Démystifier les maladies mentales Les troubles de l’enfance et de l’adolescence Auteurs : Dr André Gagnon et collaborateurs Éditions : Gaëtan Morin, Boucherville, 2001. Le titre de ce livre révèle pertinemment son contenu. En effet, le mérite premier de l’ouvrage réside dans le fait qu’il est rédigé dans un langage suffisamment vulgarisé pour en permettre une compréhension par des personnes non-expertes en la matière, mais en ne négligeant aucunement le souci impératif de respecter la complexité inhérente du domaine d’étude que sont les maladies mentales de l’enfance et de l’adolescence. En l’occurrence, le psychologue en relations humaines pourra y puiser un cadre de référence et des pistes de réflexion relevant davantage ici du champ de la pratique clinique, lequel s’avère souvent indispensable, à tout le moins complémentaire, au décodage des situations qu’il doit traiter, particulièrement s’il œuvre dans les secteurs des soins de la santé et de la relation d’aide. Enfin, la valeur heuristique des contenus abordés saura stimuler la réflexion autant du spécialiste que de l’étudiant en sciences humaines ou en sciences de la santé. Les dix-sept chapitres du livre couvrent un empan suffisamment étendu et exhaustif des principales dimensions entourant le domaine des maladies mentales de l’enfance et de l’adolescence. La structure schématique, suivie d’un chapitre à l’autre, assure une cohérence logique facilitant la lecture. De même, un équilibre judicieux est respecté, lorsqu’il s’avère nécessaire, entre l’abord des contenus d’une maladie particulière chez l’enfant, puis chez l’adolescent. Des vignettes cliniques complètent les troubles abordés, autorisant ainsi une vision synthétique chez le lecteur. Pour chaque trouble, on retrouve également les critères symtomatiques et diagnostiques selon le DSM-IV (American Psychiatric Association, 1994). Les quatre premiers chapitres couvrent des aspects fondamentaux qui assurent une vision à la fois élargie et précise du phénomène des maladies mentales chez les enfants et les adolescents. D’emblée, comme il se doit, les auteurs s’intéressent aux données classificatoires des troubles mentaux et articulent celles entourant leur prévalence. Le regroupement des troubles mentaux chez l’enfant et l’adolescent, décrit par les auteurs, respecte une rigueur méthodique facilitant la saisie des principaux registres symptomatiques observés au sein de cette tranche d’âge. On y présente le regroupement des troubles mentaux selon les quatre registres 194 Recension : Démystifier les maladies mentales symptomatiques que sont les symptômes émotionnels, comportementaux, somatiques ; le cumulatif des trois premiers registres formant le quatrième registre. Ce dernier représente les troubles les plus graves où toutes les catégories de symptômes se mêlent, comme dans la schizophrénie, les troubles bipolaires, les troubles du développement et le retard mental. Le chapitre deuxième se consacre à l’étude de l’évolution normale chez l’enfant. La qualité des auteurs retenus ici mérite d’être soulignée. Songeons aux visions de Mélanie Klein, Margaret Malher, Donald W. Winnicott et Daniel Stern qui sont présentées avec clarté et précision. Cette diversité ne favorise pas une perspective univoque ou hermétique de l’évolution normale chez l’enfant, mais nous convie au contraire à un décloisonnement des conceptions des maîtres penseurs de ce domaine. Ce chapitre est suivi de deux autres consacrés respectivement à la question de l’identité à l’adolescence ainsi qu’à l’évolution de la famille et des relations parentsenfants. Tout comme nous le rappelle le psychologue Richard Cloutier, dans son chapitre sur l’identité à l’adolescence, cette conception de l’adolescence est relativement récente dans l’histoire. Elle remonte à une centaine d’années. Concernant le chapitre sur l’évolution et les relations parents-enfants, c’est peut-être ici que les tenants d’un cadre systémique trouveront le plus d’écho à leur intérêt. En effet, un fragment important de ce chapitre est consacré au volet des situations particulières rencontrées dans ce contexte, suivi de différents types d’interventions familiales : modèle structurel, comportemental, psychoéducatif, etc. Ces deux chapitres sont adroitement chapeautés par les interrogations foncières soulevées par les changements psychiques, physiques et interpersonnels survenant chez l’enfant et l’adolescent dans son rapport à lui-même et avec son entourage. Tout comme pour tous les chapitres, les références et les lectures suggérées sont nombreuses et, dans l’ensemble, récentes et assez accessibles. Les treize autres chapitres, à l’exception de celui sur l’abus et la négligence chez l’enfant et celui sur les handicaps et maladies chroniques, sont plus particulièrement consacrés à l’étude des principaux troubles psychiatriques rencontrés chez l’enfant et l’adolescent. En l’occurrence, et à l’instar des auteurs, on ne peut qu’adhérer à l’idée de consacrer une portion indispensable du livre à l’abus et à la négligence chez l’enfant, phénomène qui apparaît tout aussi opportun qu’inéluctable dans un ouvrage voué à la démystification des maladies mentales. Cet aspect déplorable de l’abus et de la négligence, souvent laissé pour contre ou avancé succinctement dans maints ouvrages de psychopathologie et de psychiatrie, est traité avec toute la gravité qui s’impose et placé dans une perspective évolutive et pronostique. On y apprend notamment que le fait de prévenir la maltraitance et la négligence n’est pas une assurance de sauvegarde de l’intégrité de l’enfant. Que l’on soit en 2001, l’auteur du chapitre, le pédopsychiatre Bertrand-Philippe Tiret, nous interpelle en Interactions Vol. 5 no 1, printemps 2001 Recension : Démystifier les maladies mentales 195 disant que la protection des enfants en est encore à ses balbutiements. Entre autres, il note que les États-Unis et la Somalie n’ont toujours pas ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant promulguée le 20 novembre 1989. Les autres thématiques couvertes ont trait aux troubles anxieux et aux troubles de l’humeur. Elles couvrent également le phénomène du suicide, de l’autisme, des psychoses, le déficit de l’attention et l’hyperactivité, les troubles de conduites et les troubles alimentaires que sont l’anorexie mentale et la boulimie. Certains passages pertinents de ces chapitres nous éclairent grandement sur la dynamique de l’adolescent souffrant psychiquement. Par exemple, à propos des adolescents suicidaires, les psychiatres Patricia Gravel et Johanne Boivin insistent sur la très grande pudeur dont fait preuve la grande majorité des adolescents, ces derniers étant en général très réticents à parler de leur souffrance qu’ils ne comprennent pas. Ils ont alors le sentiment de devenir fous et la peur de se voir confirmer cette impression les pousse à minimiser ce qu’ils vivent ou à tenter d’expliquer des comportements pathologiques de façon rationnelle. Ce triste constat s’étend par ailleurs aux adolescents souffrant des troubles du comportement alimentaire. Dans ces derniers cas, il s’agit souvent de jeunes filles qui attendront bien souvent une détérioration lamentable de leurs états physique et psychologique avant de consulter un professionnel, bien souvent contre leur gré. Tous ces sujets sont appréhendés par les auteurs de façon analogue aux premiers chapitres que nous avons décrits plus en détails précédemment, c’est-à-dire avec l’érudition de professionnels empreints d’humilité, essentiellement des médecins, et visiblement compétents dans leur domaine, mais aussi préoccupés par leur volonté didactique respective et singulière de vulgarisation scientifique. Toutefois, cette vulgarisation est, dans l’ensemble, teintée par le prisme du modèle médical et, en ce sens, elle n’échappe pas à la biologisation des conduites et des états mentaux humains, et à la pharmacologie qui en découle comme thérapeutique d’élection. Cette tangente médicale peut évidemment s’avérer indispensable et souhaitable dans la plupart des cas abordés. Néanmoins, l’apport constitutif d’une perspective psychodynamique et de liens avec l’épistémologie par exemple, deux aspects également nécessaires dans toute tentative de compréhension des maladies mentales, que ce soit de leur étiologie ou de leurs thérapeutiques, semble en second plan dans la compréhension intégrale qui est proposée. Les maladies mentales chez l’enfant et l’adolescent représentent un véritable défi pour les professionnels qui interviennent auprès de ces jeunes, mais aussi pour leur famille et leurs proches. En outre, autant le clinicien que l’expert d’obédience systémique, que l’étudiant portant un intérêt particulier aux maladies mentales à l’adolescence, y trouveront des contenus qui favoriseront un relativisme impératif 196 Recension : Démystifier les maladies mentales dans leur réflexion au sujet des maladies mentales chez l’adolescent. Toutefois, relativisme n’est pas synonyme de simplicité pour qui se propose d’étudier les maladies mentales. Incontestablement, il s’agit d’un domaine de connaissances hautement spécialisé. En effet, l’enfant et l’adolescent sont des êtres en pleine croissance physique et psychologique, et rares sont donc les pathologies psychiatriques qui se révèlent chez eux profondément internalisées ou cristallisées. Mais, même dans ces derniers cas, rien ne devrait nous empêcher, en tant qu’êtres humains solidaires et sensibles à la souffrance de l’autre, spécialistes ou non en la matière, de laisser place à la confiance et à la persévérance en nos propres capacités de transmettre ces valeurs, pour ne nommer que celles-là, à ces jeunes qui en ont tant besoin. L’étude attentive et approfondie du livre du Dr Gagnon et de ses collaborateurs ne pourra que nous aider à aller dans ce sens. Steve Curadeau Psychologue Interactions Vol. 5 no 1, printemps 2001