Si nous étions convaincus par ces objectifs proposés à l'Equipe de France de Design, voilà ce que nous dirions. Monsieur le Ministre, merci! Soyons francs. Depuis trop longtemps, le grand public français et les designers euxmêmes ont du mal à définir le design. Notre discipline est tiraillée par ses héritages multiples allant de l'art à l'ingénierie, de l'artisanat au marketing. Certains y voient une grande source de richesse mais en vérité, cela ne conduit qu'à une frilosité à s'engager dans la réalité économique. Les designers ne semblent pas assumer d'être issus de l'industrie et de la consommation. En école de design, il est déplorable que les problématiques et les valeurs de l'entreprise, de la compétition, de la rentabilité, soient constamment reniées. Résultat, foisonnement de projets trop artistiques, de design de galerie qui ne correspondent à aucune réalité. La réalité implique des priorités. S'il fallait choisir entre la culture et l'économie, gardons à l'esprit que la poésie n'a jamais nourri un homme. A force de se réclamer de sensibilités intellectuelles, idéologiques ou artistiques, nous avons compromis toute collaboration avec les entreprises. La production s'est faite sans nous. Mais la nouvelle place qui nous est proposée à le mérite de clarifier notre activité et, espérons le, nous permettra de retrouver la crédibilité nécessaire auprès des acteurs du monde industriel. Merci donc, Monsieur le ministre, pour ce souffle nouveau. La place qui nous est offerte dans la cause nationale de la "relance économique" nous touche droit au cœur et nous en serons dignes. A travers cette équipe de France de Design, vous formulez le souhait de mesurer le talent français à celui des autres puissances, en leur montrant les capacités de renouvellement et d'inventivité qui sont les nôtres. Nous entendons bien montrer au monde entier, combien la relance économique est affaire de design. A travers l'objet mais aussi l'analyse fine des systèmes complexes, notre équipe de designers saura non seulement relancer la croissance économique, mais surtout laisser loin derrière le reste des puissances du monde. Nous allons rappeler à l'Allemagne qu'elle n'a rien inventé depuis l'école d'Ulm, aux américains que leurs meilleurs designers viennent de chez nous et à la Chine qu'elle aura à peine le talent de nous copier. Monsieur le Ministre, nos manches sont déjà retroussées. Nous avons ébauché les bases du "POC". Programme Objectif Croissance. Face à l'industrie Française, les adversaires ont une logique strictement entrepreneuriale qui les limite à la variable du salaire pour baisser les coûts de production et rester compétitifs. Or, grâce aux designers, nous pouvons espérer changer en profondeur le mode opératoire de production tout en garantissant le revenu de nos travailleurs. Ce revenu étant le garant de la consommation. Comprendre qu'il reste beaucoup d'EspaceObjet et donc de PerspectiveProduction! Nous vivons dans un monde qui d'apparence semble saturé d'objet. D'un œil d'expert, soyez rassuré, il n'en est rien. Regardez dans votre poche, est-elle pleine? Non. Regardez chez vous, est ce que tout est irremplaçable? Non, bien évidemment. Les sièges de cette salle de conférence peuvent-ils charger votre Smartphone? Pas encore. Tout ceci est la preuve, par le design que l'économie a encore de beaux jours devant elle. Croître n'est pas hors de portée, il suffit de porter un regard créatif sur le monde et de ne pas regarder ce qui existe, mais ce qui n'existe pas encore. Les enjeux nouveaux d'un monde en pleine mutation Il faut avant tout identifier les ennemis de la croissance et c'est le rôle du designer qui a un pied dans la production et l'autre dans la consommation. 1. Le partage "Covoiturage, couch surfing". Plus que jamais, les citoyens s'organisent en réseaux et mettent en commun leur équipement. Grâce aux moyens modernes qui facilitent l'échange d'informations, les consommateurs prennent conscience de la complémentarité de leurs besoins. Le hardware est désormais partagé, loué entre particuliers. Aujourd'hui, un besoin ne débouche pas toujours sur un achat et ne sert donc plus l'économie réelle. Lutter contre le partage, c'est repenser les produits afin d'enrayer les comportements parallèles à l'économie. -Lorsque madame Michu prête sa perceuse à sa voisine, madame Michu rend un service à sa voisine mais pas aux gens qui produisent ces perceuses. Le prêt, et plus généralement la générosité, sont totalement transparents dans le panier PIB. Le designer peut entrevoir plusieurs solutions pour faire disparaître ces comportements : Solidité des objets ; un objet fragile s'emprunte moins qu'un objet robuste. Poids et volume des produits peuvent également décourager le transport. 2. Le savoir utiliser La polyvalence des objets, l'utilisation astucieuse permet aux utilisateurs de contourner certains objets. Plus que jamais, les utilisateurs s'accommodent de ce qu'ils possèdent déjà et n'hésitent pas à transgresser les pratiques classiques. Par exemple, ouvrir une bière à l'aide d'un briquet permet de se passer d'un décapsuleur. On comprend bien ici que c'est le briquet lui-même qui est à remettre en cause. Et les solutions peuvent simplement être de l'ordre de l'innovation formelle. Sa forme, le choix de ses matériaux, sont autant de caractéristiques. Si demain le briquet avait une forme sphérique ou s'il était mou, il serait impossible de l'utiliser de cette façon et l'industrie du limonadier pourrait respirer. Il y a tant d'objets à repenser. En règle générale, plus un produit est polyvalent, plus il cannibalise des marchés potentiels. En tant que designers, nous avons constaté que certaines attitudes entravaient sérieusement l'apparition de nouveaux produits. A titre d'exemple, la ménagère mais aussi mère d'enfants en bas âge, a gardé pour habitude de décaler la poignée des casseroles sur le feu pour éviter à ses bambins de se renverser de l'eau bouillante sur le visage. Ce geste, efficace contre les accidents domestiques, ne l'est pour aucune économie. Une fois n'est pas coutume, l'Angleterre a le bon réflexe et a su remplacer ce geste par un produit. Le projet SECURE-IT, lauréat du Dyson Design Award 2012, était une poignée intelligente qui se détache quand on la tire vers le bas et, à l'inverse, accroche la casserole quand on la soulève, permettant à la ménagère de laisser dépasser son manche en toute tranquillité. Il en résulte donc un bon projet de design, une production d'objet et une économie enrichie. Le tout en préservant la sécurité des enfants. Faisons des objets qui facilitent encore la vie des gens en réduisant le nombre de gestes à savoir : On voit se développer, à l'ère du numérique, de nouvelles façons de produire qui menacent de court-circuiter les industries. Attirés par le développement de l'open-source, la mode du "faire soi même" et des communautés de makers, un nombre croissant de citoyens contourne l'économie du pays. Ils présentent une certaine motivation à produire euxmêmes leur produits, à s'échanger des savoir-faire, à réparer leur vieilleries. Les entreprises ne peuvent pas rester les bras croisés face au développement de leur propre concurrence. Il faut voir dans l'open-source un véritable foyer de R&D gratuit, mis à la disposition du plus grand nombre, et donc des entreprises. L'entrepreneur de demain n'a pas besoin d'investir dans la recherche, il n'a qu’à exploiter cette véritable mine d'idées, gratuite, libre d'accès et infinie. On parle d'un bénéfice 100%. Quand au DIY, on peut noter que bien souvent, il ne présente aucune qualité formelle, ou de simples intentions. Il suffirait de s'emparer des projets les plus prometteurs et de les esthétiser. L'ère de l'open-source et de la contribution nous offre un véritable eldorado qu’il est temps de mettre à profit, pour la sauvegarde des emplois. Encore une fois, il n'y a qu’à se baisser pour ramasser. Prenons l'exemple parlant du Maker Bot, cette imprimante 3D qui a vu le jour en open-source, a pu bénéficier du travail de milliers de gens avant de s'établir comme un produit, crédible, esthétique et rentable, loin de la non rentabilité des communautés web. Maker Bot a su prendre le meilleur du contributif et devenir un vrai leader sur son marché, à moindres coûts. Monsieur le ministre, le monde est en mouvement. La croissance ne pourra pas continuer sa croissance sans s'intéresser de près au développement des économies parallèles. Les designers, et vous l'avez bien compris, sont de parfaits ambassadeurs des comportements utilisateurs et sont les plus à-mêmes de les rendre profitables au monde de l'entreprise. Monsieur le ministre, nous vous prions de croire en notre sincérité.