1 DISTRIBUTION LE SOLEIL NI LA MORT… AU 11/04/08

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DISTRIBUTION LE SOLEIL NI LA MORT…
AU 11/04/08
Mise en scène et scénographie
Dominique Pitoiset
Texte
Conception dessins animés et marionnettes
Composition musicale
Wajdi Mouawad
Kattrin Michel
André Litolff
Avec
Nadia Fabrizio
Nicolas Rossier
Philippe Gouin
Et les manipulatrices
Inka Arlt
Patricia Christmann
Assistant à la mise en scène
Lumières
Bruitages
Son
Vidéo
Costumes
Maquillages
Conseil à la dramaturgie
Conseil scénographique
Noureddine El Ansari
Christophe Pitoiset
Dominique Aubert
Michel Maurer
David Dours
Odile Béranger
Cécile Kretschmar
Daniel Loayza
Bertrand Nivelle
Chef plateau
Construction décor
Accessoiristes
Régisseurs plateau
Régisseurs lumières
Régisseur son
Habillage
Stagiaire à la mise en scène
Nicolas Brun
Bruno Coucoureux
Marc Valladon, Marie Wild
Cyril Muller, Philippe Couturier
Denis Lamoliatte, Robert Mlakar
Mathieu Courel
Kam Derbali, Vanessa Ohl
Anette Hirsch
Production TnBA-Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine
En coproduction avec le Théâtre de la Ville-Paris
Avec l’aide du Fonds de soutien à la création contemporaine de la SACD
Création le 13 mai 2008 au TnBA
Le texte Le Soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face est publié aux Editions Léméac
chez Actes Sud.
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Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face
Entretien avec Dominique Pitoiset
Une histoire de regard
Dans la préface de son texte, qu’il a d’ailleurs intitulée “Le Rêve de Dominique”, Wajdi Mouawad
souligne que vous êtes à l’origine du projet. De votre point de vue, comment les choses se sontelles passées ?
Un projet théâtral, un acte de création, sont des voyages. On se lance dans une certaine direction,
et chemin faisant, tout peut changer, recevoir un autre éclairage. Ainsi de notre collaboration. Je
souhaitais depuis longtemps proposer à Wajdi d’écrire dans les lacunes et les interstices de la
tragédie grecque. Et pour cela, de conduire son exploration à partir de cette figure centrale qu’est
Œdipe. Centrale, parce qu’avec Œdipe, tel que je le conçois, le tragique devient inhérent au bien le
plus propre et le plus intime de l’être mortel, c’est-à-dire à sa propre conscience. Oedipe ne peut
s’empêcher d’enquêter sur ses origines, ne peut ni ne veut maîtriser l’énergie de son propre désir
de savoir. Il est le premier à se demander explicitement qui il est, le premier pour qui l’identité
fasse problème. Le premier enquêteur de soi. Et cette lucidité-là est peut-être inséparable d’une
cécité. A cet égard, l’antique roi de Thèbes, la puissance investigatrice de son intellect, se tiennent
au seuil de ce qui ouvrira la modernité de l’Occident…
Pourtant les ancêtres d’Œdipe venaient de l’autre côté de la mer…
Oui… Et ce paradoxe m’a toujours fasciné. Le premier d’entre eux, l’illustre et mystérieux Cadmos,
quitta les rivages de la Phénicie – ce même Liban dont Wajdi Mouawad est originaire – pour tenter
de retrouver sa soeur disparue, Europe ravie aux siens par un dieu métamorphosé en taureau.
Quand j’ai offert à Wajdi l’occasion de réinventer librement les destins et les générations qui ont
conduit jusqu’à ce point éblouissant où un homme se découvre meurtrier de son père, époux de sa
mère, frère de ses propres enfants, je savais qu’il rêverait à ce départ sans retour de Cadmos
l’exilé, dont la longue errance devait changer de sens en cours de route. Qu’est-ce donc que partir,
et partir sans se retourner ? Comment en vient-on à s’arrêter un jour, à se fixer pour tenter une
fondation ? Comment peuvent se concilier le nomade et le sédentaire, l’indigène et l’étranger,
quelles histoires ou quels mensonges sublimes ou sordides faut-il inventer pour faire admettre de
tels mélanges ?
Pour aborder ces légendes, est-ce que le théâtre grec vous a servi de point de repère ?
De point de départ, plutôt. J’avais rêvé d’un montage des oeuvres des trois grands Tragiques
autour du destin de la ville de Thèbes. Euripide, avec Les Phéniciennes, résume en une pièce tout
ce qui concerne Oedipe et sa descendance ; Eschyle et Sophocle, avec Les Sept contre Thèbes,
Antigone, Oedipe à Colone, fournissent des matériaux pour la conclusion… Mais par où commencer
? Ce qui m’intéressait, c’était la succession des générations en un même lieu. Or il se trouve
malheureusement que l’Antiquité ne nous a conservé aucune tragédie portant sur les destins des
ancêtres d’Œdipe, à commencer par son père Laïos. Et puis, comment concilier des langues, des
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styles aussi différents ? D’où l’idée de proposer à un auteur contemporain de s’emparer de ces
bribes de légendes et de les réinventer à sa façon. Et là, bien entendu, tout a commencé à se
transformer : remonter à l’enlèvement d’Europe, c’était forcément, pour Wajdi, en venir à poser
d’autres questions – celles du passage des frontières, celles de l’exil et de l’errance. Ou plus
largement, celles de l’Histoire que les hommes tentent de construire.
Le dispositif scénique est tout à fait particulier…
Sa conception remonte assez haut dans le projet. De façon générale, il est lié à l’intuition que le
théâtre grec, entre autres traits remarquables, a ceci de particulier qu’il fut lui-même une création.
L’invention dans la cité grecque du theatron, ce “lieu où l’on voit”, a été l’ouverture d’un plan de
visibilité, d’un dispositif d’exposition dans lequel inscrire et interpréter à nouveaux frais les
histoires de la cité. Et cela, afin de porter à un degré inédit de compréhension collective les actions
qui s’y déploient. Léonard de Vinci disait de la peinture qu’elle est cosa mentale ; il me semble que
ce plan et ce dispositif qu’invente le théâtre grec le sont également. Ils le sont, comme l’a montré
Jean-Pierre Vernant, au même titre que l’espace de l’écriture, de la géométrie ou de la démocratie
– une sorte de pur médium, un lieu ou un milieu de l’abstraction, dans lequel montrer, démontrer,
débattre. Un lieu public et accessible, en droit ouvert à tous. Ces espaces ou ces milieux, j’ai
toujours cherché à en interroger le fonctionnement, à explorer leur parenté profonde. Travailler la
matière grecque est donc pour moi l’occasion de réfléchir sur la mise en forme du champ visuel,
sur les rapports entre lisible et visible qui constituent l’opération propre des arts plastiques et du
théâtre. Cela dit, il y a aussi des raisons plus particulières qui expliquent les choix
scénographiques. Au sein du répertoire tragique, Œdipe est le personnage en qui la question du
regard, de ses pouvoirs, de ses limites, est ouvertement posée.
C’est un peu ce que vous aviez déjà tenté avec La Tempête. Vous aviez d’ailleurs proposé au public
d’imaginer un Prospero aveugle…
Comme Œdipe, c’est vrai ! Mais, là, j’avais travaillé à partir de la conception shakespearienne du
théâtre. J’avais essayé de faire en sorte que la magie du théâtre propose un reflet à la fois fidèle et
critique des pouvoirs surnaturels de Prospero. Cette fois-ci, en partant des Grecs, j’ai plutôt rêvé
d’une sorte de laboratoire d’anatomie ou de paléontologie.
Est-ce que le texte de Wajdi Mouawad se prête à un tel traitement ?
Il me semble bien que oui… Une mise en scène doit toujours provoquer une certaine résistance du
texte, et vice-versa. La trilogie de Wajdi est précédée d’un étonnant prologue, un récit mythique
conduit en mots très simples. Une voix nous y fait assister à une sorte de surgissement de
l’humain. D’après ce que dit la voix de ce prologue, il y a eu un temps, bien avant que l’Histoire ait
commencé à se dérouler, où un être a ouvert les yeux au milieu de la nuit. Voilà tout : il y a cet
événement premier qu’est l’éclosion d’un regard singulier tourné vers les ténèbres vides. Ou pour
le dire autrement, l’éveil soudain d’une conscience lucide surgissant dans le temps du sommeil.
Aussitôt, il y a présence et sentiment d’une présence, “celle d’une ombre cachée dans l’ombre”, dit
la voix, ou celle de “quelque chose d’immense” et qui n’a pas de nom, tapi dans l’obscurité. Et
donc, cet être qui ouvre les yeux, à l’origine, pose une question, la première : “Qui est là ?”, qui
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devient presque aussitôt : “Qu’est-ce qui me regarde ?” Comme si c’était l’origine elle-même qui
était question, élan de quête et d’interrogation, mais aussi regard aveugle ou invisible.
On retrouve la question du regard…
Exactement. Et elle ne nous lâchera plus.
Œdipe est donc au terme d’une aventure de la vision ?
Au terme ou au commencement. La naissance du regard et de la question, dans le poème de
Wajdi, sont inséparables de l’avènement de l’humanité – c’est-à-dire de ce mouvement inlassable
de recherche de soi qui constitue l’humain.
Ainsi, la trilogie de Wajdi Mouawad raconterait en quelque sort l’entrée de l’homme dans le
mouvement de l’Histoire…
Nous n’en avons pas parlé en ces termes, mais j’ai l’impression qu’il y a quelque chose comme
cela. Dès la fin du prologue, on paraît en effet entrer dans le temps de l’Histoire, ou des histoires.
Un temps désormais linéaire, haletant, précipité. Chacune des trois pièces est calquée sur les
errances d’un héros, et chacun semble doué, en tant que voyageur, d’un style propre. Cadmos est
celui qui n’aurait pas dû partir, et qui semble oublier en chemin le but qu’il s’était assigné. Il est
aussi celui qui apporte, au rivage où il aborde, une petite boîte contenant les lettres de l’alphabet.
Donc, c’est par lui que l’on sort de la préhistoire, et cela de la façon la plus littérale… Il a été un
enfant à qui une étrange vision a arraché des larmes ; un petit garçon qui a vu son père déchaîner
une violence inouïe et envoyer ses trois frères à la mort, puis qui l’a entendu proclamer dans son
désespoir qu’il n’y a pas de dieux. Etranger solitaire venu d’au-delà des mers, il croise sans trop le
savoir le divin sur sa route avant de devenir fondateur de cité. Mais ce qu’il fonde, une utopie ou
un mensonge, n’échappe pas aux lois de l’Histoire et du conflit. Laïos, son arrière-petit-fils, devra
fuir la cité où la guerre recommence entre étrangers et autochtones. Lui a été un enfant enfermé,
caché au fond d’un palais, coupé du monde sous prétexte de le mettre à l’abri. Il croit fuir droit
devant lui, s’exhorte à courir loin de Thèbes, loin de la mort ; arrivé chez Pélops, une fois encore il
veut s’échapper afin de ne pas succomber à une tentation atroce. Mais contrairement à son aïeul,
Laïos est celui qui ne peut s’empêcher de revenir sur ses pas : “cours, cours”, lui avait dit le devin
Tirésias, “ton chemin te ramènera ici”…
Et il retourne chez son hôte Pélops pour lui ravir son fils…
Oui… Puis il remonte sur le trône de Thèbes et provoque une guerre sanglante, sans comprendre
que “l’enfant”, comme l’a prophétisé le devin, est destiné à être sa perte. Oedipe, enfin, connaît
comme son père “la course de violence”. Il n’a qu’une idée : “ne pas revenir / ne pas se retourner /
ne pas regarder en arrière !”. Mais le fils de Laïos, qui croit fuir sans se retourner, revient en fait au
lieu de sa naissance et répète la course de son père. Alors qu’il s’imagine fuir droit devant soi, sa
ligne de fuite se révèle être un cercle, joignant la fin au commencement…
Mais où Œdipe a-t-il commencé ?
Où commence un cercle ?... Comme le dit Œdipe à la Sphinge : “Une question me regarde / La
réponse me regarde. […] Je suis ta réponse, / Monstre. […] C’est l’homme […] / Qui va vers son
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mystère / Et y retourne / D’homme en homme / Depuis la nuit de la nuit / Jusqu’au jour du jour. /
L’homme monstre l’homme !” Voilà la réponse d’Oedipe, et on ne peut pas ne pas y entendre un
écho de la toute première question, celle qui était posée dès le prologue, avant même que
commence l’errance de Cadmos. Si l’homme “retourne à son mystère”, ce mystère est celui de son
commencement… Oedipe est celui qui incarne au plus près le retour de l’homme à son origine, et
peut-être aussi le côté à la fois monstrueux et innocent de ce retour. Monstrueux, parce qu’Oedipe
est aussi un monstre, un être impossible qui ne devait pas être et pourtant qui est. Et innocent,
parce que bien entendu, il n’y est pour rien… Il est le premier de sa lignée dont l’être soit un
problème, et d’abord à ses yeux. Le contraste avec son père Laïos, qui se plaît à invoquer sa
“nature” pour justifier ses actes les plus ignobles, est tout à fait frappant à cet égard. Oedipe, lui,
est un être contre nature, point aveugle et point d’interrogation… Mais si l’homme est l’être qui a
partie liée avec son origine, alors Oedipe est humain entre tous, lui qui aura payé de ses yeux le
fait d’avoir peut-être entrevu “ce qui ne peut se regarder en face”, comme le revers obscur de la
lucidité humaine.
Propos recueillis par Daniel Loayza
le 22 mars 2008
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