Quelque chose pourra alors être estimé bon, non parce qu’il aura été évalué tel im-
médiatement, mais parce qu’il représentera une condition nécessaire ou suffisante
pour la possession de la bonté. C’est ici qu’intervient nécessairement un fondement
de connaissance. La dérivation de normes secondes à partir de normes premières
suppose la connaissance du domaine d’application de la norme. La proposition
normative repose sur la connaissance du rapport de conditionnement grâce auquel
l’objet évalué est estimé bon de façon médiate. En résumé, désigner X comme
norme fondamentale n’est pas du ressort de la connaissance, cela relève d’un acte
d’évaluation irréductible ; mais désigner Y comme norme dérivée, cela requiert la
connaissance théorique que Y est une condition nécessaire ou suffisante de X.
Pour revenir au cas particulier de la logique et lui appliquer ces analyses, le
respect de certaines formes de raisonnement est la condition nécessaire à l’établis-
sement d’une vérité, but ultime et norme fondamentale. La logique, qui indique les
moyens de parvenir à la vérité et évalue les démarches de pensée en fonction de
leur aptitude pour cela, est à la fois une discipline normative (c’est-à-dire évalua-
tive) et pratique. Mais les normes et les règles logiques reposent nécessairement
sur un ensemble de connaissances scientifiques. Lorsque le logicien prescrit par
exemple de ne pas se contredire, il s’appuie sur la connaissance que deux propo-
sitions contradictoires ne peuvent être vraies à la fois. La contradiction n’est pas
immédiatement estimée mauvaise, elle est évaluée telle en vertu de la connaissance
du rapport d’implication qui existe entre elle et la fausseté d’une théorie qui la
contiendrait.
Toute la question est alors de savoir si cette connaissance, et toutes les connais-
sances de ce genre qui constituent le fondement théorique des prescriptions lo-
giques, sont des connaissances relevant de la psychologie ou bien relevant d’une
discipline spécifique qu’il faudrait appeler logique pure. Il se trouve — c’est ce
que montre Husserl au chapitre IV — que leur caractérisations essentielles interdit
de les rattacher à la psychologie : ce ne sont pas des connaissances vagues mais
exactes, pas des connaissances empiriques mais a priori, etc. Au bout du compte,
le psychologisme est bel et bien réfuté. Mais il ne l’est pas pour la raison qu’in-
diquaient certains de ses adversaires, pas à cause de la normativité de la logique.
Rien n’empêcherait a priori qu’une discipline normative repose essentiellement
sur un corps de connaissances qui soient empiriques. Il n’y a pas d’incompatibi-
lité entre l’idée de normativité et celle d’empiricité. L’exemple du calcul suffirait à
l’attester. Le calcul, avec tous les procédés symboliques qu’il offre pour parvenir à
des connaissances médiates, est bien un art, donc une discipline normative et pra-
tique ; or, à en croire Husserl dans la Philosophie de l’arithmétique 3, cet art repose
sur la connaissance des possibilités psychiques qui sont les nôtres, en particulier
des limites de nos capacités d’intuition. C’est uniquement parce que l’homme ne
peut se représenter proprement les nombres au delà de 12 qu’il doit élaborer un art
mathématique substitutif correspondant à ses possibilités et lui permettant d’ob-
tenir une représentation impropre des grands ou des très grands nombres. Pour-
3. Mais aussi dans les PLP, § 42.
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