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Il convient de relativiser la vision d’un pouvoir qui se serait appuyé sur l’appel
au peuple. L’étude des assises du régime napoléonien permettra d’établir une appréhension
originale du temps historique, principe de légitimation. Se donnant pour finalité de réconcilier
les traditions anciennes et les valeurs issues de la rupture révolutionnaire, le napoléonisme a
pour projet d’« unir des siècles ennemis ». Les apôtres de l’Ancien Régime sont renvoyés à
leur nostalgie stérile pour le passé. Les idéalistes républicains, quant à eux, sont accusés de
nourrir un futur fantasmagorique, propre à attiser des passions destructrices de l’ordre social.
Entre un passé révolu et un avenir utopique, les deux courants antagonistes, renvoyés aux
extrêmes de l’éventail politique, sont condamnés en raison de leur incompréhension des
besoins présents. Mais leurs idéaux respectifs (primauté du prince héréditaire et représentation
populaire) n’en sont pas moins intégrés dans le giron napoléonien.
Le napoléonisme assurerait la réconciliation des deux France, en fusionnant
des vérités qui auraient été l’apanage d’époques autrefois rivales. L’histoire, promue au rang
d’expérience objective, renseigne sur le dispositif théorique. La renaissance même de l’idée
napoléonienne, intacte après une éclipse de près d’un demi-siècle, exprimerait sa nécessité
(renaissance qui est lue à travers le prisme chrétien de la résurrection). Ainsi, l’ère
napoléonienne, conforme à la loi historique et respectueuse de traditions nationales largement
réinventées, prétend accomplir en matière institutionnelle les prédictions du positivisme. Son
triomphe s’apparente à l’âge scientifique, le recours à l’histoire illustrant la logique naturelle
qui mènerait irrévocablement à la résurgence de la dynastie. L’aigle napoléonienne renaît,
nouveau phénix, pour redonner vie et souffle à la France en souffrance, comparée à la figure
biblique de Lazare, réveillé par la main du Christ.
L’Empire ne s’est jamais qualifié de second, puisqu’il se concevait comme une
restauration impériale, même si le terme était soigneusement banni des textes administratifs
de l’automne 1852. Les contemporains ne se seraient certainement pas reconnus dans les
périodisations classiques, qui distinguent Empire autoritaire et Empire libéral. L’évolution
perçue va d’un système qualifié de personnel, où l’empereur absorbe le suffrage universel, à
un gouvernement appelé libéral, où la responsabilité ne pèse plus uniquement sur le
souverain. L’abandon des contraintes autoritaires se fait l’indice d’une dynastie affermie,
assurée d’un consensus au sein de l’opinion. Le cadre autoritaire s’est pensé comme
temporaire, sorte de dictature transitoire imposée par le trouble des consciences, en proie à
l’anarchie des valeurs : le premier devoir du gouvernement impérial est d’assurer
l’amélioration morale et sociale des éléments populaires. Cet état de contrainte prépare
l’émergence du nouvel Empire, lié à la liberté sans répudier ses principes fondateurs, reposant