UNIVERSITE PARIS IV – SORBONNE ECOLE DOCTORALE 2 – HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE N° THESE Pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITE PARIS IV Discipline : HISTOIRE Présentée et soutenue publiquement par Juliette GLIKMAN Le 27 septembre 2007 L’IMAGINAIRE IMPERIAL ET LA LOGIQUE DE L’HISTOIRE ETUDE DES ASSISES DU REGIME DU SECOND EMPIRE DIRECTEUR DE THESE : M. Jacques-Olivier BOUDON _____________________ JURY M. Jacques-Olivier BOUDON M. Jean-Pierre CHALINE M. Alain CORBIN M. Sudhir HAZAREESINGH M. Lucien JAUME M. Jean-Claude YON Comment le second Empire s’est-il projeté en tant que régime politique ? Le bonapartisme a donné lieu à de nombreuses études : René Rémond en a fait la source de la droite autoritaire, Frédéric Bluche analyse la difficile conciliation entre le vote populaire et l’espoir de transmission dynastique, Pierre Rosanvallon décèle une des premières expériences de démocratie illibérale. La réflexion politique s’est focalisée sur l’imprégnation de la légende impériale, et la réception de l’héritage du premier Empire. La période a été réduite au rang de parenthèse sous la troisième République, dont la genèse s’édifiait dans la perspective d’une histoire militante. Ce régime, né d’un coup de force, mené par une poignée d’aventuriers, aurait été voué d’emblée à l’éphémère. Sa chute a certes pour origine immédiate le désastre militaire face à la Prusse, mais ce n’est pas l’impréparation militaire qui est mise sur le banc des accusés par les fondateurs républicains. La défaite ne serait que l’ultime révélateur des dysfonctionnements d’un régime incapable d’assurer à terme l’administration de la France. La République serait née des déficiences profondes du régime impérial, cumulées à la médiocrité de son personnel dirigeant, l’avènement républicain étant dissocié des conséquences de la défaite face à la Prusse. La République se revendique du déterminisme historique, sans dépendre de l’événement accidentel, humiliant pour la fierté nationale. Le régime impérial, impuissant à se réformer et à survivre à son fondateur, ne pouvait faire cohabiter durablement le principe monarchique et la ratification électorale. Son acte de décès aurait été signé avant même l’effondrement militaire. La République échappe à toute possibilité de parallèle avec la Restauration, encore honnie pour s’être édifiée sur les ruines de l’épopée impériale. De prime abord, cette perception a conduit à occulter de la mémoire nationale le réel attachement populaire qu’avait su susciter l’Empire, générant une pensée politique qui prétendait insérer la démocratie plébiscitaire au sein d’une monarchie providentielle. La doctrine politique du second Empire et ses représentations idéologiques n’ont jamais fait véritablement l’objet d’une recherche approfondie, si ce n’est pour y voir une forme abâtardie de l’exercice charismatique du pouvoir conduit par Napoléon Ier : il y aurait un bonapartisme inaugural, dans sa version première, et une variante dégradée, les deux avatars ayant en commun d’être des résolutions passagères à des déchirements internes, impuissants à survivre au rétablissement d’un cadre légal. C’est du moins le point de vue d’André Siegfried. Or, le second Empire s’est ingénié à revendiquer une identité originale, qui a été théorisée précocement, les débuts du règne étant privilégiés au cours de cette étude. 2 Il convient de relativiser la vision d’un pouvoir qui se serait appuyé sur l’appel au peuple. L’étude des assises du régime napoléonien permettra d’établir une appréhension originale du temps historique, principe de légitimation. Se donnant pour finalité de réconcilier les traditions anciennes et les valeurs issues de la rupture révolutionnaire, le napoléonisme a pour projet d’« unir des siècles ennemis ». Les apôtres de l’Ancien Régime sont renvoyés à leur nostalgie stérile pour le passé. Les idéalistes républicains, quant à eux, sont accusés de nourrir un futur fantasmagorique, propre à attiser des passions destructrices de l’ordre social. Entre un passé révolu et un avenir utopique, les deux courants antagonistes, renvoyés aux extrêmes de l’éventail politique, sont condamnés en raison de leur incompréhension des besoins présents. Mais leurs idéaux respectifs (primauté du prince héréditaire et représentation populaire) n’en sont pas moins intégrés dans le giron napoléonien. Le napoléonisme assurerait la réconciliation des deux France, en fusionnant des vérités qui auraient été l’apanage d’époques autrefois rivales. L’histoire, promue au rang d’expérience objective, renseigne sur le dispositif théorique. La renaissance même de l’idée napoléonienne, intacte après une éclipse de près d’un demi-siècle, exprimerait sa nécessité (renaissance qui est lue à travers le prisme chrétien de la résurrection). Ainsi, l’ère napoléonienne, conforme à la loi historique et respectueuse de traditions nationales largement réinventées, prétend accomplir en matière institutionnelle les prédictions du positivisme. Son triomphe s’apparente à l’âge scientifique, le recours à l’histoire illustrant la logique naturelle qui mènerait irrévocablement à la résurgence de la dynastie. L’aigle napoléonienne renaît, nouveau phénix, pour redonner vie et souffle à la France en souffrance, comparée à la figure biblique de Lazare, réveillé par la main du Christ. L’Empire ne s’est jamais qualifié de second, puisqu’il se concevait comme une restauration impériale, même si le terme était soigneusement banni des textes administratifs de l’automne 1852. Les contemporains ne se seraient certainement pas reconnus dans les périodisations classiques, qui distinguent Empire autoritaire et Empire libéral. L’évolution perçue va d’un système qualifié de personnel, où l’empereur absorbe le suffrage universel, à un gouvernement appelé libéral, où la responsabilité ne pèse plus uniquement sur le souverain. L’abandon des contraintes autoritaires se fait l’indice d’une dynastie affermie, assurée d’un consensus au sein de l’opinion. Le cadre autoritaire s’est pensé comme temporaire, sorte de dictature transitoire imposée par le trouble des consciences, en proie à l’anarchie des valeurs : le premier devoir du gouvernement impérial est d’assurer l’amélioration morale et sociale des éléments populaires. Cet état de contrainte prépare l’émergence du nouvel Empire, lié à la liberté sans répudier ses principes fondateurs, reposant 3 sur l’ordre, la paix civile, l’autorité morale, désormais fermement établis. C’est alors que le terme de Second Empire se diffuse, pour désigner sa propre refondation par le système impérial. Toute évolution progressive étant regardée avec suspicion, signe de compromissions partisanes, les concessions libérales n’étaient envisageables qu’en refondant l’alliance conclue entre la dynastie et la nation. La doctrine politique est perceptible dès que nous n’envisageons plus cette période par son terme, en cherchant par une analyse rétroactive à déceler les raisons de sa chute. Il s’agit de retrouver le regard que le second Empire a porté sur sa propre longévité et la façon dont il a raconté sa propre histoire. L’étude des mises en scène de la puissance impériale est un moyen de pénétrer l’esprit de fonctionnement d’un système qui est devenu, à nos esprits formés à l’école républicaine, aussi étranger que la monarchie absolue de droit divin. A cet égard, la relecture des déclarations et des discours impériaux, décryptés à travers le prisme napoléonien, s’avère un exercice indispensable, afin d’appréhender le contenu idéologique de ces textes. Les écrits d’adhésion seront également sollicités : la poésie d’éloge, aux instructifs schèmes récurrents ; les libelles laudateurs, concentrés pour l’essentiel sur les premières années du règne ; les discours de rentrée des cours impériales, riches d’enseignement en cherchant à flatter le prince ; les voeux des conseils municipaux en faveur du rétablissement impérial, à l’automne 1852. Le croisement de ces sources permet de dégager une rhétorique politique codifiée, sur le mode de la répétition. L’analyse est conduite en trois moments. En premier lieu, considérer les titres de légitimité avancés par le pouvoir napoléonien, dans une construction argumentative qui refuse toute part au hasard et à l’événement exceptionnel. Récusant tout relativisme, l’Empire aspire à s’élever à la hauteur d’une exigence providentielle. La deuxième partie portera sur la formulation du salut social. Le vote napoléonien garantit l’intention morale des masses, les transfigurant en un peuple vertueux. En admettant le principe d’hérédité, le peuple valide plus qu’un cadre politique ou une nouvelle dynastie. L’acceptation plébiscitaire du pouvoir héréditaire s’intègre à une entreprise de conservation sociale et d’ordre moral. La famille et la propriété s’en trouvent garanties. Le troisième moment permettra d’envisager l’inscription de l’Empire dans le temps, terme entendu aussi bien comme suite chronologique que comme occurrence météorologique. La présence de l’empereur s’assortit, en effet, de phénomènes astronomiques, surgissant particulièrement sur fond de fulgurance solaire. L’arrivée du souverain métamorphose le temps qu’il fait : l’orage cesse, les rayons lumineux déchirent les nuées, indice de la prescience du regard souverain. Si le soleil louis-quatorzien est réprouvé, pour 4 son ardeur brutale réservée à quelques privilégiés, le soleil napoléonien prodigue à tous consolation et réconfort après les tourments. Il se plie, en outre, à l’idéal d’égalité, par la disposition de ses rayons équidistants, bonifiant ceux qu’il touche. D’ailleurs, voir, toucher le corps impérial s’accompagne d’intenses réactions physiques, consignées comme de véritables commotions, comparées par les contemporains à un « choc électrique ». Ce travail sur le ressenti politique soutient l’existence d’une foi napoléonienne, entretenue par le mythe de la quatrième race, inauguré par Napoléon Ier. En dernier lieu, la figure de César, dont la présence sur la scène iconographique progresse à mesure du déclin physique de Napoléon III, montre l’émergence d’un pouvoir d’Etat qui s’identifie à une silhouette abstraite, progressivement dissociée de son incarnation mortelle. Le recours à César, reflet de la dignité impériale intemporelle, soustraite à la corrosion du temps, témoigne d’une certaine résistance du système napoléonien à sa mue libérale, par cet essai de représentation abstraite de la tête du pouvoir, qui demeure l’incarnation intemporelle de la volonté du peuple entier. La doctrine napoléonienne ne saurait se limiter à un usage instrumentalisé du plébiscite. Les votes, même unanimes, ne suffisent nullement à sanctionner une légitimité dynastique. Or, c’est bien le cœur de la doctrine : non un pouvoir précaire, justifié par la capacité d’un homme exceptionnel à mettre fin à une situation hasardeuse, mais une dynastie prédestinée à l’exercice perpétuel de l’autorité. Louis-Napoléon Bonaparte n’est pas un Cavaignac ou un Changarnier qui aurait réussi. Il ne peut être envisagé comme annonciateur des Boulanger à venir. Héritier et fondateur d’une nouvelle lignée, l’homme refuse toute confusion avec les sauveurs occasionnels. Le napoléonisme, loin d’entretenir le mythe du sauveur, s’en méfie pour poser au préalable l’ascension de la quatrième race. Les Napoléon assument la nature monarchique de la France, tout en respectant les conditions nouvelles de l’exercice du pouvoir, l’exigence démocratique. D’où les qualificatifs hybrides de « démocratie impériale » ou d’« Empire démocratique » par lesquels le pouvoir se désigne. Les napoléoniens se destinent à adapter l’idéal monarchique aux normes de la société nouvelle. En réconciliant la nation avec son passé monarchique, la dynastie peut ainsi s’ouvrir sur l’avenir. L’inscription dans le flux historique est une donnée fondamentale. Le temps mortifère, qui use l’exercice de toute autorité, est également le temps qui féconde les relations de l’avenir. Le lien entre l’idée napoléonienne et la logique de l’histoire dépasse la simple référence érudite, qui servirait de palliatif aux lacunes théoriques d’un régime qui n’aurait fonctionné qu’au gré des circonstances. 5 Dès 1852, l’idée napoléonienne forme un tout cohérent, le droit de régner se situant au croisement de la logique démocratique, de l’espoir héréditaire et de la sentence providentielle. L’usage du suffrage universel est plus un geste de confirmation qu’un acte fondateur. La démocratie est assimilée d’abord à la garantie du respect de l’égalité politique, dont le droit de suffrage est la conséquence visible. Surtout, des formes distinctes de l’opération électorale sont valorisées comme moments privilégiés de l’expression populaire. L’adresse, l’acclamation « vive l’empereur », le monument éphémère dressé sur le passage de l’empereur sont autant de manifestations qui attestent du lien particulier noué entre le peuple et son dirigeant, dans la logique du don et du contre-don. Si le principe héréditaire se distingue par une relation fusionnelle entre le gouvernant et le peuple, la restauration héréditaire se traduit par la délégation de la souveraineté, vécue sur le mode de l’abdication volontaire. La transmission dynastique est désormais placée hors d’atteinte du jugement populaire, trop mobile pour donner des garanties de stabilité. Le trône est soustrait au verdict régulier des urnes. Ce mandat sans précédent fait de l’empereur le seul souverain, au détriment du peuple. Pour éviter la dégradation du système en despotisme, naît l’obligation d’une identité permanente entre l’action du pouvoir et les sentiments populaires. La logique de la communion des intérêts détourne toute suspicion d’usurpation de la délégation populaire. Cette permanence est vérifiée par la nécessité de satisfaire les besoins matériels des masses populaires. La coïncidence des sentiments éclaire le programme de développement économique et les projets d’amélioration sociale : l’assistance publique est une contrainte qui s’impose au souverain, par la source populaire de son pouvoir. Oublier cette réalité, occulter cette origine serait un reniement de sa légitimité. Les « progrès nécessaires », qui sous-tendent la politique sociale et économique, ne peuvent être compris autrement. Ce n’est nullement le produit d’un arbitrage politique, mais une obligation imposée par l’alliance initialement conclue entre le souverain et le peuple. La satisfaction des progrès nécessaires perpétue le droit dynastique, contrepartie du mandat remis par le peuple. Demeurer la représentation vivante des intérêts du pays, tel est le devoir de la nouvelle dynastie. C’est la mesure à l’aune de laquelle juger de la validité du règne, dans une logique d’exposition permanente au jugement commun. Enfin, l’hérédité instaure le régime en référence à un ensemble de valeurs morales. En effet, la légitimité napoléonienne relève de l’intervention de la transcendance. Régime providentiel, le vote universel témoigne de l’élection divine, et tient le rôle du sacre sous l’ancienne monarchie. L’assentiment de la volonté nationale, par un résultat unanime 6 perçu comme miraculeux, se fait le signe visible de la désignation providentielle. Le vote n’est plus un acte de la liberté humaine, mais la révélation d’un pouvoir prédestiné. C’est pourquoi l’obéissance au pouvoir napoléonien revêt un caractère obligatoire : la doctrine napoléonienne se réfère à un idéal de soumission volontairement admis. Le vote est revêtu d’une dimension pédagogique, et s’établit sur une base raisonnée. Il est le produit d’une expression unanime, témoin de la compréhension de l’intérêt général. L’autorité échappe à la simple contingence et baigne dans une aura sacrée. L’élection n’est plus l’expression de l’émancipation politique du peuple, qui désignerait son représentant selon un mouvement passionnel. Tout au contraire, la dynastie, sortie de l’urne électorale, bénéficie du double sceau de la raison et de la Providence, la nouvelle autorité étant revêtue, par la grâce de la reconnaissance populaire, du sceau de l’évidence. L’élection n’est d’ailleurs pas l’unique signe par lequel se manifeste l’origine divine du pouvoir. La soumission volontaire aux autorités régulièrement instituées témoigne de la même compréhension de l’essence divine de la constitution politique de la nation. Le napoléonisme se prétend légitime, car il s’affirme en concordance avec les besoins présents de la nation. Contrairement aux dynasties concurrentes, il est animé du même principe que la France moderne, l’idéal démocratique ; à la différence de l’idée républicaine, il se pose en pouvoir perpétuel, rempart contre l’anarchie et la corruption des mœurs. En effet, la dynastie fait œuvre de régénération : échappant à la mobilité des opinions humaines, le pouvoir héréditaire est responsable du salut moral du peuple, autant que de l’essor social et des améliorations matérielles du pays. L’hérédité napoléonienne fait corps avec la nation, la monarchie ne disposant nullement de droits séparés de ceux du peuple. Elle devient un élément de l’organisation politique, qui offre à l’être collectif qu’est le peuple son unité d’action. Elle est la tête et les nerfs du corps politique, selon une logique organiciste. Produit réfléchi du corps politique, le vote plébiscitaire n’en est pas moins envisagé comme un processus d’acculturation, par lequel le peuple se dépouille de ses mauvais instincts : le vote napoléonien transfigure la multitude, la populace traversée de pulsions contraires, en un peuple réconcilié, mu par une seule volonté, porté par un unique instinct. En 1852, en acclamant le prétendant, et en votant en faveur du rétablissement de la dignité impériale, les masses menaçantes et dangereuses des années antérieures se muent en un peuple raisonné : la « mauvaise blouse » est convertie en « bonne blouse ». Les acclamations et les votes appartiennent à un processus décrit explicitement comme expiatoire, le ralliement à l’empereur favorisant une entreprise de rédemption morale. En approuvant l’Empire héréditaire, ce sont d’abord des lois morales qui sont sanctionnées, des valeurs aux 7 fondements de la société bourgeoise : c’est pourquoi le régime s’attribue des vertus civilisatrices. Crédit sur l’avenir, l’hérédité incite au travail par la promesse d’un patrimoine désormais à l’abri des aléas politiques. La transmission héréditaire est le reflet, en matière politique, de la transmission patrimoniale au sein de l’espace familial. En approuvant l’hérédité du trône, le peuple adhère au mode de possession, répudiant toute idée communiste de partage des richesses. En imposant les normes du gouvernement pour les générations à venir, le vote affirme également l’autorité des pères sur leurs fils. Ainsi, le vote en faveur de l’hérédité permet l’appropriation de valeurs qui associent l’action de l’empereur au bien, et les attaques de ses ennemis au mal. D’un côté la modération, l’équilibre, la raison ; de l’autre, les passions, la démesure, la chimère. Portant atteinte à l’équilibre social, les oppositions au régime sont rejetées hors de la trame chronologique : les légitimistes et orléanistes sont renvoyés à un passé archaïque désavoué par la Révolution ; les républicains, accusés de dessiner un futur qui abolirait toute rectitude morale. La dynastie napoléonienne est la seule à présenter une certitude d’avenir dans le respect des lois fondamentales de la nation. En s’appropriant la chronologie, les napoléoniens évacuent les oppositions de la simultanéité du présent. L’idée napoléonienne a cultivé l’espoir d’incarner une monarchie démocratique, sous les auspices d’une désignation providentielle. Cette doctrine politique a prétendu justifier l’irruption de la nouvelle dynastie par le recours à la tradition nationale, en établissant une similitude entre les conditions d’arrivée au pouvoir des quatre races successives qui ont régné sur la France. Le régime se confère une origine nettement antérieure au premier Empire. Il se perçoit comme l’accomplissement d’antiques droits populaires, réalisant la monarchie tempérée qui aurait été au cœur du projet royal de la Renaissance, avant d’être dévoyée par l’absolutisme des Bourbons. Par cette relecture de la notion de tradition, les Napoléon ne sont pas loin d’incarner le légitimisme monarchique, au détriment des Bourbons traîtres à leur mission et désormais rejetés du côté de l’usurpation. Le bonapartisme a inauguré un courant amené à peser durablement sur notre espace politique, influence accentuée par le contexte présidentiel de la Ve République. C’est pourquoi la descendance des influences césariennes a donné lieu à de multiples études. Ainsi, René Rémond voyait dans le bonapartisme l’acte de naissance de la droite autoritaire. Au contraire, l’étude des ascendances exploitées par le pouvoir impérial, la réinvention de traditions afin d’édifier une légitimité dynastique, ont été délaissées. Il s’agit d’exhumer, non la postérité du bonapartisme au sein de nos références contemporaines, mais la sensibilité napoléonienne constituée en doctrine de règne, qui va servir d’assises à tout le second Empire. 8