L`astronomie et l`astrophysique au Canada aujourd`hui

L'astronomie moderne est véritablement une entreprise internationale dans laquelle les
Canadiens ont joué des rôles exceptionnels et bien définis. En 2000, les astronomes canadiens
constituent une communauté de chercheurs certes peu nombreuse, mais jouissant d'un grand
prestige scientifique international. Au cours des trois dernières décennies, nos réalisations et
innovations ont été impressionnantes, reconnues par nos pairs du monde entier. Mentionnons
quelques faits saillants : notre influence sur la conception, l'utilisation scientifique et la technolo-
gie des télescopes jumeaux Gemini de 8 mètres, du TCFH de 3,6 mètres et du TJCM de
15 mètres; notre leadership dans d'importants projets de collaboration comme le Canadian
Network for Observational Cosmology (CNOC), le Canada-France-Redshift Survey (CFRS), le
Relevé canadien du plan galactique (RCPG); nos capacités d'archivage des bases de données
cruciales du HST et d'autres sources, grâce au CCDA; notre proéminence en astrophysique
théorique, grâce à l’ICAT.
Par ailleurs, ces succès ne doivent pas masquer le fait qu’il manque à l'astronomie canadienne
plusieurs des installations stratégiques majeures dont profitent nos partenaires internationaux.
En effet, par rapport aux astronomes des autres nations industrialisées, les astronomes
canadiens ont, en 2000, un accès limité aux observatoires spatiaux, ils disposent de peu de
moyens pour former des constructeurs d'instruments et fabriquer de petits instruments pour
les futurs observatoires. Leur niveau de financement est anormalement faible et tout à fait
insuffisant pour assurer leur participation aux projets des grands observatoires mondiaux qui
domineront l'astro-nomie au cours des prochaines décennies.
Dans le présent chapitre, nous décrivons en détail l'état actuel de l'astronomie au Canada :
nos installations, les réalisations de nos astronomes avec celles-ci, et notre succès dans la
formation de nouvelles générations de scientifiques et de techniciens qualifiés.
31
C H A P I T R E 3
L'astronomie et
l'astrophysique au
Canada aujourd'hui
3.1 Les observatoires internationaux
Les Canadiens travaillent dans des observatoires internationaux érigés sur quelques-uns des
meilleurs sites d'observation au monde. Le temps d'observation, dans ces installations de
premier plan, s'obtient sur présentation de demandes par les astronomes des pays participants,
ces demandes étant évaluées par voie de concours. Dans la plupart des cas, le facteur de
surdemande (c'est-à-dire le nombre de nuits d'observation demandées chaque semestre, divisé
par le nombre de nuits d'observation disponibles) est en moyenne de 3 pour 1, mais peut
atteindre 10 pour 1 à certaines époques, lorsque la visibilité de certains objets importants pour
la recherche est optimale.
Le télescope CFH
Le télescope Canada-France-Hawaii (TCFH) est un instrument optique/infrarouge de 3,6
mètres, sis sur une crête dominant le Mauna Kea, le plus grand des pics volca-niques
inactifs de la « grande île » de l'archipel Hawaii, à une altitude de plus de
4 000 mètres. Ce télescope est exploité conjointement par le Canada (42,5 %), la France (42,5
%) et l'Université d'Hawaii (15 %).
Depuis sa mise en service en 1979, le TCFH a été le vaisseau amiral de l'astronomie
canadienne, et l'un des principaux laboratoires de toute la science canadienne. Le sommet du
Mauna Kea culmine au-dessus de près de la moitié de l'atmosphère de la Terre, et il est entou
de tous les côtés par l'océan Pacifique. La qualité de ce site pour l'observation astronomique (le
nombre de nuits dégagées, la noirceur du ciel nocturne, et particulièrement la netteté ou la «
qualité visuelle » des images des étoiles) est sans égale n'importe où sur la Terre.
Le TCFH fonctionne dans les régions visible et proche infrarouge du spectre. Ses caméras
et spectrographes numériques –
tous construits par les laboratoires partenaires au Canada, en France et à Hawaii – s’améliorent
continuellement et sont à la fine pointe des progrès technologiques dans le domaine des
détecteurs et de la conception des instruments.
Les astronomes canadiens ont accès au TCFH environ 150 nuits par année. Parmi les grandes
réalisations des équipes canadiennes avec ce télescope, mentionnons les sui-vantes :
32
L ' A S T R O N O M I E E T L ' A S T R O P H Y S I Q U E A U C A N A D A A U J O U R D ' H U I
Le dôme du télescope Canada-
France-Hawaii culmine à 4 000
mètres, au sommet du Mauna Kea,
sur la « grande île » d'Hawaii.
CFHT Corporation. Photographie
gracieuseté de Jean-Charles Cuillandre,
TCFH
(1) L'utilisation avant-gardiste de techniques permettant de mesurer la vitesse des étoiles
proches avec une précision plus grande que ce qui avait été obtenue auparavant (une décennie
avant les autres équipes, qui utilisent maintenant ces mêmes techniques pour trouver des
planètes autour des étoiles proches).
(2) La première preuve observationnelle manifeste que les trous noirs supermassifs sont
monnaie courante au centre des grandes galaxies.
(3) L'étude des vieilles populations stellaires et des systèmes d'amas globulaires dans la Voie
lactée et les autres galaxies proches, ce qui a permis de comprendre les méca-nismes qui
étaient à l’œuvre au début de la formation galactique.
(4) L'étude du décalage vers le rouge des galaxies, qui a démontré que la population galactique
évolue avec le temps à l'échelle cosmique. Ce résultat signifie que le rythme de formation des
étoiles a été beaucoup plus intense dans le passé.
(5) La preuve d'une « faible » densité cosmologique de matières dans l'espace, Ωo = 0,3,
établie à partir de la mesure du mouvement des galaxies dans de grands amas.
Un autre apport important du TCFH à l'astronomie mondiale aura été son influence sur
la conception des télescopes et sur la qualité des images. Les astronomes ont en effet
démontré, à l’aide du TCFH, qu'il était possible d'obtenir des images d'une très grande
qualité avec un gros télescope au sol. Cela a été possible grâce à l'utilisation de nouvelles
caméras à optique adaptative. Aujourd'hui, tous les nouveaux télescopes au sol incorporent ces
mêmes techniques pour contrôler la qualité des images, y compris la nouvelle génération des
télescopes optiques/infrarouges de 8 mètres.
L'innovation instrumentale sur le TCFH se poursuit. Dans le proche infrarouge, on utilise
régulièrement une caméra à optique adaptative, construite conjointement par le Canada et la
France, et dont la qualité des images est égale à celle offerte par le télescope spatial Hubble
pour de petits champs de vision. La principale mission du TCFH, pour la première moitié de la
prochaine décennie, sera l'utilisation de nouvelles caméras (Megaprime, WIRCAM) qui offriront
un grand champ de vision, inégalé dans le monde, avec une qualité d'image élevée. Les
astronomes canadiens continueront d'employer les spectrographes optiques du télescope pour
étudier avec précision les propriétés des étoiles à une résolution extrêmement élevée, ainsi
que plusieurs aspects importants de la physique des étoiles, y compris leurs oscillations, leurs
champs magnétiques et les vents stellaires.
Gemini
Le projet Gemini consiste en deux nouveaux télescopes, équipés chacun d'un miroir d'un
diamètre de 8 mètres. Il s’agit des installations les plus récentes et, sans conteste, les plus
prioritaires pour l'astronomie optique/infrarouge canadienne au cours des prochaines années.
Le premier se trouve au sommet du Mauna Kea, et le second au sommet du Cerro Pachon,
dans le nord du Chili. Ces deux télescopes permettront aux Canadiens d'étudier tout le ciel, y
compris les objets de l'hémisphère sud qui ne peuvent être observés à l'aide du TCFH ou de
Gemini Nord. Le Canada détient une part de 14,2 % dans Gemini, ce qui en fait le troisième
partenaire en importance dans ce projet, derrière les États-Unis (49,5 %) et le Royaume-Uni
(23,7 %). L'Australie, l'Argentine, le Brésil et le Chili détiennent des parts moindres dans ce
projet. La part combinée du Canada, pour les deux télescopes, représente environ 90 nuits
d'observation par année.
33
L ' A S T R O N O M I E E T L ' A S T R O P H Y S I Q U E A U C A N A D A A U J O U R D ' H U I
Parmi les télescopes de la classe des 8 mètres actuellement en construction ou en exploitation,
le projet Gemini est exceptionnel car on a cherché, dès sa conception initiale, à obtenir une
qualité d'image maximale pour une installation au sol. La cons-truction de Gemini Nord, sur le
Mauna Kea, est maintenant terminée et on procède actuellement à sa mise en service. Gemini
Sud entrera en service au milieu de l'an 2000. L'utilisation scientifique des deux télescopes
devrait débuter progressivement pour atteindre son rythme de croisière vers 2005, à mesure
que les instruments seront mis en place.
Les miroirs primaires des deux télescopes Gemini sont d'une qualité exceptionnelle,
et ils sont parmi les plus précis jamais fabriqués. Par exemple, la surface du
miroir de Gemini Nord présente une précision de 15 nanomètres (c'est comme si
tout l'océan Atlantique n'avait que des vagues de
1 centimètre de hauteur!). Avec les télescopes Gemini, on s’attend
à faire des percées scientifiques majeures surtout dans le proche
infrarouge, entre 1 et 5 microns, région du spectre qui est beaucoup
moins exploitée que la plage optique. Les télescopes Gemini sont
conçus pour travailler avec des champs de vision étroits à moyens,
à une grande résolution spatiale. Avec leur surface collectrice de
lumière beaucoup plus grande et leur qualité d'image supérieure, on
prévoit que les télescopes Gemini offriront une performance accrue
d'un facteur de 10 au moins par rapport aux télescopes de la classe
des 4 mètres. Par l'intermédiaire du CNRC, le Canada conçoit actuel-
lement deux spectrographes multiobjets, ainsi qu'un système d’optique
adaptative pour les télescopes Gemini.
Entre les mains des astronomes canadiens, les télescopes Gemini
seront des instruments puissants, leur permettant de sonder profondé-
ment le cosmos et d'étudier de nombreuses questions : le nombre
et l'âge des étoiles faiblement lumineuses au sein de notre Voie
lactée; les sites de formation d'étoiles et les caractéristiques physiques
des protoétoiles; le mouvement interne et la dynamique des disques
protostellaires; la composition chimique des étoiles anciennes, et donc
l'état du gaz primordial dans les galaxies; la répartition spatiale, la
taille et la luminosité des galaxies fortement décalées vers le rouge
dans l'univers encore jeune.
Le télescope JCM
Le télescope James Clerk Maxwell (TJCM), également sis au sommet du Mauna
Kea, est le plus grand des radiotélescopes de la génération actuelle conçus pour
fonctionner aux longueurs d’onde submillimétriques (0,3 à 1,3 mm, c'est-à-dire à la
partie supérieure des fréquences radio). Le diamètre de son miroir primaire est de
15 mètres. Le TJCM a été construit conjointement par les deux grands partenaires de ce projet,
le Royaume-Uni et les Pays-Bas, et il est financé par ces deux pays et par le Canada. Le
Canada y est partenaire à raison de 25 % depuis la mise en service du télescope en 1987.
La région submillimétrique du spectre électromagnétique est comprise entre l'infrarouge lointain
et les micro-ondes. Il y a une dizaine d'années, les longueurs d’onde submillimétriques et
millimétriques comptaient parmi les rares régions du spectre qui n'avaient pas encore été
bien étudiées par les astronomes, en raison des conditions d'observation spéciales et des
34
L ' A S T R O N O M I E E T L ' A S T R O P H Y S I Q U E A U C A N A D A A U J O U R D ' H U I
Le dôme du télescope Gemini Nord, vu du sommet
du Mauna Kea, est la dernière recrue de l'astronomie
optique et infrarouge canadienne. Ce télescope de
8 mètres permettra de réaliser de nouvelles études,
plus détaillées, des nébuleuses où se forment les
étoiles, dans la Voie lactée, et donnera des images
des galaxies lointaines avec une finesse de détail
sans précédent.
Image tirée de la Galerie de photographies du site Web
Gemini, Bureau canadien de Gemini
instruments particuliers requis pour ces travaux.
Ces régions du spectre constituent cependant des « fenêtres » importantes sur
l'univers, car c’est à ces longueurs d’onde que l’on peut obtenir des informations
cruciales sur les objets « tièdes », dont les planètes, les disques protostellaires et
les nuages moléculaires dans lesquels les nouvelles étoiles se forment. En outre,
les objets situés à des distances cosmologiques, comme les galaxies les plus
lointaines ou les quasars, s'éloignent de nous à une vitesse tellement élevée que
la majeure partie de la lumière qu'ils émettent est décalée vers le rouge jusque
dans la région submillimétrique. C'est pourquoi les capacités du TJCM se prêtent
extrêmement bien à l'étude de la formation des étoiles et des galaxies.
Le TJCM est équipé d'une batterie de détecteurs conçus pour déceler les raies
spectrales étroites, caractéristiques des molécules de gaz tièdes dans l'espace.
Ces spectres contiennent de l'information sur la composition chimique, la tem-
pérature, la densité et le déplacement des nuages de gaz qui émettent ce
rayonnement. Un autre type de détecteur, appelé SCUBA, mesure la quantité
de rayonnement qui provient de larges segments du spectre. Ces mesures sont
des indicateurs très sensibles de la quantité de poussières interstellaires tièdes à
l'intérieur de ces nuages, donnée importante pour déterminer la quantité totale de gaz et la
température des nuages.
Les Canadiens ont effectué des travaux de première importance avec le TJCM, qu'il s'agisse
d'études sur notre système solaire, de la cartographie des complexes de nuages de gaz où se
forment les étoiles dans notre propre Voie lactée, ou encore de la compréhension d'aspects
importants et nouveaux de la formation des galaxies dans l'univers.
Voici quelques exemples représentatifs de découvertes récentes faites par les astro-
nomes canadiens :
(1) Les premières images de grande qualité (prises par le détecteur SCUBA) d'un filament
poussiéreux remarquable, dans le nuage moléculaire d'Orion, dont la structure permet de croire
que les nuages filamenteux sont façonnés par des champs magnétiques hélicoïdaux d'un type
nouveau.
2) Un relevé submillimétrique profond d'un groupe de galaxies fortement décalées vers le
rouge, qui a démontré la présence d'une population inconnue de galaxies très lumineuses dans
lesquelles se sont formées des étoiles au début de notre univers.
3) L'étude détaillée de la comète Hale-Bopp, qui a récemment traversé nos cieux. Cette
étude d’une comète a été la plus complète à ce jour dans les régions spectrales millimétriques/
submillimétriques. Grâce au comportement que nous avons constaté dans l'émission de
nombreuses molécules, nous sommes davantage en mesure de comprendre la nature des
comètes en tant que structures primitives de notre système solaire.
Les Canadiens livrent une forte concurrence à leurs collègues étrangers pour accéder à
cette installation exceptionnelle. Par ailleurs, tout comme dans le cas du TCFH et, bientôt,
des jumeaux Gemini, le personnel du CNRC/IHA ne fait pas qu'utiliser le télescope, mais il
35
L ' A S T R O N O M I E E T L ' A S T R O P H Y S I Q U E A U C A N A D A A U J O U R D ' H U I
Le télescope James Clerk
Maxwell (TJCM), sur le mont
Mauna Kea, est une antenne
de 15 mètres de diamètre
conçue pour capter le ray-
onnement radio aux lon-
gueurs d'onde extrêmement
courtes (submillimétriques).
Lorsqu'il est utilisé, le miroir
est habituellement recouvert
d'une membrane protectrice
en mylar (que l'on voit ici
déroulée).
Photographie gracieuseté de
Henry Matthews (TJCM / IHA)
1 / 18 100%

L`astronomie et l`astrophysique au Canada aujourd`hui

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !