solidarité naturelle, « inscrite dans les gènes1 » des individus, dont l’intervention étatique empêcherait la bonne
expression. François Guillaumat suggère en effet que si cette forme de solidarité naturelle est si peu connue et
admise, c’est parce que « les étatistes ne veulent en aucun cas que l'on découvre une "solidarité sociale" qui
passe par la liberté personnelle. » Le rejet de l’intervention étatique suppose pour les libéraux une forme
d’organisation « responsabilisante », dans laquelle chaque individu participe à hauteur de sa volonté et de ses
moyens. Concrètement, les libéraux proposent en général la mise en œuvre d’un système mutualiste, basé sur le
volontariat, et adossé à des organismes philanthropiques financés par le mécénat ou la charité (comme par
exemple les fondations). Liberté, non intervention de l’Etat et systèmes de protection mutualistes (et volontaires)
forment ainsi les piliers de l’approche libérale de la solidarité.
Sur le plan économique, c’est là encore le rejet de l’Etat, mais aussi l’hypothèse de mécanismes naturels propres
aux marchés, qui fondent une partie de la théorie libérale en matière de solidarité. Comme le résume Pierre Muet
(1996) « depuis Walras et Pareto, le paradigme libéral dispose d'un redoutable socle, à la fois théorique et
normatif : la théorie de l'équilibre général concurrentiel. Elle montre en effet que, dans le cadre de la
concurrence parfaite, le système de prix coordonne tellement bien l'activité des agents économiques que tout
individu poursuivant son intérêt propre aboutit à un optimum pour la collectivité. Dans un tel univers, la
solidarité est tout aussi inutile que l'intervention publique, qui est au mieux inefficace, au pire nuisible. »
C’est évidemment sur cette base idéologique qu’ont été élaborées les politiques de libéralisation menées à
partir des années 1980 aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, menant au recul spectaculaire de l’Etat
providence dans ces deux pays.
Aux USA : admettre l’échec des politiques libérales… sans revenir à l’Etat
providence
Aux Etats-Unis, c’est sans doute Steven Goldsmith, l’un des principaux promoteurs de
l’innovation sociale et du « social entrepreneurship », qui exprime le mieux l’évolution
de la prise en charge de la solidarité à travers les âges. Dans son
ouvrage au titre évocateur (« The Power of Social Innovation »),
Goldsmith (2010) suggère que la société américaine débute
actuellement « une nouvelle période dans sa manière de résoudre les
problèmes sociétaux les plus épineux. Lors du premier stade, au
début du 20ème siècle, ces problèmes étaient encore largement du
ressort du cercle familial et des organisations caritatives. Le
deuxième stade, marqué par l’Etat providence, a vu les
gouvernements assumer la lutte contre la pauvreté en lieu et place
des acteurs privés. Lors du troisième stade, les gouvernements ont
voulu répondre aux problèmes sociétaux via des partenariats avec le
privé, consistant à sous-traiter les services publics dans une optique
concurrentielle : malgré certaines réussites, les partenariats mis en
place se sont souvent révélés trop directifs et trop axés sur la
réduction des coûts. Le quatrième stade qui débute verra les
gouvernements s’appuyer sur la capacité du secteur privé
(entreprises et organisations à but non lucratif) à fournir des innovations de rupture ou
“transformatives”. » (cité par The Economist, 2010) Le point de vue a le mérite d’être
clair : Steven Goldsmith, ancien élu républicain connu pour sa gestion serrée du
portefeuille public, se positionne dans une perspective qui admet certes l’échec partiel
de la libéralisation et de la privatisation à outrance, mais qui exclut tout autant un
quelconque retour de l’Etat providence dans les affaires touchant à la solidarité. La
solution d’avenir consisterait selon lui à confier la charge de la solidarité aux acteurs
locaux, aux « entrepreneurs sociaux » et autres acteurs appartenant au champ de
« l’innovation sociale » (termes sur lesquels nous reviendrons d’ici peu).
1 « Les experts militaires ne doutent pas que cette solidarité-là est inscrite dans les gènes, quand ils voient la
force des obligations que ressent vis-à-vis des autres chaque membre d'un groupe de combat. » (Guillaumat,
2006)