Chemins de lumière L`homme de Bibliophane

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Livres
Chemins de lumière
D’origine guadeloupéenne, grand éditeur parisien pendant de
nombreuses années, Daniel Radford s’est converti avec bonheur
au judaïsme il y a vingt ans. Un parcours unique qu’il retrace dans
L’Homme aux livres. Bien plus qu’une simple autobiographie
Paula Haddad
L
’éditeur qu’il est connaît l’impact de la télévision
sur les ventes d’un livre, mais il n’imaginait pas faire
lui-même, un jour, l’objet d’un tel engouement en
librairies. Enfin, pas tout à fait. En 1993, à l’âge de quarante
ans, alors qu’il vient d’obtenir sa conversion au judaïsme,
Daniel Radford sort Le Maître-Pièce, inspiré de son enfance
en Guadeloupe, un roman vendu à 100 000 exemplaires, un
vrai best-seller.
L’Homme aux livres paru en octobre dernier avait, lui, reçu
un bel accueil dans la presse, mais il a suffi d’un passage dans
Vivement dimanche, l’émission de Michel Drucker pour que
la machine s’emballe. La maison d’édition a fait réimprimer
le livre et l’auteur reçoit un mail de félicitations toutes les
dix secondes, lui qui n’est pas du tout branché nouvelles
technologies. « Vous savez quand Joseph est devenu viceroi d’Egypte, il a placé un esclave derrière lui qui lui disait :
« N’oublie pas que tu es mortel ! ».
« Disons que recevoir 80 000 messages aussi touchants les
uns que les autres, cela fait presque peur ! D’ailleurs j’ai
attrapé la grippe » confie avec humour Daniel Radford.
A parcours exceptionnel, récit atypique. D’une exigence rare
avec la littérature, l’écrivain qui a été édité pour la première
fois, à l’âge de seize ans, offre ici une œuvre admirablement
écrite loin des 1001 ouvrages publiés chaque année. Pour
ce qu’il considère comme le « roman d’une vie », et non
pas une autobiographie, il a choisi d’écrire à la troisième
personne. « Le “Je” étouffe », dit-il, même si le “Il” pourra
dérouter le lecteur.
L’homme présente également entre deux confessions, des
convertis de l’Histoire, Onkelos, le neveu de Titus devenu
traducteur de la Bible, la reine Hélène ou Neburazadan,
général de l’armée de Nabuchodonosor. « La plupart ne sont
pas représentatifs de ma conversion confie l’auteur, mais à
travers mon “personnage intime”, je tenais à raconter ce qui
a animé leur âme. Quand on est navigateur, comme je viens
des Antilles, je possède chez moi un tas d’appareils, il faut un
sextant. Au milieu de la mer, vous vous dites : qui sont ceux
qui m’ont précédé ? C’est ce qui m’intéressait aussi de dire
dans ce livre, par quel méandre Dieu amène cette deuxième
manière d’être juif ».
A l’aube de ses quarante ans, celui qui s’appelle
le « petit Créole » se plonge dans les eaux du mikvé,
une expérience évoquée avec pudeur dans son livre.
La découverte de la Bible
Né à Paris, Daniel Radford passe ses premières années
à Pointe-à-Pitre, auprès de sa mère aujourd’hui âgée de
92 ans, de son père, et de grands-parents maternels qu’il
affectionne particulièrement : Maman Aa et Papa Roro, la clé
de son histoire familiale. Il commence jeune sa carrière chez
Robert Laffont qui lui apprend son métier, avant de diriger
les éditions Stock, Lattès et Ramsay.
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13 Février 2013
Tout Paris courtise « l’éditeur des îles » qui ressemble à un « riche
Américain » quand il retourne en Guadeloupe. Lui qui aime
tant les livres, « ses maîtres », constate un jour qu’il manque
une pièce à son tableau de chasse littéraire. « Le dernier livre
que je n’avais pas lu, c’était la Bible, que j’envisageais comme
un mauvais roman. Je suis allé rue des Rosiers acheter le livre
d’Elie Munk, La Voix de la Thora. Chaque verset était expliqué
par le rabbin, j’ai alors compris que toutes les questions que je
me posais trouvaient une réponse ».
A cette époque, Daniel Radford sait déjà que son grand-père
Papa Roro avait une mère juive ashkénaze, décédée quand il
était enfant, grâce à un texte écrit dans un cahier. Une tante
détruira l’objet, mécontente de lire cette histoire. Cette
révélation, l’homme la garde en lui et lui reviendra comme
un signe supplémentaire quand il commence véritablement
à s’investir dans le judaïsme. Toutefois, il écrit de son
cheminement : « Au fond, aucun changement n’a été opéré,
simplement la réalisation d’une existence enfouie qui s’est
fait jour ».
Durant dix ans, Daniel Radford étude les textes sacrés et la
traduction du Talmud, mange des plats cashers en douce
et s’éloigne progressivement du monde de l’édition. Il est
épaulé par un homme exceptionnel, Sylvain Kaufmann,
ancien rescapé des camps auquel il demande de l’aide.
« Quand je l’ai rencontré, j’étudiais en français, je ne parlais
pas l’hébreu. C’est lui qui m’a tout appris. C’était un homme
pieux, tout son être était ancré dans la Torah. Le jour, j’étais
encore directeur général d’une grande maison d’édition, et,
le soir, j’étudiais. Il m’a ensuite présenté au rabbin Daniel
Gottlieb, ancien secrétaire particulier du Grand Rabbin Sirat
qui est devenu mon mentor ».
Rabbin pour le plaisir
Sur le chemin vers le judaïsme, le doute a pris ses aises,
« c’est Sylvain Kaufmann qui est revenu me chercher »
précise l’auteur qui a parfois été considéré comme un
« exotisme » par ceux qui le croisaient. Il n’y pas si longtemps
encore, on chuchotait dans son dos avant que « la lumière
druckérienne » ne le révèle au public.
A l’aube de ses quarante ans, celui qui s’appelle le « petit
Créole » se plonge dans les eaux du mikvé, une expérience
évoquée avec pudeur dans son livre. De mouvance Loubavitch,
il obtient le titre de rabbin par le rabbinat d’Israël, pour le
plaisir.
Son cheminement vers le judaïsme en a inspiré d’autres.
Il raconte dans le livre cette rencontre improbable, il y a
quelques années, dans un parc d’attraction : un Africain qui
avait entendu un de ses discours dans une conférence décide
de se convertir ainsi que toute sa famille !
Daniel Radford accompagne de temps à autre des candidats
à la conversion, « seulement des célibataires, car j’ai
beaucoup d’exigence » précise-t-il. Il veut transmettre à
ceux qui le sollicitent sa vision du judaïsme. « Ils passent un
Shabbat sur deux chez moi ainsi que les fêtes. Le judaïsme
n’est pas simplement une connaissance, ni le fait de répéter
bêtement une série de brahot (bénédictions), c’est une vie
avec des codes qu’il faut comprendre et surtout aimer pour
les appliquer. Je veux qu’ils sentent le judaïsme » explique
Daniel Radford.
Ni sa mère, ni son frère Pierre dont il était très proche jusqu’à
son décès, ne s’intéresseront à leurs origines juives. Mais
aucun ne jugera le converti sur son choix. « Ma mère est
quelqu’un de libre note l’auteur. Elle fait partie de ceux qui
acceptent l’autre tel qu’il est et non pas tel qu’ils voudraient
qu’il soit ». u
L’homme de
Bibliophane
A
u milieu des années 1990, Daniel Radford,
éditeur dans l’âme, reprend Bibliophane, la
librairie de la rue des Rosiers qu’il fréquentait,
et en fait une maison d’édition, aujourd’hui disparue. Il
publie notamment les ouvrages d’Elie Wiesel, d’André
Chouraqui et Le Livre d’Annaëlle, l’histoire de cette enfant
autiste qui avait ému le monde entier et qui n’est autre
que la nièce de sa femme Yaël, d’origine israélienne.
« On m’a proposé de prendre à nouveau les rênes d’une
maison d’édition, cela m’a flatté, mais j’ai soixante ans
et je souhaite avant tout écrire mes livres », précise
l’écrivain. Plusieurs ouvrages sont en préparation. Le
reste du temps, il enseigne la philosophie à la Sorbonne
et la Torah dans une école talmudique.
On ne lui donne pas son âge, un mystère qu’il attribue au
temps passé avec ses jeunes enfants qu’il adore emmener
au Jardin des Plantes observer la nature, lui qui a été
nommé académicien des sciences de l’Outre-mer. Daniel
Radford n’est jamais retourné en Guadeloupe depuis le
décès de sa grand-mère il y a vingt ans, mais sent avec
l’âge la nostalgie pointer et espère un jour montrer à ses
enfants le « pays de l’enfance ».
Son grand fils, âgé de trente-deux ans, père de famille, a
lui aussi choisi « les eaux supérieures, celles qui tombent
à Jérusalem ». « Il a grandi avec moi et a baigné dans le
judaïsme », souligne l’ancien éditeur. Et le fils se montre
parfois plus « habad » que le père ! Le temps passe vite,
Daniel Radford doit se préparer pour accueillir le Shabbat
qui arrive et répondre encore à ceux qui attendent un
signe… par mail. u
Daniel Radford, L’Homme aux livres, éditions Presses du
Châtelet
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