloues). Les forestiers ontainsi étéparmi les premiers à
travailler surcettequestion,notammenten abordantles questions dedurabilité(bien avantque
ceterme ne soitàlamode) etderentabilité(1).
Trop souvent,on confondactualisationetérosion monétaire dueàl’inflation. Cettedernière
brouille lacomparaison deflux financiers ayantlieuàdes dates différentes. Enoutre,l’inflation
peut avoir unimpactnon négligeable surledéveloppementéconomiquedes paysoùelle sévit.
Mais,sans vouloir en nier l’importance,pourdes questions desimplicité,etaussi àcause dela
quasi-impossibilitédanticiper les valeurs del’inflationsurles horizons temporels quinous
concernent,noustravailleronsdans lasuiteeneuros constants. Lactualisationresteunphéno-
mène différentetséparable,ettraduitle faitque,même si l’inflationestnulle,il n’estpaqui-
valentderecevoir uneuro aujourd’huioule même euro dans plusieurs décennies(2) .
Pardéfinition,le ccooeeffffiicciieennttddaaccttuuaalliissaattiioonnpermetdequantifier celaen traduisant,parune
simple multiplication,une recetteouune dépense delannée
N
,en euros daujourd’hui:
Valeurdelarecetteautemps présent=
montantdelarecetteàl’année
N
xcoefficientdactualisation
Lett aa uu xxdd aa cc tt uu aa ll ii ss aa tt ii oo nn ,en généralexprimé en %annuel,estle taux auquel décroîtcecoefficient,
une année donnée. Ainsi,pouruntaux constantentre l’année zéro (le présent)etl’année
N
,on
aura:
OUTILS ET MÉTHODES
(1) Lelecteurintéressé pourraparexemple se référer aux travaux dePeyron
etal
.(1998).
(2)Leproverbe
untiens vaut mieux quedeux tu l’auras
exprime familièrementcettedissytrie duprésentparrapportàl’avenir.
coeffic ientdactua lisa tion 1
1t aux d actua lisa tion+()
N
-------------------------------------------------------------------=
Certains se sontinqutés delaspectexponentiel delabaisse ducoefficientdactualisation en
fonction dutemps :ne risque-t-on pas,pourdes horizons suffisammentlongs,deneplustenir
comptedes recettes etdes dépenses dufutur,cequiseraitcontraire àlaprise en comptedes
intérêtsdes générations futures,nianten quelquesortel’espritdans lequel s’effectuentlaplupart
des investissementsforestiers ?
La tentation estgrandeidéologiquementdebasculer dans l’utilisation duntaux zéro,afin detenir
autantcomptedes générations futures quedes générations présentes. Celaconduitmalheureuse-
mentàunnon-sens,puisquel’on finiraitpartout investir pourles générations futures,en ne
consommantqueleminimumnécessaire àlasurvie,etcelajusquàlafin des temps. Quel serait
ainsi l’intérêtdetels investissements?Onseretrouveainsi dans une impasse méthodologique.
Demanière générale,seuls les projetsinduisantdes flux monétaires dontles valeurs actualisées
ontune somme positivepeuventêtre légitimementalisés (3) .Dans certains cas(parexemple la
recherche del’optimisation delavalorisation dune ressourcerare comme le sol forestier),on
maximiseralavaleuractualiséedes flux financiers,ousi celaestpossible etcorrespondmieux
auproblème posé,lavaleuractualiséedes utilités procues parces flux financiers.Toutefois,
l’étudedes projetsesten généralcomplexe. Les différentsaasontétévolontairementnégligés
dans cetarticle,qu’il s’agisse des aasduprojetlui-même (pourune plantation forestière,une
tempêtedétruisantles arbres),oudel’environnementéconomiquegénéral(une pression accrue
surlefoncier agricole etindirectementsurlefoncier forestier,une modification durégime
fiscal…).
Afin defaire unchoixentre les différentsprojetsproposés àunfinancementpublic, l’État,par
l’intermédiaireduCommissariatgénéralauplan(CGP)(4),afixéuntaux guidepourleuvalua-
tion àdes fins decomparaison :en 1971cetaux étaitde10%,puis 9%àpartir de1976,et
8%àpartir de1986.Ces taux relativementélevés permettaientainsi de“tenir compte” des
risques liés àlacroissancconomiqueetaux projetseux-mêmes.
LeCGP amodifié en 2005letaux conseillé pourles investissementspublics:le taux conseillé
estmaintenantde4à2%selon l’horizon considéré :4%pourles projetsjusquà30 ans (c’est-
à-dire àcourtterme),de4à2%,selon une fonction décroissantprogressivement,pourles
projetsjusquà500 ans(5).La formule suivantefaitpasser sans rupture cecapdes trenteans,
etconduitaugraphiquedelafigure 1(p. 469) quiillustre les taux conseillés jusquàenviron
150ans :
468Rev.For. Fr. LX -4-2008
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at4%sit30 an s;e tat104,30 102,t30
×
t–1sit30 an s .==
Mais,parallèlement,le CGP insistesurlacessitédemener correctementles études portantsur
les risques etincertitudes liés aux projetsconsidérés,eten passantmeten gardecontre la
tentation demanipuler les résultatspourjustifier telle outelle action.
Letaux présentésurlafigure 1(p. 469) etdonné dans laformule estle taux moyen surladurée
devie del’investissementsavoir quepourune durée devie de
n
années,c’estle taux corres-
pondantàl’année
n
quidoitêtre utilisé uniformémententre les années 1et
n
.Enfait,cette
formule compliquée traduitsimplementle faitqueletaux dactualisation marginalestde4%les
(3)L’intégration des externalités liées auprojet,positives ounégatives,évaluées surleplanfinancier,estl’objetdenombreux travaux
d’économie.
(4) DevenuCentre danalyse stratégiqueàcompter du6mars 2006.
(5) La Francen’estpasleseulpaysoùl’on conseille désormais dutiliser des taux décroissants:c’estle casaussi parexemple en
Grande-Bretagne :voir parexemple les directives duHM’s Treasury(2003). Les taux proposés sontde3,5%jusquà30 ans,puis
des taux décroissantsjusquà1%pourdes durées de300 ans etplus.
30 premières années,puis de2%les années suivantes (6).Cetteinterprétation permetde
modifier àlademandeces trois paratres (4 %,2%et30ans) en fonction des besoins précis
dugestionnaire.
Dans lasuitedecetarticle,nousprésentons en premier lieule problème decohérencetempo-
relle quepeut induire le choixduntel taux décroissant,puis commentlarésolution dece
problème amène àune conception unpeuplusréalistedelactualisation liée àl’évolutiocono-
mique. Ensuite,nousmontrons commentil estpossible demener simplementdes calculs surun
horizon infini,cessaire pourl’évaluation d’investissements,oulacomparaison d’options sur
des horizons différents. Enfin,nousillustrons l’importancedeces calculs surunexemple concret
dechoixd’investissement,avantdeconclure.
UN PROBLÈME DE COHÉRENCE TEMPORELLE
Unproblème importantdecohérenceapparaîtlorsquel’on estamené àprogrammer deréaliser
certaines actions,tout en sachantpertinemmentqu’elles ne le serontpas,même si aucuvéne-
mentimprévu ouaatoire ne se produit.Nousl’illustrons surdeux exemples. Demanière
générale,on retrouveracetype d’incohérencedans tout projetd’investissementdans uncontexte
oùil n’yapasdaa, etoùl’on utilise des taux dactualisation décroissants(7) .
Choixd’essencespour le boisementdune parcelle
Utilisons iciunexemple construitdemanière totalementartificielle pourmettre en évidencece
phénomène d’incohérencetemporelle. Supposons quaumomentdeplanter des arbres surunsol
nu,on aitle choixentre trois essences quel’on appellerapoursimplifier Pins (P, coltés à
30 ans),Hêtres (H, coltés à120 ans),etChênes (C, coltés à150ans). Demanière àpouvoir
Rev.For. Fr. LX -4-2008469
Outilsetthodes
F IGURE 1TAUX MOYEN DACTUALISATION CONSEILLÉ PAR LE CGP (2005)
POUR UN HORIZON ALLANT JUSQUÀENVIRON 150ANS
Taux d'actualisation
4%
2%
0%
050100 150 Années
années 30
(6)Ainsi avecces valeurs pourletaux dactualisation,1disponible lapremière année estéquivalentà(1,04)20 =2,19 dans
20 ans età1,0430 .1,02 10=3,95 dans 40ans.
(7)Enquelques mots,le “paradoxe” vientdufaitquedans uncasles flux financiers correspondantàdes actions dans unfutur
lointain sontactualisés avecuntaux marginalfaible,mais dans l’autre cas,une fois quecefuturestdevenuplusproche,le taux dac-
tualisation marginalutilisé estplulevé. Les scénarios sontainsi parfaitementdéfinis,mais l’origine des temps étantglissante,le
taux marginaldactualisation àune datedonnée n’estplusfixé,cequiestàlasourcedeceproblème d’inconsistance.
comparer l’occupation dusol surune même durée,on se propose d’évaluer les trajectoires
suivantes,quiimmobilisentle sol surune durée de150ans àcompter delaprise dedécision,
en supposantquelepropriétairedelaforêtpossèdedetoutefon le sol pourune durée infinie
(cepeut être parexemple l’État,pourles forêtsdomaniales quegère l’ONF):
PH(c’est-à-direune révolution dePins suivie dune révolution deHêtres),
C(une révolution deChênes),
PPPPP(cinq révolutions dePins),ou
HP(une révolution deHêtres suivie dune révolution dePins).
Ilsepeut très bien (8) qu’en utilisantuntaux dactualisation décroissant,on obtienne les inéga-
lités suivantes :
va
(PH)>
va
(C)>
va
(PPPPP)>
va
(HP),
où
va
estlavaleuractualisée delatrajectoirefigurantentre parenthèses.
Undécideurrationnel,en fonction des seuls élémentspcédents,vaainsi commencer parune
volutiondePins,programmantparlasuitederéaliser une révolutiondeHêtres. Mais une fois
les Pins récoltés,il se retrouveradans lasituation initiale,etvaainsi refaire ànouveauune
volution dePins. Autotal,surles 150ans,il feracinq révolutions dePins,alors qu’il aurait
puavoir demeilleurs résultatsavecune seule révolution deChênes.
C’est-à-direqueladécroissancedutaux dactualisationnepermetpasderéaliser le choixoptimal
dans cemodèle simple etdéterministe.
Choixd’opérationsculturales
Dans le guidedesylviculture pourlachênaie atlantiquedelONF (Jarret,2004),certaines opéra-
tions culturales sontpréconiséeslorsqueles arbres ontdes âges del’ordre de50à70 ans. Or,
il se peut très bien quecetype d’opération soitrentable avecuntaux dactualisation de3%
oumoins (donc, selon laformule,pourunfuturau-delàde60 ans),mais paspouruntaux dac-
tualisation de4%.Cequisignifie quel’on peut être amené àprévoir deréaliser cetype d’in-
tervention,dontpeuventdépendredifférentschoixsylvicoles dès aujourd’hui,puisqueavecles
taux proposés ces actions sontrentables,tout en sachanttrès bien quaumomentdeles réaliser,
elles ne serontplusrentables (parexemple si les bénéfices correspondantsontobtenusdans les
trenteannées suivantes,c’est-à-dire si ces bénéfices doiventêtre actualisés aumomentdela
alisation avecuntaux de4%).
INCERTITUDES ET DÉCROISSANCE DES TAUX DACTUALISATION
La solution àcetype deparadoxenepeut venir en aucuncasdecontraintes quel’on s’impo-
seraitpourrespecter le pland’investissementspvu initialement(dans l’exemple(8),s’engager à
planter des hêtres dans trenteans) si ceplann’estplusleplusopportun(dans uncadre déter-
ministe,comme ici,ou,en sortantducadre decetteanalyse,dans uncadre aatoire).
470 Rev.For. Fr. LX -4-2008
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(8) Continuons dutiliser cettemême formule devariation des taux proposée parleCGP etmontrons quecettesérie d’inégalités est
possible. Supposons parexemple qu’il n’yait,pourchaqueessence,quunmême coût deplantation supposé égalà300 /hapour
les trois essences etunrevenunetderécolte(valeurnon actualisée) de1000 /hapourlePin (30 ans après laplantation),de
8775/hapourleHêtre (120 ans après laplantation),etde16420 /hapourleChêne (150ans après laplantation).
Surlemême horizon de150ans,le calculdes valeurs actualisées (
va
)pourles différentes trajectoires conduitaux résultatssuivants:
va
(PH)=182/ha(c’est-à-dire pourune révolution dePin suivie dune révolution deHêtre)
va
(C)=181,5/ha
va
(PPPPP)=181 /ha
va
(HD)=180/ha.
Enrevanche,nouspouvons revenir aux fondementsdelactualisation. Böhm-Bawerk (1890)et
plustardRamsey(1928) proposentdedécomposer le taux dactualisationendeux parties :
—lapremière représenteletaux depréférencepure pourleprésentδ ,
—lasecondeestliée àlacroissancedel’économie,induisantune croissancedelaconsom-
mation parhabitantµ .
Eneffetsi lacroissancconomiquequel’on aconstatée aucours des derniers siècles etqu’il
estlégitime danticiper pourles décennies àvenir doitpermettre aux générations futures davoir
unniveaudevie plulevéqueles générationsprésentes,des préoccupationsd’équitéinter-
générationnelles,tournées cettefois-civers les générations présentes,devraientconduire àeffec-
tuer unpeumoins d’effortsd’investissementsactuellement.Autrementdit,lacroissanceanticipée
del’économie doitintervenir dans le choixdutaux dactualisation dontdépendentles investis-
sementsàaliser.
Finalement,une première décomposition dutaux adactualisationconduità
a=δ+µγ,
oùδestle taux depréférencepure pourleprésent,µestle taux decroissancedelaconsom-
mation parhabitantetγestl’élasticitédelutilitémarginale delaconsommation. Leterme µγ
constitue«l’effetrichesse ».
Gollier (2005) ajouteàces deux premiers élémentsl’épargne depcaution,quidoitêtre dautant
plusimportantequelefuturestincertain. Cettpargne depcaution,liée aux incertitudes
concernantl’avenir,doitconduire àaliser dautantplusd’investissements,etpartantàduire
le taux dactualisation,queces aassontimportants. Celaconduitàune décomposition en trois
parties :
Rev.For. Fr. LX -4-2008471
Outilsetthodes
ou le C
aδµγ 1
2
---γ2σ2,+=
oùσestlavolatilitédelacroissancedel’économie.
Notons quecettevolatilitéaugmenteavecle temps,c’est-à-dire queles prédictions surlacrois-
sancesontdautantplusimprécises quel’on travaillesurlelong terme. Decefait,rien n’em-
che le taux adactualisationd’être décroissantavecle temps. Denombreuses observations
empiriques (parexemple Cropper
etal.
,1994),c’est-à-dire surlecomportementdagentcono-
miques en situationréelle (etpasexpérimentale),avaientdailleurs mis en évidencecetaspect
décroissantdutaux dactualisation.
Les ordres degrandeurdeces différentes parties sontles suivants(cesontdailleurs ceux
retenusdans le rapportduCGP):δ1%,µ2%(mais très incertaine au-delàde30 ans) ;
γ2.Pourcequiconcerne l’effetdepcaution induitparl’incertitudesurlefutur,différents
argumentsontconduitle CGP àchoisir untaux dactualisation moyen quiautotalvarie de4%
à2%,cequiesten concordanceavecles différentstaux proposés dans lalittérature forestre.
Etlorsqu’onintègre explicitementles aassurlacroissancconomique,il n’yaen réalitéplus
deproblème d’incohérencetemporelle. Pourl’exemple développé précédemment,concernantle
choixd’essences dereboisement,lorsquel’on serl’année 30,une seule trajectoire d’évolu-
tion del’économie entre les années 1et30auraétéréalisée. Etil n’yauraplusd’incertitudesur
l’étatdelannée 30.Supposons quedes conditions identiques àcelles quipvalentactuelle-
mentsoientalors ànouveaudactualité:on recommenceraalors une plantation dePins. Suppo-
sons quelasituation soitdifférente(cequirestecohérentavecnos anticipations actuelles,car
lacroissancefuture estincertaine) :il estpossible qualors les Hêtres oules Chênes soient
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