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Introduction
a fin du communisme et du collectivisme a pu donner à penser que
la loi du marché allait s’imposer à l’ensemble de l’économie de la
planète. Recherche de valeur pour l’actionnaire, exigence de 15 %
de retour sur investissement, délocalisations devaient être les axes de
l’économie capitaliste.
Pourtant, les méfaits d’un marché régulé de manière insuffisante ou
insuffisamment intelligente ont pu être constatés dès 2007 avec la crise
financière qui a emporté une bonne partie du secteur bancaire.
On s’est alors souvenu du mouvement pour une finance qui ne soit
pas centrée exclusivement sur le profit, la finance éthique. C’est l’objet
d’un discours remarqué du président de la République française, Nico-
las Sarkozy, prononcé le 25 septembre 2008 et dont on peut reprendre
quelques phrases riches de sens :
« L’économie de marché, c’est un marché régulé, mis au service du déve-
loppement, au service de la société, au service de tous. […]. Le capitalisme
[…] ce n’est pas la primauté donnée au spéculateur. C’est la primauté
donnée à l’entrepreneur […], la récompense du travail, de l’effort, de
l’initiative […], c’est la responsabilité individuelle, l’engagement personnel
[…]. »
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Allant encore plus loin, le président ajoute :
« C’est une éthique, une morale, ce sont des institutions. […]. La crise
financière […] c’est la crise d’un système qui s’est éloigné des valeurs les plus
fondamentales du capitalisme. »
Pour le président de la République et, d’ailleurs, pour les penseurs
libéraux français depuis le XIXe siècle, le capitalisme, parce qu’il est issu
du libéralisme, se doit de respecter des valeurs individuelles (la récom-
pense du travail et de l’effort) et collectives (le bien-être de la popula-
tion grâce au travail de tous).
L’économie et la finance éthique n’ont pas attendu 2008 pour mettre
en évidence ces valeurs. Plusieurs courants de pensée, issus des pays les
plus divers et depuis bien longtemps, ont souligné que la recherche du
profit ne devait pas négliger le respect de valeurs. Cette vision des
choses a pris de l’importance ces dernières décennies au point que l’on
a pu parler de finance éthique, d’économie socialement responsable…
C’est dans ce courant que l’on peut placer la finance islamique du fait
du caractère fondamentalement moral des principes qu’elle impose au
droit, à l’économie et à la finance islamiques. La finance islamique peut,
en effet, être considérée comme un compartiment de la finance éthique
car elle se caractérise, avant tout, par une dimension morale et sociale-
ment responsable. Elle peut alors répondre à un besoin qui va au-delà du
financement.
Son apparition dans le monde financier moderne date des années
1970 et elle peut connaître une certaine accélération en France lorsque
l’on évoque un discours prononcé le 2 juillet 2008 par le ministre fran-
çais de l’Économie, Madame Christine Lagarde, lors d’un déjeuner
organisé par l’association Paris-Europlace. À cette occasion, le ministre
a annoncé son intention de faire de Paris une grande place de finance
islamique, ne laissant pas à Londres le monopole de cette activité en
pleine extension.
La finance islamique connaît ainsi un développement remarquable
depuis plus de 30 ans, les chocs pétroliers ayant été des accélérateurs
efficaces en raison de la nécessité, pour les pays pétroliers, de placer les
excédents qui en ont résulté. Elle est née, symboliquement, en 1975
avec l’avènement de la première banque islamique commerciale à
Dubaï.
INTRODUCTION
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© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
En l’occurrence, la Banque islamique de développement, inspirée par
l’Organisation de la conférence islamique, promeut cette industrie très
implantée dans les pays du golfe Persique du fait que les monarchies
pétrolières, au moment du premier choc pétrolier, ont reçu d’importan-
tes liquidités qu’elles ont recyclées dans les marchés financiers islami-
ques, scénario qui s’est reproduit en 2008. Si l’offre est importante, la
demande peut croître dans les mêmes pays aux fins d’améliorer les équi-
pements et les infrastructures.
La finance islamique se veut désormais une concurrente de la finance
que l’on appellera, dans les pages qui suivent, « finance
conventionnelle ». Ainsi, on estime que le taux de croissance annuel de
l’activité bancaire islamique se situe entre 10 % et 30 % en fonction des
classes d’actifs, dont la plus dynamique est celle des sukuk, les obliga-
tions islamiques. Elle est donc devenue un ensemble de classes d’actifs
à part entière.
En dehors des 200 milliards de dollars investis par des fonds islami-
ques (fonds communs de créances, fonds de placement et fonds de
mutuelles), le total des actifs gérés par les banques et les compagnies
d’assurance se serait élevé à 500 milliards de dollars fin 2007, dont envi-
ron 350 milliards pour le Proche-Orient et l’Iran, l’épargne disponible
dans les pays du golfe Persique et d’Asie du Sud-Est atteignant environ
5 000 milliards de dollars aujourd’hui1.
On compte plus de trois cents institutions financières islamiques de
par le monde. Selon l’agence Moodys, le marché global de la finance
islamique représente aujourd’hui de 750 à 1 000 milliards de dollars. Il
pourrait atteindre 2 800 milliards d’ici 20152.
À part le golfe Persique, la Malaisie est l’autre grande région de la
finance islamique, les deux tiers des obligations conformes à la charia y
sont émis (66 milliards de dollars sur un total de 100 milliards de
dollars)3. La croissance est très rapide dans les autres pays de la zone
1. Voir le rapport d’information du 14 mai 2008 du Sénat sur la finance islamique
présenté par M. Jean Arthuis, Sénateur.
2. Voir Les Banques islamiques, ministère des Affaires étrangères et européennes, DCI,
sous-direction de l’information et de la documentation, dossier finalisé le 20 mai
2008.
3. Voir le rapport d’information du 14 mai 2008 du Sénat sur la finance islamique
présenté par M. Jean Arthuis, Sénateur, p. 23.
FINANCE ISLAMIQUE
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(Philippine, Pakistan, Brunei, Thaïlande et Inde). À côté de Hong-
Kong, Singapour est devenu le marché de finance islamique le plus
dynamique d’Asie1.
La finance islamique est encore faible en Afrique, marché potentiel
important (235 milliards de dollars de dépôts potentiels, selon l’agence
de notation Moody’s) car il compte 412 millions de musulmans et
bénéficie de la hausse des prix des matières premières.
Si elle se rencontre essentiellement au Proche-Orient et en Malaisie,
la finance islamique s’exporte désormais aux États-Unis et en Europe,
où la première banque islamique, l’Islamic Bank of Britain, a été
ouverte en 2004, notamment à Londres mais aussi en Allemagne. De
fait, la Grande-Bretagne a adopté des règles juridiques et fiscales de
nature à renforcer l’attractivité de la place financière de Londres grâce à
une offre de services adéquate. C’est ainsi que le marché de la finance
islamique connaît une forte croissance en Grande-Bretagne et propose
une gamme de produits de plus en plus large.
La France n’a pas encore pris d’initiative particulière en la matière
bien qu’elle compte la première communauté musulmane d’Europe
avec près de 5,5 millions de personnes contre 2,5 millions en Grande-
Bretagne. Toutefois, un groupe de travail a été mis en place qui réfléchit
aux modifications éventuelles à apporter au droit français afin de
permettre à la finance islamique de fonctionner dans le cadre de l’initia-
tive Paris Europlace (Comité de droit financier de la place de Paris :
commission Finance islamique).
Après ces quelques lignes de présentation, on peut légitimement se
poser un certain nombre de questions.
Qu’est donc cette finance islamique dont on parle beaucoup sans
vraiment toujours savoir ce dont il s’agit ? Est-ce une finance d’un genre
nouveau ou peut-on la rattacher à la finance classique ?
Au-delà de la finance, n’illustre-t-elle pas une éthique particulière
bien éloignée de la morale des affaires en vigueur en Occident ?
Comment, enfin, cette éthique islamique dessine-t-elle les techni-
ques spécifiques de la finance islamique ?
1. Voir Les Banques islamiques, op. cit.
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© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
C’est, notamment, à ces questions que se propose de répondre cet
ouvrage.
Comme on l’a brièvement esquissé, la finance islamique appartient,
en premier lieu, à la famille des finances éthiques qui méritent un déve-
loppement important, d’abord du fait du mouvement que l’on observe
aujourd’hui, ensuite pour décrire un cadre général dans lequel entre, on
le verra, la finance islamique (chapitre 1).
Avant de décrire la démarche particulière de la finance islamique
dans une série de chapitres, il est essentiel de donner un aperçu du droit
islamique des affaires (chapitre 2) car la religion, la morale, le droit,
l’économie et la finance constituent, dans le monde musulman, un tout
indissociable.
On pourra ensuite décliner les diverses techniques utilisées par la
banque commerciale (chapitre 3), la banque d’affaires (chapitre 4), les
gestionnaires de fonds (chapitre 5), les assureurs (chapitre 6).
On terminera en présentant les particularités des banques qui
travaillent selon les techniques financières islamiques (chapitre 7) avant
de décrire un certain nombre de défis auxquels doit faire face la finance
islamique (chapitre 8).
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