Escale musicale - Ville de Neuilly-sur

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Escale musicale
Pochettes-surprises
Dessin, peinture : leurs relations avec le disque
Espace Musique
Mai 2008
L’évolution de la pochette de disque dans l’histoire
Tableaux de maîtres reproduits sur les disques de musique classique, banane d’Andy Warhol sur le
premier album du Velvet Underground… Ces illustrations inscrivent les pochettes de disques dans la
mémoire collective.
Des cylindres aux 78 tours
Le phonographe d’Edison est inventé en 1877 et utilise des cylindres de cire, tandis que le
gramophone de Berliner impose le disque une décennie plus tard.
Les pochettes de disques sont alors en papier généralement bon marché, d’une teinte pastel unie avec
une typographie standard qui met en valeur la compagnie et non l’artiste. Elles suscitent si peu
d’intérêt que, parfois, les revendeurs remplacent l’emballage d’origine par leur propre présentation,
vantant la boutique plutôt que l’éditeur.
Les enregistrements longs – généralement classiques – et, plus tard, des collections de morceaux
courts sont vendus sous forme d’« albums » comprenant plusieurs disques en pochettes individuelles
de carton, reliées les unes aux autres par le dos. La couverture est généralement grise ou brune. Sa
personnalisation se limite à l’inscription du nom de l’artiste et du titre imprimés en lettres dorées sur la
tranche et, à l’occasion, à une étiquette collée sur le dessus.
Les illustrations de la musique, très riches, sont alors confinées aux couvertures de partitions,
publicités et affiches de spectacle, qui émanent d’un circuit éditorial à part. Les picture discs (disques
illustrés), apparus en 1933, sont prisés des collectionneurs mais restent marginaux.
Les débuts du vinyle
Il faut attendre 1940 pour voir la première pochette d’album illustrée : les grands succès de Rogers
and Hart, par Alex Steinwess, directeur artistique chez Columbia et précurseur en la matière. Devant
le succès rencontré, les autres maisons d’édition lui emboîtent le pas.
Dans les années 1940, les graphistes (Alex Steinwess, Jim Flora, Robert Jones) sont très influencés
par les œuvres abstraites d’artistes tels que Paul Klee et Wassily Kandinsky. En 1948, Columbia lance
le 33 tours, dont la pochette en carton fin doublée de papier imprimée devient bientôt le standard de
présentation. Son succès fait que dès lors, le graphisme consacré à la musique adopte la diversité qui
nous est aujourd’hui familière.
Les années 1950 voient l’essor de la photographie mettre au second plan les pochettes peintes ou
dessinées. Le graphisme moderniste s’éloigne de la conception des pochettes, qui se tourne
davantage vers des formes plus directes et chargées en images. Quelques graphistes continuent de
faire évoluer l’illustration, comme Erik Nitsche, David Stone Martin, Saul Bass ou Ivan Chermayeff.
Le tournant des années 1960
Au milieu de la décennie suivante, l’illustration commence à réapparaître parce qu’elle laisse une plus
grande liberté à l’imagination des créateurs. Le public devient de plus en plus jeune et son goût de
plus en plus changeant. Ces variations donnent aux artistes davantage de pouvoir dans le contrôle du
graphisme de leurs pochettes. Les pochettes de rock deviennent fortement marquées par le style
psychédélique, caractérisé par de nombreuses arabesques, des formes typographiques exagérées
(parfois difficilement déchiffrables) et des couleurs souvent voyantes. Cette décennie est marquée
notamment par les travaux de Victor Moscoso, Rick Griffin (également illustrateur de bandes
dessinées) et Andy Warhol, qui ancre le pop art parmi les multiples sources d’influences des créateurs.
L’âge d’or des années 1970
Au début des années 1970, les pochettes dépliantes sont devenues les standards dans l’industrie et
laissent une large latitude d’expression aux créateurs. De plus, un soin particulier et des ressources
financières confortables sont alors accordés aux couvertures. Certains considèrent cette période
comme l’apogée du graphisme dans les pochettes.
Un renouveau du dessin dans les bandes dessinées a fortement influencé la conception de pochettes ;
Robert Crumb et John van Hamersveld se sont illustrés dans ce style. Le heavy metal a quant à lui
développé l’utilisation d’éléments surnaturels, de héros de fantasy, et les visions d’un monde post
apocalyptique.
La fin des années 1970 voit l’émergence du mouvement punk, bientôt suivi par un mouvement
graphiste post-punk représenté en Grande-Bretagne par Barney Bubles, Neville Brody, Peter Saville et
Malcolm Garrett. Le bricolage pictural remplit le vide laissé par la disparition du mouvement. L’œuvre
d’artistes constructivistes russes (formes simples, jeux de diagonales, découpages, éventails restreints
de couleurs) influence ce mouvement.
La fin du règne des vinyles
Pendant les années 1980 et au début des années 1990, les graphistes et les agences spécialisées se
réapproprient la conception des pochettes. Deux événements majeurs bouleversent profondément
l’univers de la pochette de disque dans les années 1980. La chaîne MTV apparaît en 1981 et fait des
clips vidéo des outils de marketing de premier plan. Le budget des couvertures s’en trouve affecté.
L’année suivante, le disque compact est introduit aux Etats-Unis et remplace progressivement le 33
tours. L’espace se restreint (de 30 à 12 cm) et le boîtier plastique change la relation à la pochette
intérieure qui se fait brochure ou dépliant. Alors que les couvertures de vinyles étaient presque des
affiches, celles des disques compacts se rapprochent davantage des livres en matière de graphisme.
De plus, la révolution numérique qui s’amorce a un effet non seulement sur la musique mais
également sur le graphisme, notamment par le biais des logiciels de manipulation d’image. Une forme
graphique nouvelle, le flyer, est apportée par la culture DJ, qui enregistre un retour des motifs
psychédéliques et un foisonnement d’informations difficilement lisibles.
Parallèlement, on voit fleurir des pochettes sur lesquelles figurent des illustrations chargées en
couleurs exclusivement réalisées par ordinateur. Certains graphistes ripostent en jouant sur
l’illustration dessinée à la main, inspirée par l’art naïf, les personnages de dessins animés japonais ou
les graffitis, par exemple.
Le téléchargement de fichiers musicaux, légal ou non, a donné davantage d’importance au
conditionnement du disque, qui s’avère être une arme efficace contre la disparition de ce dernier, en
donnant au consommateur une bonne image des artistes.
Le collectif artistique Tomato défend la remise en cause postmoderne du concept d’art, et la refonte
de la culture sous une forme fluide, accessible à tous et globale. On peut trouver un écho de cette
volonté dans les œuvres graphiques issues d’un traitement informatique du son, mais aussi dans les
pistes CD-ROM ou les DVD insérés dans les boîtiers, les liens multimédia, ainsi que la conception des
sites internet des artistes. Tous ces espaces développent et perpétuent les liens qui unissent
graphisme et musique.
La « construction de marque »
L’image sert souvent à identifier facilement tel ou tel groupe, de rock notamment, et à insister sur la
continuité de sa production. Cela peut se faire grâce à une typographie particulière appliquée au nom
du groupe (Nirvana par exemple) ou par la transformation de ce dernier en logo (Yes, Aerosmith).
L’identification du groupe passe aussi par la récurrence d’un personnage (la mascotte squelettique
Eddie, chez Iron Maiden) ou un logo seul (comme la bouche des Rolling Stones). Certains groupes
sont aussi facilement reconnaissables par leurs pochettes quand ce sont les mêmes artistes qui se
chargent de leurs conceptions. C’est notamment le cas des Têtes Raides et de la Tordue, dont des
membres ont fondé les Chats Pelés, collectif graphiste.
Particularité de la musique classique
La musique classique (mise à part la musique contemporaine) présente ceci de particulier que les
compositeurs n’ont, par la force des choses, pas leur mot à dire à propos des pochettes qui emballent
les enregistrements de leurs œuvres. Longtemps, il a donc été de mise d’y reproduire des peintures.
La photographie a ouvert d’autres horizons et permis de mettre en avant les interprètes. Bon nombre
d’éditeurs (Naxos, Alpha, Harmonia Mundi…) tissent à nouveau des liens entre peinture et musique
classique en se servant de la photo dans la reproduction de toiles.
Un style, un graphiste, une pochette emblématique
Jazz des années 1950
Lester Young Trio (1955), conçue et illustrée par David Stone Martin, qui a influencé les premières
œuvres de Warhol.
Style minimaliste associé à l’art abstrait new-yorkais
Symphonie héroïque (n°3) de Beethoven interprétée par le Boston Symphony Orchestra (1957). Ivan
Chermayeff joue dessus avec les couleurs et les formes géométriques.
Bandes dessinées
Cheap Thrills (1967), illustrée par Robert Crumb pour Big Brother and the Holding Company.
Psychédélisme
Aoxomoxoa (1969), fruit de la collaboration de Rick Griffin et de Grateful Dead.
Fantasy
Les couvertures des disques de Molly Hatchet, par Frank Frazetta, pionnier dans ce style.
Post-punk
Imperial Bedroom (1982), d’Elvis Costello and the Attractions, par Barney Bubbles. Il affirme sa
vision de la pochette de disque comme un support pour des essais visuels à images multiples, en
opposition à la pratique de nombreux créateurs.
Peinture figurative appliquée au reggae
Rastaman Vibration (1976), peinte pour Bob Marley and the Wailers par Neville Garrick.
Résurgence du romantisme pictural
The Downward Spiral (1994), illustrée par Russel Mills (également musicien) pour Nine Inch Nails.
Style marqué par le recours à l’ordinateur
Head Music (1999), élaborée par Peter Saville Associates pour le groupe anglais Suede.
L’image dessinée
TNT (1998), dessinée pour Tortoise sur une fiche vierge de disque compact par John Herndon,
également membre du groupe. Son attrait réside dans l’ambiguïté de sa réalisation : s’agit-il bien d’un
gribouillage d’amateur ?
Notre sélection bibliographique
Avant la pochette
Les Images de la musique. Pierre Istace et Adrienne Fontainas (Labor, 2005)
Catalogue de l’exposition, La Louvière, au Centre de la gravure et de l'image imprimée de la
Communauté française de Belgique, 22 janv.-17 avril 2005
Des artistes tels qu'Eugène Delacroix, Edouard Manet, Henri de Toulouse-Lautrec, René Magritte et
bien d'autres ont réalisé des chromolithographies, gravures qui illustraient les partitions de chansons
populaires. Ce sont ces images, témoins de leur époque, qui sont présentées.
Les livres qui mettent en avant la pochette
Albums : création graphique et musique. Nick de Ville (Octopus, 2004)
Cet ouvrage propose un panorama de l'histoire de cet art, en présentant des graphistes,
photographes, directeurs artistiques, musiciens (de tous les genres) et maisons de disques à l'origine
de ces pochettes, et en relatant les échanges qui ont existé entre les créateurs et leurs
commanditaires.
1000 Record Covers. Michael Ochs (Taschen, 2005)
Très nombreuses photographies de pochettes de disques, des années 1960 aux années 1990.
Pour aller plus loin, côté musique
L'Histoire du disque et de l'enregistrement sonore. Daniel Lesueur (Carnot, 2004)
L’auteur nous détaille ici l’évolution du support musical, des tout débuts de l’enregistrement au mp3,
en passant par les picture discs, les disques pirates, les bandes magnétiques…Très complet.
Les 1001 albums qu'il faut avoir écouté dans sa vie. Robert Dimery (Flammarion, 2006)
Recueil chronologique amplement illustré de chroniques de disques, dans lequel se glissent de
nombreuses anecdotes sur les pochettes.
Pour aller plus loin, côté graphisme
Factory Records 461 : une anthologie graphique. Matthew Robertson (Thames & Hudson, 2006)
De 1978 à 1992, Factory Records fut un important label discographique de Grande-Bretagne.
L'ouvrage retrace la quasi-totalité de ses créations visuelles organisées chronologiquement : pochettes
de disque, éditions spéciales, flyers, affiches, papeterie et même projets architecturaux.
Sonic Graphics : quand le son devient image. Matt Woolman (Thames & Hudson, 2000)
Ce livre explore les territoires de fusion entre graphisme et musique, les champs de l’expérimentation
et le traitement du son par ordinateur.
Musique, graphisme, peinture : d’autres façons de découvrir leurs liens
Tous les mois, la revue Vibrations propose un article, « un disque par la pochette », qui met en
avant un artiste (peintre, graphiste, etc.).
Les éditions Alpha, qui s’attachent à faire découvrir des compositeurs et des interprètes de musique
classique, consacrent quelques pages de la brochure, pour chaque disque, à la peinture reproduite sur
la pochette.
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