Revue des Questions Scientifiques, 2014, 185 (4) : 363-372 Controverses autour de la transgénèse végétale : des visions du monde divergentes Marcel Kuntz Directeur de recherche au CNRS à Grenoble (France) [email protected] Dernier ouvrage paru : OGM, la question politique (Presses Universitaires de Grenoble, 2014) Résumé Cet article propose de s’éloigner de la dichotomie naturel vs. artificiel en ce qui concerne les OGM, pour cerner trois « cadrages » des risques supposés de la technologie, qui sont autant de visions du monde (moderne, écologiste et postmoderne). Les leçons de la gestion politique du dossier, tant par certains pouvoirs publics que par certains instituts de recherche ou d’évaluation des risques européens sont discutées. Quelques définitions D’un point de vue juridique, un OGM est un organisme vivant (microorganisme, végétal ou animal) qui a subi par une étape en laboratoire une modification des caractéristiques génétiques initiales, par ajout, suppression ou remplacement d’au moins un gène. Dans le cas des plantes, la législation européenne sur ces « organismes génétiquement modifiés » exclut en fait la plupart des techniques d’amélioration des plantes (comme la sélection variétale assistée par marqueurs, la mutagenèse provoquée, la fusion cellulaire et les autres techniques de culture in vitro) pour ne retenir que la transgénèse. 364 revue des questions scientifiques Celle-ci consiste à greffer (en quelque sorte) un gène afin de procurer à la plante et à sa descendance un nouveau caractère génétique (on parle de plante transgénique). Si l’opération réussit, cette lignée « exprimera » donc un nouveau gène (transgène) présent dans son patrimoine génétique (aussi appelé génome ou chromosomes). Ce gène pourra donc déterminer la production d’une nouvelle protéine, car le code génétique (la correspondance entre ADN et protéine) est universel. Les protéines sont (entre autres fonctions) les catalyseurs de la chimie du vivant. Ainsi la protéine nouvelle, par une réaction ou une interaction biochimique, permettra à la plante transgénique d’être tolérante à un herbicide, résistante à certains insectes ravageurs ou à un virus, comme c’est le cas pour les lignées de plantes transgéniques commercialisées de première génération. Parmi les plantes de seconde génération, citons le Riz Doré (Golden Rice) enrichi dans sa graine en béta-carotène, le précurseur de la vitamine A. Les concepts de Nature et d’Artifice Il est douteux que la distinction entre naturel et artificiel décrive adéquatement les interactions de l’agriculture avec l’environnement, ni les conséquences de l’agriculture moderne en terme de santé. En effet, toutes les plantes de culture ont été largement sélectionnées par l’Homme depuis l’invention de l’agriculture au néolithique. Citons le maïs domestiqué à partir de la plante naturelle téosinte au Mexique il y a quelques milliers d’années, puis sélectionné pour l’adapter aux besoins humains en produisant les variétés dites traditionnelles du Mexique et d’autres pays, puis les hybrides productifs modernes. Ajouter un transgène est certainement un processus artificiel, mais où se situe la limite entre naturel et artificiel dans l’évolution entre téosinte et maïs ? Les premiers maïs domestiqués ne sont-ils pas déjà artificiels ? Les mêmes remarques s’appliquent pour les autres grandes cultures alimentaires de l’humanité (blé, riz, colza, etc.). En fait, plus la culture d’une espèce végétale est importante, plus ses caractéristiques génétiques ont été améliorées. Ainsi, n’avons-nous pas tendance à appeler « naturelles » des plantes objectivement artificielles, mais qui nous sont familières. La dichotomie nature/artifice semble donc peu pertinente, mais pourtant présente dans controverse autour de la trangénèse végétale 365 le regard contemporain sur la Nature, et susceptible de régénérer nombre de mythes négatifs. Dont certains issus de l’Antiquité, mais qui nous parlent encore. Examinons d’autres arguments, plus étayés. Points de vue sur les risques des OGM Un premier point de vue sur les OGM retient qu’il s’agit d’un gène « étranger » : la « barrière des espèces » a été abolie. Un autre point de vue relativisera la notion d’espèce chez les plantes, d’autant plus que l’hybridation interspécifique est couramment utilisée pour l’amélioration des plantes cultivées - cela n’implique pas cependant des gènes d’organismes aussi « distants » que les bactéries. Cependant, il n’y a pas de lien de causalité entre l’« étranger » et le danger (certaines bactéries sont effectivement pathogènes, mais d’autres sont utiles à notre santé). De plus, on remarquera qu’une plante est une plante (capable d’assimiler le gaz carbonique par la photosynthèse) grâce aux chloroplastes, qui sont en fait dérivés d’une ancienne bactérie qui a colonisé une cellule « hôte » (il y a environ un milliard d’années), avec ses gènes « étrangers ». On constatera ainsi que les notions de « pureté » et d’« identité » s’opposent ici à celle de « diversité ». En examinant la transgénèse sous un autre angle, le premier point de vue s’inquiétera du caractère intrusif et perturbateur du transfert de gènes. Le deuxième retiendra la « plasticité des génomes » : des transferts naturels de gènes existent entre espèces éloignées (on parle de transfert « horizontal » de gènes) ; il existe d’autre part des gènes dit « sauteurs » (ou transposons) qui se déplacent le long des chromosomes de manière plus ou moins aléatoire ; de plus l’ADN des chloroplastes (dérivé de la bactérie ancestrale) est souvent relâché par ces organites et peut s’intégrer dans les chromosomes du noyau des cellules (un phénomène fréquent à l’échelle de la vie d’une plante). Le premier point de vue insistera sur les conséquences de la transgénèse, en les jugeant imprévisibles et irréversibles. Le deuxième considérera que les risques sont maîtrisables, en raison des progrès de la connaissance (la recherche a effectivement accumulé des connaissances remarquables sur les OGM) et que nous sommes en face d’une simple évolution des pratiques (déjà artificielles). L’inquiétude et la confiance s’opposent donc sur cette question comme sur d’autres. Pour être plus spécifique, se trouve ainsi face à face les 366 revue des questions scientifiques mythes fondateurs de l’écologisme et la vision « moderne » (que Nietzsche qualifiait de « mythe rationnel de l’Occident »). Dans un troisième « cadrage » (appelé « postmoderne » en reprenant le terme de Pierre-Benoit Joly et collègues1), les OGM s’inscrivant en rupture, l’incertitude étant forte et non maîtrisée et les effets des OGM étant irréversibles , ces technologies doivent être « co-construites », l’expertise doit être « large, plurielle et contradictoire » et prendre en compte l’ensemble des effets (y compris socio-économiques). Il est à noter ses similitudes de vues avec l’écologisme (incertitudes, effets irréversibles, etc.). Tandis que la logique d’action « moderne » est d’accompagner la diffusion des OGM et d’éduquer le consommateur de façon objective, la logique d’action « postmoderne » est d’organiser la participation des « citoyens », le débat contradictoire et le moratoire. Ces deux logiques ont été expérimentées lors de la querelle des OGM et nous les examinerons de manière critique ci-dessous. La nature politique des oppositions Un des facteurs déclencheurs de la querelle des OGM est la question de la propriété des semences. Il s’agit en fait d’une querelle ancienne (déclenchée lors de la mise sur le marché des semences hybrides dans les années 1950). Dans cette vision, tout à fait légitime, de l’agriculture, acheter (des semences, des intrants, etc.) est considéré comme une « dépendance ». Mais n’y a-t-il pas là un malentendu ? Si aux Etats-Unis et au Canada un brevet est une forme légale de protection d’une variété végétale, cela n’est pas le cas partout, bien au contraire. Ainsi en Europe une variété végétale n’est pas brevetable. Celleci est protégée par un certificat d’obtention végétale qui permet à l’agriculteur qui l’a achetée de la resemer sur son exploitation. Un gène n’est pas lui-même brevetable, seule une invention basée sur un gène l’est2. Les arguments rhétoriques sur la « privatisation du vivant » sont donc largement exagérés, même s’il peut exister des abus en la matière. 1. Joly P.B., Assouline G., Kréziak D., Lemarié J., Marris C., Roy A. (2000) L’ inno- 2. Le Buanec B., Ricroch A. (2011). Comment protéger les innovations végétales. In A. Ricroch, Y. Dattée, M. Fellous (dir.), Biotechnologies végétales, environnement, alimentation, santé (Vuibert). vation controversée: le débat public sur les OGM en France (rapport, INRA). controverse autour de la trangénèse végétale 367 Le caractère politique de la querelle est parfaitement illustré par cette déclaration de Bruno Rebelle (alors un cadre de Greenpeace France) lors d’une table ronde d’un débat sur les OGM au Conseil Economique et Social, en France, le 4 février 2002 : « Nous n’avons pas peur des OGM. Nous sommes seulement convaincus qu’ il s’agit d’une mauvaise solution ». « Les OGM sont peut-être une merveilleuse solution pour un certain type de projet de société. Mais justement, c’est ce projet de société-là que nous ne voulons pas ». La querelle des OGM s’est construite autour de publics réceptifs (exprimant des valeurs, des sentiments identitaires, des méfiances, etc.), et des publics se sont construits en fonction des problématiques que certains groupes ont « mis sur agenda ». Une querelle sans progrès notable depuis son origine, accompagnée de violences. Sporadiques au début des années 90, les destructions sont devenues une stratégie politique, avec comme première cible choisie Monsanto (le 7 juin1997, en France, sous la forme d’un champ expérimental de colza). Puis, à partir de 1999, également des essais de la recherche publique. Environ 80 attaques contre la recherche publique ont ainsi été recensées en Europe3, rendant aujourd’hui quasi impossible ces recherches dans de nombreux pays. La question des risques est devenue un argument commode pour les opposants aux OGM, qui remplace avantageusement- médiatiquement parlant- leurs visions sans doute très hétérogènes du futur de l’agriculture. Il faut se rappeler que se sont ainsi coalisés contre les OGM des groupes radicalement anti-capitalistes et des entreprises privées comme la multinationale de la grande distribution Carrefour !. Cette société finance ainsi depuis des années diverses opérations anti-OGM et a contribué à l’attribution d’un cadre juridique à l’étiquetage « nourris sans OGM » en France par exemple. L’analyse des risques et son inversion politique Quels sont réellement ces risques ? Dans le cas de ces plantes transgéniques, les risques considérés, après une large concertation scientifique et internationale, sont sanitaires d’une part - la nouvelle lignée de plante pourrait avoir une composition biochimique modifiée, ou des teneurs en toxines ou en allergènes augmentées. D’autre part, les risques environnementaux potentiels 3. Kuntz M. (2014) OGM, la question politique (Presses Universitaires de Grenoble). 368 revue des questions scientifiques incluent les effets sur la faune et la flore, l’apparition de résistance chez les insectes ou chez les vecteurs de maladie combattus, et les conséquences de la dissémination des graines ou des gènes (via le pollen) de la plante transgénique. L’évaluation scientifique des risques est une condition nécessaire mais non suffisante pour l’autorisation de mise sur le marché d’une lignée transgénique. Aux Etats-Unis comme en Europe cette évaluation est une démarche comparative (par rapport à une lignée de référence jugée sûre, ou du moins qui présente un niveau de risques accepté). Elle procède également cas par cas (chaque « événement » de transgénèse est évalué individuellement) et pas à pas (par une démarche normalisée et raisonnée). L’évaluation des risques constitue le point de départ de la démarche d’analyse des risques. Elle permet des recommandations pour une gestion des risques appropriée (qui est in fine de la responsabilité des pouvoirs publics), en y incluant les dimensions réglementaires, organisationnelles et humaines. La troisième composante de l’analyse des risques est la communication sur les risques, dans laquelle la dimension du « débat public » peut légitimement trouver sa place. Suivant la forme que l’on donnera à ce débat, il peut conduire à un enrichissement démocratique constructif, ou au contraire favoriser des « clivages » irréductibles ou constituer une intrusion dans l’application de la méthode scientifique pour l’évaluation des risques. L’équation qui gouverne l’évaluation des risques s’énonce ainsi : Risques = Danger (l’impact négatif d’un événement) X Exposition au danger (la probabilité de l’événement). Quelquefois (c’est le cas en France par exemple), les responsables politiques perçoivent cette équation de la manière suivante : Risque (politique) = Danger X Exposition médiatique du danger et inversent l’analyse des risques en choisissant d’abord une stratégie de communication sur les risques (généralement ceux qui sont médiatisés), puis définissent la gestion des risques en fonction de cette stratégie, et finalement soit se retranchent derrière le principe de précaution, soit fabriquent de toutes pièces une « évaluation des risques » aux conclusions préétablies pour être en adéquation avec leur gestion des risques. controverse autour de la trangénèse végétale 369 L’un des exemples les plus visibles d’un tel dévoiement, à des fins partisanes, de l’évaluation des risques est celui qui a conduit le Ministère de l’Ecologie du gouvernement de Nicolas Sarkozy, de manière récurrente entre la fin 2007 et mars 2012, à produire des documents « scientifiques » très orientés (déformation des faits scientifiques, conclusions détournées, etc.) en vue de justifier son interdiction politique de la culture du maïs génétiquement modifié MON810 (suite aux tractations avec les organisations écologistes pour les convaincre de cautionner le débat national sur l’environnement à l’automne 2007, connu sous le nom de « Grenelle de l’environnement »). Ces pratiques ne sont pas sans poser question au regard de l’éthique de l’expertise scientifique relative aux risques collectifs4. Elles ont été poursuivies par le gouvernement de François Hollande en 2014. La Commission officiellement chargée de l’évaluation des risques biotechnologiques, le Haut Conseil des Biotechnologies, étant court-circuité au profit d’auteurs anonymes. Comment sortir des controverses sur les OGM ? L’approche « moderne » qui vise à éduquer le public dans une logique d’« acceptabilité sociale » peut difficilement se prévaloir d’un franc succès au regard de la poursuite de la controverse sur les OGM depuis plus de 15 ans. Faut-il pour autant renoncer à l’impératif démocratique de partage du savoir ? Cette approche n’a-t-elle pas perdu la bataille faute d’avoir insuffisamment investi Internet afin de contrer la propagation de rumeurs dans une démocratie devenue celle « des crédules »5. On notera le succès – certes ponctuel – de la démarche de communication du Rothamsted Institute en Grande-Bretagne qui avec détermination a su gagner la bataille de l’opinion et empêcher la destruction d’un essai de blé transgénique repoussant des pucerons sans usage de pesticides6. 4. 5. 6. Godard O. (2014) Contexte et enjeux d’une éthique de l’expertise scientifique. Les risques collectifs environnementaux et sanitaires. In T. Martin (dir.) Éthique de la recherche et risques humains (Presses Universitaires de Franche-Comté, Coll. Cahiers de la MSHE Ledoux, série 3), pages 41-62. Bronner G. (2013) La démocratie des crédules (Presses Universitaires de France). http://www.rothamsted.ac.uk/our-science/rothamsted-gm-wheat-trial 370 revue des questions scientifiques Qu’en est-il de l’approche concurrente, « postmoderne » ? Selon Alan Sokal7 le postmodernisme est un courant intellectuel caractérisé par le rejet de la tradition rationaliste des Lumières, par des élaborations théoriques indépendantes de tout test empirique et par un relativisme cognitif et culturel qui traite les sciences comme des « narrations » ou des « constructions sociales ». Ce courant des sciences humaines et sociales a su présenter un discours cohérent face au désarroi des chercheurs en butte aux contestations sur des technologies, voire à la violence, ou encore à la médiatisation de résultats hétérodoxes par des scientifiques militants. Cependant, le but était-il de sortir des controverses, ou de les encourager ? Ainsi Michel Callon et ses collègues8 ont écrit : « Il ne faut pas se contenter d’attendre que les controverses se déclarent. Il faut les aider à émerger, à se structurer, à s’organiser ». Les thèmes post-modernes, teintés de relativisme, sont la « participation des parties-prenantes » (« stakeholders »), la « co-production des savoirs » et la mise en controverse de questions qui relève de la méthode scientifique. Et même la « science en procès »: « Ces “ jurys d’assises” pour la science sont des procédures efficaces de communication et de décision politique en situation de controverse. Combinées au principe de précaution, elles constituent une réponse réaliste à l’ impuissance de notre société à contrôler le cours du développement technoscientifique ». On mesurera l’influence de cette pensée en précisant que l’auteur, Michel Claessens9, au moment où il écrivait cela, était responsable de la communication à la Commission européenne dans la Direction Générale de la recherche. Il faut noter aussi l’exploitation du relativisme pour décrédibiliser les scientifiques qui ont évalué les technologies, et également la méthode scientifique elle-même. Un travail de sape de l’évaluation des risques par l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) est ainsi en cours. Par exemple, selon Wickson et Wynne10, une activiste écologiste et un sociologue postmoderne, il y aurait une « EFSA science » et une « non-EFSA 7. Sokal A. (2005) Pseudosciences et postmodernisme : adversaires ou compagnons de route ? (Odile Jacob) 8. Callon M., Lascoumes P., Barthe Y. (2001) Agir dans un monde incertain- Essai sur la démocratie technique (Seuil). 9. Claessens M. (2009) Science et communication : pour le meilleur ou pour le pire ? (Quae, collection science en question) 10. Wickson F., Wynne B. (2012) The anglerfish deception. EMBO Reports, 13: 1000-1005. controverse autour de la trangénèse végétale 371 science » ; la « science de l’EFSA » se couvrirait d’« un manteau de fausse objectivité scientifique, unique et incontestable ». Alors que, bien sûr, l’évaluation des risques fait appel à la méthode scientifique et à l’ensemble des données de la littérature scientifique, et non à une « science » qui serait spécifique de l’EFSA11. L’expérience « interactive » de l’INRA sur une vigne au portegreffe transgénique En 2001, la Direction de l’INRA chargea des chercheurs en sciences sociales (du courant postmoderne dit des « science studies ») de conduire un processus de concertation sur la reprise d’un essai au champ de cette vigne. Les buts affichés : une « aide à la décision pour la direction INRA et la mise en oeuvre d’un dispositif pour produire des connaissances sur l’ évaluation technologique participative ». À partir de septembre 2001, il fut mis sur pied un groupe de travail représentatif des parties prenantes (professionnels de la vigne et du vin, chercheurs, « profanes ») et des divers modes de pensée. Un an plus tard, après délibérations du groupe, un rapport fut remis à la direction de l’INRA. Il comportait un encouragement (non unanime) pour la reprise des essais au champ (sous de multiples conditions). Malgré ce processus délibératif, le 1er février 2003 des associations de l’écologie politique dénoncèrent « L’expérience pilote OGMVigne : un programme de manipulation de l’opinion ». En mars 2003 fut mise en place un Comité Local de Suivi (CLS) « doté d’une large représentation des parties intéressées » (ce qui signifie que les opposants y étaient nombreux ) et l’essai repris à l’INRA de Colmar en 2004. L’INRA se félicita de cette expérience de sociologie postmoderne appliquée qui a « élaboré une méthode de recherche-action innovante qui pose comme principe à la fois la reconnaissance des savoirs, mais également la validité d’autres modes de raisonnement ». Dans un article publié en 2010, cosigné par le CLS et des chercheurs de l’INRA12, les difficultés du « débat » à l’intérieur du CLS étaient qualifiées de « dissensions structurées », et les pressions des opposants aux biotechnologies (pour réorienter les recherches de l’INRA en faveur de 11. En réponse à Wickson et Wynne : Kuntz M. (2012) The post-modern assault on science. EMBO reports, 13: 885-889. 12. http://www.plosbiology.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pbio.1000551 372 revue des questions scientifiques l’agriculture biologique, loin des biotechnologies) étaient minimisées : « The controversy that provided the foundations for discussion was transcribed into pertinent research questions that could then be addressed by scientists ». En septembre 2009, l’essai au champ fut vandalisé par un individu, puis repris, et à nouveau détruit le 15 août 2010, par 65 activistes qui furent condamnés à des amendes et certains à de la prison avec sursis en première instance, mais relaxés sur le volet pénal par la Cour d’Appel de Colmar le 14 mai 2014.13 Conclusions provisoires L’expérience de l’INRA indique que même un processus participatif long et coûteux, qui a cédé à peu près tout ce qu’il était possible de céder, ne permet pas de sanctuariser les recherches sur des technologies en controverse pour des raisons politiques. Il en va de même de l’EFSA régulièrement accusée de « conflits d’intérêt » par les opposants aux OGM, mécontents que l’agence européenne rende des avis contraires à leurs opinions14. On notera à ce sujet que les efforts d’ouverture et de transparence de l’EFSA et son « écoute des points de vue des parties tierces, notamment les parties intéressées »15n’ont pas empêché un nouvel échelon d’antagonisme d’être franchi en mars 2014 sous la forme d’une intrusion d’activistes dans leurs locaux à Parme. La querelle des OGM, parce qu’elle pose une « question politique »16, ne pourra trouver de solution consensuelle. La seule porte de sortie, dans une direction ou une autre, ne peut être ouverte que par un choix politique pleinement assumé par les autorités politiques, et non par les seuls efforts de la recherche et de l’expertise publiques livrées à elles-mêmes en raison de la pusillanimité desdites autorités politiques. 13. Le 19 mai 2014 le Parquet général de Colmar se pourvoit en cassation contre cette décision 14. Les opposants aux OGM font en effet un large usage de l’« ultime stratagème » rhétorique d’Arthur Schopenhauer (L’art d’avoir toujours raison) qui propose qu’à court d’argument factuel on se livre à des attaques personnelles. 15. http://www.efsa.europa.eu/fr/values/transparency.htm 16. Kuntz M. (2014) OGM, la question politique (Presses Universitaires de Grenoble).