Croissance et formation Annexe 1 : technologie et croissance
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Que nous apprennent les statistiques offi-
cielles à ce sujet ? Tout d’abord elles confir-
ment que la baisse du prix du matériel infor-
matique s’est accélérée dans les années
’90. De 1987 à 1995 le prix des ordinateurs
a baissé en moyenne de 12% alors que de
1996 à 1998 la baisse moyenne a été de
29%. Gordon base son analyse des consé-
quences de cette chute de prix sur la pro-
ductivité par la combinaison de deux études
empiriques qu’il complète. La première est
celle d’Oliner et Sichel (2000, 2001) à partir
de laquelle on peut dégager la contribution
des ordinateurs à la densification du capital
et à l’accroissement de la productivité multi-
factorielle de l’économie américaine dans
son ensemble. La seconde étude est celle
de Gordon (2000) qui rajoute deux nouveaux
éléments à celle d’Oliner et Sichel. En pre-
mier lieu, elle établit un trend de la crois-
sance de la productivité du travail à partir
des années ’50 et permet ainsi de corriger
les données statistiques en y soustrayant
l’aspect cyclique de leur évolution. Ensuite,
elle isole les accélérations de la croissance
multifactorielle et du travail au sein du sec-
teur de la production de biens non durables.
Entre 1995 et 2000, après correction de
l’aspect cyclique, la croissance annuelle de
la productivité du travail a été de 2.46%
contre 1.42% pour la période 1972-1995,
soit une accélération de 1.04 points. Com-
ment l’expliquer ? Par de légers ajustements
d’indices (prix, qualité du travail) qui nous
ramènent cette accélération à 0.89 points.
Mais surtout par la densification du capital
informatique (0.37 point), l’accroissement de
la productivité multifactorielle dans le secteur
de la production d’ordinateurs (0.30 point) et
dans les autres secteurs (0.22 point). Gor-
don répète le même calcul non pas pour
l’économie dans son ensemble mais pour le
secteur de production des biens non dura-
ble. L’accroissement de la productivité du
travail dans ce secteur (0.44 pt) est pour
0.37 pt imputable à l’effet de densification du
capital et pour seulement 0.07 pt à
l’accroissement de la productivité multifacto-
rielle. Par simple différence, on en déduit
également que l’accroissement de la produc-
tivité multifactorielle dans le secteur des
biens durables, production d’ordinateurs
mise à part, explique 0.15 point de
l’accélération de la productivité globale du
travail aux Etats-Unis.
En résumé, sur les 0.89 pt d’accélération du
taux de croissance annuel de la productivité
du travail dans l’économie américaine pro-
voqué par la baise du prix des ordinateurs,
0.37 point est imputable à l’effet de densifi-
cation du capital informatique (autre forme
de capital exclu) et 0.52 pt à l’accroissement
de la productivité multifactorielle globale,
réparti à raison de 0.30 pour le secteur de la
production d’ordinateurs, 0.15 pour le sec-
teur de la production du reste des biens du-
rables et seulement 0.07 pour le secteur de
la production des biens non durables repré-
sentant le 88% des entreprises américai-
nes…
Le verdict est dès lors mitigé. Les progrès
technologiques en matériel informatique ont
effectivement et d’une manière impression-
nante fait renaître la productivité américaine
(multifacteurs et travail) au cours de la pé-
riode 1995 – 2000. Il y a bel et bien eu un
effet de « débordement » du secteur des
ordinateurs sur le secteur des biens dura-
bles en général s’étant traduit par une accé-
lération sensible de la croissance de la pro-
ductivité multifactorielle dans ce dernier. Le
secteur des biens non durables a également
bénéficié de ces avancées technologiques et
de leur effet « direct » grâce à une densifica-
tion de son capital (provoqué par
l’accroissement des investissements dans
l’achat d’ordinateurs) et donc une accéléra-
tion de la croissance de la productivité du
travail. Mais ce même secteur (88% des en-
treprises) n’a pratiquement pas profité de
l’effet de « débordement ». Ainsi donc, les
importants progrès technologiques en infor-
matique n’ont pas d’un coup de baguette
magique amélioré d’une manière sensible la
productivité de la toute grande majorité des
entreprises américaines. Il n’a pas suffi
d’acheter des ordinateurs pour que le mira-
cle ait lieu. Et la troisième Révolution indus-
trielle, celle de l’information, ne s’est pas
encore produite.
Gordon met enfin en garde les plus optimis-
tes quant aux bons résultats de l’économie
américaine. Partant de cette analyse, on en
déduit que le miracle américain est la con-
jonction rare et fragile de facteurs qui ne
sont pas appelés à nécessairement durer.
Qu’un seul d’entre eux s’affaiblisse et le mi-
racle s’envolera. Et pour cela il suffit que les
investissements en matériel informatique
baisse. Le simple ralentissement de la
baisse des prix du matériel informatique y
contribuerait dangereusement. Et Gordon de
relever que le bug de l’an 2000 (ayant pous-
sé nombre d’entreprises à renouveler leur
équipement) et l’invention d’Internet (ayant
incité à l’achat d’ordinateurs pour s’y con-
necter) ne peuvent avoir lieu qu’une seule
fois dans l’histoire économique.