Laurent Fedi La philosophie de Charles Renouvier (1815-1903), a joué un rôle non négligeable dans la formation des idées républicaines en France, de 1848 jusqu’à l’édification des grandes institutions de la IIIe République. Grâce à une longévité appréciable et à un travail constant, Renouvier a œuvré pendant plus d’un demi-siècle à la diffusion d’une philosophie républicaine cohérente consistant principalement à promouvoir la concrétisation d’un état social fondé sur la réciprocité des droits et des devoirs, sur la reconnaissance de l’obligation morale et sur la garantie d’une justice terrestre. Il a été accompagné ou suivi dans cette voie par ses amis, François Pillon au premier chef, et par ses disciples, souvent de jeunes universitaires qui ont ensuite propagé la doctrine dans leurs écrits ou leur enseignement. Plusieurs évidences s’imposent à Renouvier, tout comme à ses contemporains : la Révolution française est inachevée, son héritage, omniprésent, est problématique, ses excès ont compromis ou du moins retardé le succès de l’idée républicaine. Interpréter l’événement est un passage obligé. Mais pour Renouvier, l’enjeu n’est pas seulement politique, il est philosophique : il y va de la cohérence de sa pensée. Sa position philosophique sur le statut du politique situe d’emblée le lieu de sa réflexion. Selon lui, la politique se fonde intégralement sur la morale1. Or le bilan de la Révolution est double. La Révolution est bien sûr un moment inaugural, aux yeux du républicain, puisqu’elle représente, en son sens universel, l’avènement d’une politique fondée sur la raison et sur l’autonomie du citoyen. Jusqu’en 1851, Renouvier cherche à justifier la Révolution contre ses détracteurs. Pour des raisons circonstancielles, il met l’accent sur les grands principes posés pendant cette période, et préfère se taire sur les heures sombres. Dans le Manuel républicain de l’homme et du citoyen, de 1848, on lit ainsi ce plaidoyer un peu naïf : « On a caché au Peuple ce que la République a fait pour le Peuple, et on a étalé sous ses yeux, pour la lui faire haïr, des violences par lesquelles elle fut provoquée par beaucoup de traîtres et par l’universelle coalition des nobles et des rois […]. La République a été si peu cruelle qu’elle n’a jamais fait souffrir ceux qu’elle mettait 1. L’idée est déjà présente dans le Manuel républicain de l’homme et du citoyen, de 1848 : «Vous voyez que la vraie politique vient de la morale. Qui connaît la morale, connaît aussi la politique. » Nouvelle édition publiée avec une notice sur Charles Renouvier, un commentaire et des extraits de ses œuvres par Jules Thomas. Avant-propos et éclairages de Jean-Claude Richard, Maurice Agulhon et Laurent Fedi. Paris / Genève : Slatkine Reprints, 2000. p. 223. 65 ÉTUDES LA RÉVOLUTION AU MIROIR DU NÉOCRITICISME FRANÇAIS ÉTUDES à mort […]2 ». Dans l’article de L’Almanach du peuple pour 1851 intitulé « Le socialisme pendant la première Révolution », Renouvier se réclame d’un « socialisme » qui entend accomplir l’œuvre sociale de la Révolution, fort de la conviction qu’une « République sociale » est plus stable et plus durable qu’une « République politique3 ». Mais comme épisode historique concret, la Révolution révèle aussi de spectaculaires manquements à la loi morale : Renouvier, devenu le père du « néocriticisme » français, le reconnaît, tout particulièrement dans les années 1870, et son principal mérite est de refuser les faux-fuyants habituels, la nécessité de l’histoire, par exemple, ou la doctrine des circonstances. La cohérence de sa philosophie politique passe désormais par l’examen moral de la Révolution. L’histoire est appelée à comparaître devant le tribunal de la raison. Mais d’abord, qu’est-ce que la Révolution ? Elle n’est pas pour lui un moment anonyme, mais une série d’actes individuels ou collectifs résultant de la volonté des hommes et de leur libre arbitre. Pour Renouvier, la Révolution doit être jugée à travers ses acteurs, et ceux-ci à travers leurs décisions. On comprend alors que la figure de Robespierre n’ait pu échapper à une telle réflexion. Prise dans ses contradictions, elle devient emblématique d’un écart entre les principes et l’action. Elle révèle aussi l’inanité des mythes fondateurs, et la nécessité d’un point de vue critique, au double sens du terme : regard sans complaisance, examen soucieux de déterminer les fondements, et les conditions de possibilité de la République. Nous voudrions montrer ici que Renouvier, désavouant Robespierre, condamne, à travers cet exemple, l’immoralité des pratiques révolutionnaires ; qu’il intègre l’héritage inachevé de la Révolution à la fondation de la République ; enfin, qu’il propose de terminer la Révolution par l’éducation4. Condamner l’immoralité des pratiques révolutionnaires L’histoire jugée Dès le troisième numéro de la Critique philosophique, celui du 22 février 1872, Renouvier publie un article exposant ses jugements moraux sur l’histoire de la France depuis la Révolution, sous un titre éloquent : « Esquisse de l’histoire de l’impératif catégorique depuis l’an 1791 ». L’argument est peu commun. Renouvier s’efforce de démontrer que l’ajournement d’une politique authentiquement républicaine en France ne tient pas à des erreurs de stratégie, mais à une faute majeure et récurrente 2. Manuel républicain de l’homme et du citoyen, p. 233. 3. L’Almanach du peuple pour 1851. Paris : Joubert. p. 113-126, en particulier p. 114 et 126. 4. Les développements qui suivent ont été exposés initialement au colloque international sur la citoyenneté organisé à l’occasion de l’exposition du peintre Matieu «Rêver à Robespierre» par le Centre de recherches politiques de la Sorbonne et le Cerphi de l’ENS de Fontenay-SaintCloud (22 janvier 1999). 66 L A R É VO L U T I O N AU M I R O I R D U N É O C R I T I C I S M E F R A N Ç A I S commise par les acteurs politiques qui ont dirigé le destin de la France depuis la Révolution, et que cette faute a consisté à faire toujours le mauvais choix, en considérant à des degrés variables la loi morale comme inactuelle. Il passe en revue quinze décisions historiques qui illustrent son propos. La sixième concerne Robespierre : « Après cela [l’exécution de Louis XVI], tout se précipite sur une pente fatale. Aucune grande résolution politique n’est digne de nous arrêter, sauf peut-être celle de Robespierre qui, aux dires de certains apologistes, fit adopter la loi odieuse et vraiment infâme qui organisa le dernier tribunal révolutionnaire ; non qu’il l’approuvât en elle-même, mais parce qu’il comptait s’en servir pour détruire ses derniers ennemis, en vue d’inaugurer enfin la clémence le jour où le sol de la République ne porterait plus que des hommes purs, nécessairement ses amis. Mais ses ennemis déconcertèrent son dessein par une interprétation de cette loi, à laquelle il crut dangereux de s’opposer. Ce fut ce tribunal qui l’envoya bientôt à l’échafaud après avoir constaté sa mise hors la loi pour cause de salut public. Les principaux auteurs de sa mort ne portèrent pas bien loin leur victoire, mais la machine du salut se détendit un peu, et ils sauvèrent leur tête5. » Désavouer Robespierre Qu’est-il reproché à Robespierre ? Ce n’est pas son caractère. Le personnage n’est pas un monstre, il a en vue la clémence: à ses yeux la loi de prairial n’est pas une fin en soi, seulement un moyen d’en découdre avec ses ennemis. C’est donc plutôt sa conduite. Il a choisi l’utilité à tout prix, au point même de s’enfermer dans une logique fatale. Le cas n’est pas isolé. Parmi les cinq décisions historiques précédemment analysées dans la critique philosophique, quatre ont consisté à privilégier l’utile au détriment du juste, l’efficacité au détriment de la raison ; le serment civique imposé aux membres du clergé par l’Assemblée constituante ne proclame pas la séparation de l’Église et de l’État, mais officialise l’écart entre la parole jurée et la conscience; la fuite à Varennes: au lieu de réhabiliter le roi ou de voter au contraire sa déchéance, on a laissé subsister l’ambiguïté de son statut6 ; les massacres de septembre 1792 : l’indulgence des jacobins envers les assassins, conséquence de l’intérêt bien compris, a été le point de départ de cruels déchirements; l’exécution de Louis XVI: cette décision a desservi l’idée républicaine en laissant une trace durable dans la mémoire collective7. Une décision fait 5. La Critique philosophique, 1872, vol. I, p. 36. 6. On pourrait objecter que sur une question comme celle-ci, Robespierre avait exprimé une position nette ; mais Renouvier ne mène pas une étude sur Robespierre, il veut examiner les décisions qui ont triomphé, et qui ont pesé sur le destin de la France. Nous remercions Laurence Cornu pour la remarque qui a inspiré cette précision. 7. Voir Renouvier Charles. La Science de la morale. Paris : Ladrange, 1869. Vol. II, p. 399 : « Aussi le moraliste qui étudie les mobiles de telles résolutions [il s’agit des régicides décidés en assemblée] découvre-t-il que ces grands actes de force apparente sont au fond des actes de faiblesse. » 67 ÉTUDES exception: la transition de la Constituante à l’Assemblée législative. En défendant à ses membres de siéger dans la nouvelle assemblée, la Constituante a cru accomplir son «devoir», mais ce choix n’est que le triomphe du sentiment noble sur la raison : en réalité, la nouvelle assemblée avait besoin d’élus compétents et chevronnés ; ici, c’est l’utilité qui a été à tort négligée. Renouvier soulève en somme un problème classique : dans une situation de conflit, comment accorder la conduite avec les principes sans compromettre le succès de ces derniers ? Ce problème a été traité par Renouvier en 1869, dans La Science de la morale. Dans cette œuvre maîtresse, Renouvier opère une distinction capitale. Le droit rationnel pur suppose l’état de paix, c’est-à-dire l’état des relations humaines où chacun reconnaîtrait autant de droits à autrui qu’à soi, où, dans les cas particuliers, on serait d’accord sur les droits et les devoirs des uns et des autres, où enfin chacun travaillerait avec une égale bonne volonté à remplir ses engagements, sans douter de l’honnêteté d’autrui. L’état de guerre est celui que livre le spectacle de l’histoire. Il consiste dans des désaccords de faits et dans la pensée qu’on ne doit pas à autrui ce qu’autrui nous doit. Renouvier propose une morale appliquée qui ne serait pas un compromis entre l’idéal et le fait, mais plutôt un moyen efficace d’élever graduellement les rapports humains vers un état de paix où les droits et les devoirs s’équilibreraient, le but final étant le passage du droit positif au droit rationnel. Se penchant alors sur les conditions d’application, Renouvier est amené à préciser plusieurs points. La morale appliquée demeure attachée à l’obligation morale, qui en est le fondement, c’est-à-dire qu’il faut « cultiver la raison, tenir les regards constamment fixés sur le devoir et l’idéal, et ne jamais souffrir que les faits quels qu’ils soient apportent la moindre altération dans l’idée de ce qui seul moralement peut et doit être8 ». Or cette exigence fournit précisément le thème de l’article. « Chercher consciencieusement ce que la Loi morale commande en chaque circonstance, et l’accomplir autant qu’on le peut sans se préoccuper des résultats, toujours complexes dans la vie, plus complexes en politique que partout ailleurs, impossibles à prévoir, comme l’expérience ne l’a que trop prouvé, voilà l’Impératif catégorique selon le vocabulaire de Kant […]. Le bien, l’utile et le juste, ou ce qu’on doit, sont des idées qui correspondent à un seul et même objet selon la foi de l’honnête homme. De tous ces termes, un seul éclaire vivement et immédiatement la conscience: c’est le devoir, défini par la Loi morale. Il doit donc diriger la conduite9. » L’obligation morale est une donnée irréductible de la raison, dotée d’une valeur universelle. Renouvier suit Kant sur ce point, bien qu’il se sépare du formalisme de Kant, jugé trop indifférent à l’homme réel et aux passions de l’agent. Cependant la morale appliquée ne peut se résumer à l’application de 8. Renouvier. La Science de la morale. Op. cit., vol. I, p. 503. 9. La Critique philosophique, 1872, vol. I, p. 33. 68 L A R É VO L U T I O N AU M I R O I R D U N É O C R I T I C I S M E F R A N Ç A I S la loi pure. L’obligation s’adresse à la conscience individuelle, mais celle-ci ne peut réagir qu’en tenant compte des circonstances. Par suite, ce que la morale exige de l’agent, c’est qu’il conforme le fait à la raison «autant que cela est possible », ou plutôt « autant qu’en conscience il le juge possible10 ». De là le recours à un « jugement de possibilité » toujours relatif, consistant à choisir les moyens d’action qui satisferont à l’exigence d’efficacité mais qui s’éloigneront le moins possible de la justice pure. Ce que Renouvier reproche à Robespierre, c’est d’avoir contourné le problème au profit d’une logique utilitaire. Ce qui est critiqué, au-delà de cet exemple particulier, c’est l’idée selon laquelle « la fin justifie les moyens ». « Ce qui n’est point juste n’est point justifiable11. » Les circonstances font que l’utile peut parfois mordre sur le juste, mais la morale appliquée pose des limites. Examinant dans La Science de la morale le « droit révolutionnaire », Renouvier formule en ce sens quatre remarques qui nous aident à comprendre ses considérations sur Robespierre et sur la Révolution française. Le « droit révolutionnaire » est un « droit de guerre ». Il doit respecter les règles morales sur lesquelles il repose. La réussite de l’action dépend de la légitimité des principes. « C’est ainsi que par le fait on a vu s’accomplir beaucoup de grandes réformes, toujours préparées d’ailleurs par le long et persévérant emploi de moyens d’action rigoureusement légitimes12. » Tout manquement à la loi morale condamne la révolution à l’échec ; la violence est incapable de faire régner la justice, elle en est l’antithèse13. La conciliation de l’efficacité et d’une moralité contenue dans les bornes imposées par l’état de guerre, ne peut être cherchée que dans « la double règle des ménagements et du choix des moyens utiles14 », qui impose des renoncements15. L’obligation morale Dans le vingt-septième numéro de la Critique philosophique, celui du 8 août 1872, Renouvier et Pillon publient une sorte de manifeste qui résume leur position : « La doctrine républicaine, ou ce que nous sommes, ce que nous voulons. » Les thèses précédentes sont réaffirmées, et le thème du jacobinisme s’y trouve plus amplement développé. La Révolution française, disent les auteurs, a fait obstacle à la réalisation du projet républicain. « Ses incontestables bienfaits, ses justes aspirations et 10. Renouvier. La Science de la morale. Op. cit., vol. I, p. 505. 11. Ibid., p. 509. 12. Ibid., p. 511. 13. Ibid., p. 511. 14. Ibid., p. 511-512. 15. Le bouleversement de 1789 n’aurait peut-être pas eu lieu si ces règles avaient été appliquées. Mais ceci n’est pas propre à Renouvier. Kant a été un spectateur enthousiaste (à distance) de la Révolution française, et pourtant on sait que sa philosophie ne prédisposait pas à la révolution. Nous remercions Jacques D’Hondt pour la remarque qui a inspiré cette précision. 69 ÉTUDES ses vérités de théorie ont été accompagnés de deux fléaux : l’instabilité perpétuelle, due au jeu prolongé de l’action et de la réaction des partis, et la confiance dans les coups de force, suite du succès des journées populaires. Tous deux étaient propres à faire perdre de vue les principes, ou à les fausser, à les défigurer, et par là à conduire une grande partie du peuple au scepticisme politique16. » Contre le jacobinisme En ce qui concerne « l’instabilité perpétuelle », les auteurs l’attribuent à la logique des rapports de force. Celle-ci a mené au triomphe des conservateurs. La Révolution a donné satisfaction à la bourgeoisie, mais elle n’a pas tenu ses promesses à l’égard du peuple. La violence révolutionnaire, principalement attribuée aux jacobins, est sévèrement condamnée: «Le jacobinisme se montre l’héritier des pires maximes de l’ancien régime17.» Ce n’est pas seulement la conduite qui est critiquée, mais c’est aussi le dogmatisme des jacobins. Les auteurs énoncent les trois dogmes qui ont contribué d’après eux au discrédit de l’idée républicaine. D’abord l’unité et la centralisation de l’État, prodromes d’un régime de dictature. Ensuite la monopolisation du pouvoir, naturellement déçue du fait « qu’on ne parvient point à gouverner une nation contre ses habitudes avant d’être parvenu à modifier ses sentiments18 ». Enfin, la Terreur comme instrument de gouvernement : « Absurde aveuglement de ces soi-disant républicains qui auraient tué pour jamais l’idée républicaine en France, si elle n’était pas immortelle de sa nature19. » Ces dogmes sont contraires à la morale, aux principes de liberté et d’égalité. Ils ne constituent pas seulement une faute politique, une faute à l’égard du peuple, ils nient « le droit de la personne », « le respect dû à la personne ». Tirer ainsi le droit de la force, cela revient à faire fond sur « l’infaillibilité », sur le « droit divin » du parti20. Le « salut public » est ramené à la raison d’État, qui « n’est autre chose qu’une raison invoquée selon les circonstances pour violer la justice au profit de l’État, du moins à ce qu’on croit, et pour ce qu’on prétend être le salut du peuple21 ». Il manque à la politique une morale qui soit aussi unanimement reconnue dans le domaine public qu’elle peut l’être dans le domaine privé. Les auteurs en appellent donc à une politique fondée, selon son essence, sur la morale: «Il faut donc ramener la démocratie rationnelle à son principe, ou, si l’on veut, donner à la démocratie tout empirique que nous voyons une morale, renoncer à cette espèce d’infidélité, à ce culte mortel des faux dieux 16. La Critique philosophique, 1872, vol. II, p. 3. 17. Ibid., p. 4. 18. Ibid., p. 5. 19. Ibid., p. 5. 20. Ibid., p. 5. 21. Ibid., p. 6. 70 L A R É VO L U T I O N AU M I R O I R D U N É O C R I T I C I S M E F R A N Ç A I S de l’ancien régime politique : la Violence et la Ruse, l’Intrigue et la Terreur ! Apprenons à connaître notre propre loi, soyons-y fidèles ! ne cherchons plus l’utile à tout prix ; peut-être ainsi le rencontrerons-nous plus sûrement, puisque ce que nous avons cru faire jusqu’ici pour le salut public, contre la justice, n’a servi qu’à nous mieux perdre22. » Intégrer l’héritage inachevé de la Révolution française à la fondation de la République Les symboles L’idée républicaine se fondant sur la morale, et celle-ci sur la raison, il n’est pas question pour le père du néocriticisme d’adosser la République à une fondation mythique. C’est là ce qui motive son éloge d’Edgar Quinet: «Quinet n’hésita pas à combattre, par un ouvrage spécial sur la Révolution (1865), l’espèce de culte que la même immorale théorie avait fait naître et entretenait encore dans l’esprit des penseurs les plus dévoués à ses principes. Il s’attacha à dépouiller les personnages de ses héros de leur revêtement légendaire, et à séparer, dans les événements, ce que, sans preuve aucune, une pensée déterministe en juge inséparable23. » Renouvier a médité l’ouvrage de Quinet24, et, de fait, on retrouve chez Renouvier l’interprétation du jacobinisme comme retour aux pratiques absolutistes, à la raison d’État et à une logique politique monarchique25. Mais ce que Renouvier apprécie le plus chez l’historien, c’est la démystification, cela même, au fond, qu’il a pour sa part entrepris dans la critique de la connaissance, en débarrassant le savoir de ses « idoles26 ». Cependant, la politique a ses croyances, sa foi. La République née le 4 septembre 1870 est fragile. La défaite, la répression de la Commune, sont dans toutes les mémoires. Les prétendants n’ont pas disparu. Le cycle des révolutions serait-il enfin clos ? L’avenir est si incertain que les gambettistes proposent dès 1872 de consolider la République en instituant une fête nationale, qui serait la commémoration du 14 juillet. La question divise les républicains : on pourrait aussi bien fêter le 4 août par exemple. 22. Ibid., p. 6. 23. Renouvier Charles. La Philosophie analytique de l’histoire. Paris : E. Leroux, 1897. Vol. IV, p. 483. 24. Quinet Edgar. La Révolution, 1865. Sur Robespierre, mythe et réalité, voir notamment Livre XVII, ch. IX. 25. Renouvier contestera en revanche l’interprétation de Taine, qui rapproche l’esprit jacobin et l’esprit napoléonien. Renouvier distingue au contraire le modèle antique du premier et le genre de despotisme dont relève le second. Voir La Philosophie analytique de l’histoire. Op. cit., vol. IV, p. 539. 26. À savoir principalement l’absolu, la substance et l’infini, notions ontologiques jugées incompatibles avec les données de la représentation et complices d’une forme d’obscurantisme néfaste à la démocratie. Pour les détails, nous renvoyons à notre livre : Fedi L. Le Problème de la connaissance dans la philosophie de Charles Renouvier. Paris : L’Harmattan, 1998. 71 ÉTUDES Renouvier prend parti dans un article de la Critique philosophique du 19 septembre 1872 intitulé « Quelle journée la République doit fêter ». À la place du 14 juillet, qui renvoie à un élan spontané, Renouvier propose le 21 septembre, date de la première réunion d’une assemblée française sans roi, la Convention nationale27. C’est dire qu’à ses yeux la République ne peut légitimement fêter que la consécration du droit rationnel. Or c’est là un apport essentiel de la Révolution française. Aspects de la Révolution L’héritage positif de la Révolution française avait été décrit et revendiqué dans L’Almanach du peuple pour 1851, où Robespierre était présenté comme un précurseur dans le domaine des transformations sociales – droit au travail et impôt progressif notamment. Renouvier y revient dans l’article de La Critique philosophique du 3 juillet 1873 intitulé «Le bilan de la politique révolutionnaire», mais le ton y est plus nuancé. Il commence par attribuer les échecs de la Révolution à la violence, impuissante à fonder les institutions. Puis, à la manière de Quinet, il distingue l’apport matériel et social, et l’ordre de la liberté politique, soit deux résultats appréciables, extraordinairement féconds même, mais dissymétriques : d’une part, des acquisitions concrètes, d’autre part, des espoirs. Parmi les acquisitions, Renouvier met l’accent sur la liberté du travail et sur le développement de la petite propriété. En réalité, ces deux thèmes, intimement liés, débordent l’aspect matériel et social, et touchent aux principes mêmes de la République. Renouvier les a développés dans le Manuel républicain, puis dans La Science de la morale. La propriété est, selon lui, légitime, elle repose sur le droit du premier occupant ou sur le travail. Elle est un droit, parce qu’elle est une garantie d’indépendance, une condition de la liberté28. Renouvier a toujours combattu pour cette raison les systèmes de type communiste : socialisme des utopistes français, marxisme, « collectivisme » guesdiste. On doit d’autre part à la Révolution la promesse d’un gouvernement rationnel centré sur l’autonomie du citoyen. À cet égard, la Révolution a enfanté « une morale politique vivante29 ». 27. Le 14 juillet renvoie à 1789 et à 1790, à la prise de la Bastille et à la fête de la Fédération nationale, de sorte que ce jour symbolise pour ses partisans une forme de réconciliation nationale qui pourrait aider à cimenter l’unité de la nation et à entraver le dessein d’une restauration monarchique. Pendant huit ans, cet anniversaire est fêté dans des banquets, souvent contre l’avis des autorités, avant de devenir officiel en 1880. 28. Voir le Manuel républicain : « Si ce fruit du travail de l’homme était à la République au lieu d’être à lui, si la République pouvait en disposer et en faire jouir qui bon lui semble, l’homme ne serait pas loin d’être l’esclave de la République» (p. 163). Et La Science de la morale: l’instrument de travail est en droit l’équivalent de la propriété « puisqu’il assure à l’agent la liberté d’atteindre ses fins par son travail » (vol. II, p. 54-55). 29. La Critique philosophique, 1873, vol. I, p. 337. 72 L A R É VO L U T I O N AU M I R O I R D U N É O C R I T I C I S M E F R A N Ç A I S Les événements qui ont suivi la Révolution n’ont pas prolongé, mais ont, au contraire, contrarié ses effets positifs. Ce fait historique, Renouvier l’explique en généralisant une grande loi de la physique, la loi de « réaction30 ». Le mouvement historique s’inverse autour de la date charnière de 1794, c’est-à-dire du 9 thermidor. L’intensité de la crise de 1789-1794 a eu pour contrepartie une réaction six à sept fois plus longue, de 1794 à 1830, durant cette période l’histoire est repassée par les mêmes phases, mais dans l’ordre descendant, « avec toutes les passions et tous les excès qui étaient la conséquence et les expiations des fureurs et des cruautés de l’ère précédente31 ». En 1830, l’idée républicaine en est toujours au même point : pas de progrès sensible en ce qui concerne « le sentiment des institutions vraiment libérales et l’aptitude au gouvernement de soi-même32 ». Après l’épisode d’une «monarchie hypocritement populaire33 », vient l’échec de 1848, qui suscite chez Renouvier, avec le recul du temps, cette pensée amère : « … On est pardonnable de se demander si la chute de la monarchie en février 1848 ne fut pas un de ces bonheurs qui sont des malheurs pour les gens incapables d’en tirer parti34. » Renouvier n’entend pas disculper le « parti conservateur » : « C’est lui qui sème les haines dont il peut devenir un jour la victime. » Il voit en lui une force de réaction ; or la réaction étant proportionnelle à la violence de l’action, Renouvier peut mettre en évidence la responsabilité du « parti révolutionnaire ». Et ce sont tout particulièrement les jacobins qui sont à nouveau jugés : « … Mais il n’est pas moins vrai que c’est le parti révolutionnaire, à proprement parler, ou jacobin, qui non seulement a appliqué le premier, dans des gouvernements soi-disant démocratiques le système de la violence et de la terreur, mais qui, rejeté dans les oppositions, n’a cessé de rêver des actes dictatoriaux et de provoquer les réactions par les émeutes35. » Renouvier conclut cet article en laissant à l’adversaire la responsabilité de la violence36. Terminer la Révolution par l’éducation Si elle devait rester une forme institutionnelle vide, la sphère de la citoyenneté deviendrait vite impuissante devant la menace potentielle d’un retour à des pratiques anti-démocratiques. Terminer la Révolution par la voie de l’éducation, voilà ce que Renouvier préconise (on retrouve cette idée chez Gambetta et chez bon nombre de républicains). Ce point de vue est justifié en théorie par deux thèses capitales. 30. Renouvier préfère l’idée des corsi e ricorsi de Vico, à la loi d’un progrès fatal. Voir La Philosophie analytique de l’histoire. Op. cit., vol. IV, p. 475. 31. La Critique philosophique, 1873, vol. I, p. 339. Voir aussi La Philosophie analytique de l’histoire. Op. cit., vol. III, p. 664-665. 32. La Critique philosophique, 1873, vol. I, p. 341. 33. Ibid., p. 341. 34. Ibid., p. 343. 35. Ibid., p. 345. 36. Ibid., p. 346. 73 ÉTUDES Le rapport individu-société Commençons par la thèse générale, celle qui concerne la conception du rapport individu-société. Pour Renouvier, non seulement le tout collectif n’existe que dans et par les individus qui le composent, mais en outre, il est homogène à ses éléments. Ainsi la valeur morale d’une société dépend-elle du sens moral de chaque personne. « La morale légifère pour la personne, ou, si c’est pour la société, c’est encore en adressant ses préceptes à la personne qui, au fond, est tout37. » « Le vrai principe et le vrai fondement de la société est aussi le seul que la morale puisse prêter aux États, savoir : le respect mutuel, la relation du droit et du devoir, la justice38. » La réalisation du projet républicain a sa source dans la volonté des individus, non dans les structures de l’État. Le problème qui surgit alors est mis en lumière par une loi de psychologie sociale : dans toute société, l’innovation rencontre la résistance de l’habitude, de la coutume, de la tradition. Seules les libres décisions individuelles peuvent ébranler l’inertie des masses, mais de quelle manière ? Le Manuel républicain, de 1848, présenté sous la forme d’un dialogue entre un instituteur et un élève supposé adulte, témoigne en lui-même de l’importance accordée très tôt par Renouvier au thème de l’éducation du citoyen. De manière révélatrice, Renouvier se désolidarise, dès la préface, de toute confiance absolue dans la forme du suffrage universel. « Il est clair que je n’attaque point le suffrage universel ; mais aussi n’y vois-je point une panacée dont la seule application suffise. » Il est urgent, ajoute-t-il, de passer « du suffrage universel apparent que donne aujourd’hui le Peuple ignorant et divisé, au suffrage universel réel que donnera le Peuple dans l’unité de son intelligence et de son cœur39 ». La priorité revient sans ambiguïté à une mission éducative. Dans L’Almanach du peuple pour 1851, Renouvier présente l’« instruction universalisée » comme l’un des piliers de la « République pour tous » dont rêve le socialisme40. Dans La Science de la morale, en 1869, Renouvier en appelle à la constitution de « libres associations » qui agiraient sur la collectivité en s’interposant entre « les dispositions individuelles d’opinions » et « les masses trop fatalisées, trop peu mobiles41 ». Ces associations pourraient prendre différentes formes : « Écoles pratiques, églises, coopérations, sociétés modèles, expérience même42 ». L’idée n’implique aucun bouleversement de structure, 37. La Science de la morale. Op. cit., vol. I, p. 505. 38. Ibid., p. 523. 39. Manuel républicain, p. 65-66. 40. L’Almanach du peuple pour 1851, p. 114. 41. Cette conception de la « masse », qui semble imposer une vision ambiguë du citoyen, reçoit un éclairage rétrospectif de l’adhésion de Renouvier à la théorie de Gabriel Tarde, dans les années 1890. Les archives Renouvier conservées à la Bibliothèque universitaire de MontpellierIII contiennent plusieurs lettres (encore inédites) échangées par ces deux philosophes autour de 1900. 42. La Science de la morale. Op. cit., vol. II, p. 560-561. 74 L A R É VO L U T I O N AU M I R O I R D U N É O C R I T I C I S M E F R A N Ç A I S mais une action interne à la société, rayonnant autour de petites unités à vocation pédagogique et s’étendant de proche en proche : « Au commencement de tout serait la conscience, avec ses déterminations libres ; au milieu, pour ainsi dire, et comme résultantes premières des volontés, se produiraient les établissements formés par des accords de croyance et de raison, et les solidarités partielles qui en dériveraient, moins pesantes que les anciennes ; au bout, l’État général ou société universelle, alliance des alliances, transformation accomplie des États empiriques […]43. » La politique des réformes La seconde thèse qui sous-tend le thème éducatif concerne le contenu du projet républicain : terminer la Révolution signifie réaliser la promesse d’un gouvernement rationnel centré sur l’autonomie du citoyen. Une réforme institutionnelle en ce sens est-elle possible? Le problème apparaît à Renouvier comme un cercle vicieux. Vouloir fonder l’accès à l’autonomie sur l’obéissance au pouvoir extérieur des institutions, serait un projet contradictoire : c’est l’autonomie morale qui doit précéder et accompagner la forme démocratique des institutions, et non l’inverse. Mais dans l’état actuel de la société, la conduite de l’individu est largement conditionnée par les habitudes, la coutume, la tradition, de sorte qu’il paraît à première vue nécessaire de réformer d’abord les institutions qui pèsent sur l’esprit de la collectivité. Dans l’article de La Critique philosophique du 2 novembre 1876 intitulé «L’habitude et les révolutions», la question est posée en ces termes: «Comme il est bien certain que les institutions n’ont jamais de valeur qu’en raison de ce que valent les hommes chargés de les appliquer et de les faire vivre, et que ceux-ci dépendent en grande partie de leurs habitudes et de leur éducation, il est également clair que les habitudes et l’éducation doivent changer; mais comment changeraient-elles s’il faut qu’elles soient changées déjà pour que s’établissent les conditions nécessaires de leurs changements ?44 » Renouvier aperçoit une conjoncture favorable dans une configuration historique précise : un changement irréversible des institutions suivi d’une action menée sur le long terme. « Il n’est pas impossible de s’affranchir à la fin de ce cercle vicieux, en comptant sur l’influence éducatrice nationale de certaines circonstances une fois changées dont on ne revient pas, puis sur des actions individuelles ou très-puissantes, ou nombreuses et répétées, surtout sur le long temps écoulé dans un même ordre de revendications et d’infatigable propagande45. » En résumé, une révolution relayée par des réformes. Or, dans le domaine des réformes, c’est à l’éducation que Renouvier accorde la priorité, et plus 43. Ibid., p. 561. 44. La Critique philosophique, 1876, vol. II, p. 217. Ce cercle renvoie en définitive au grand problème de la formation des formateurs, que les révolutionnaires (Chénier, Lakanal) n’avaient pas manqué de formuler. 45. Ibid., p. 217. 75 ÉTUDES exactement à l’éducation laïque, seule habilitée à faire apparaître la loi morale comme un principe rationnel et universel. Renouvier s’en prend à l’instruction catholique : le prêtre « ne se préoccupe que médiocrement d’apprendre à chacun à se connaître, à scruter sa conscience ; bref […] l’éducation cléricale ne modifie en rien l’immoralité régnante, le mensonge perpétuel de tous à tous, l’inexactitude à remplir ses devoirs, les abus de confiance, le manque de dignité. Nous ne parlons pas de maux encore plus graves, heureusement moins universels : l’absence de toute protection pour la femme et pour les enfants dans certaines familles accuse nos lois autant que l’éducation ou ceux à qui elle est confiée. […] On pourrait ajouter que les leçons directes ou indirectes des prêtres tendent le plus souvent à mettre ou à confirmer les esprits dans les dispositions les plus contraires aux principes et aux mœurs de la démocratie. De toute manière, l’éducation donnée au nom des principes de l’État est la principale sur laquelle il ait à compter pour agir sur les habitudes des masses46 ». Terminer la Révolution consiste donc pour Renouvier à retourner l’obstacle en cercle vertueux : la laïcité de l’enseignement, souhaitée par un large courant de l’opinion républicaine, doit préparer le terrain d’une réforme de l’esprit public, qui elle-même doit se répercuter sur la transformation des institutions, celles-ci assumant finalement la charge de stabiliser durablement l’esprit républicain en conformant les habitudes aux exigences de la raison. Propositions concrètes Prenant en considération l’une des dimensions les plus concrètes de la citoyenneté, celle qui se rapporte à la communauté de partage et de redistribution, Renouvier a suggéré pendant un demi-siècle une série de réformes dans le domaine social : l’impôt progressif, qui limiterait l’accroissement de la propriété privée, et permettrait à chacun d’exercer le droit au travail et d’accéder à la propriété ; l’organisation des travailleurs en associations sur la base d’un système de crédit et d’assurance, avec intervention partielle de l’État ; la mise en place d’une assistance publique pour les chômeurs, les vieillards et les enfants47. Politiquement, le néocriticisme est un socialisme réformiste. Dans les années 1890, faisant le point sur les politiques républicaines en France, Renouvier dénonce deux écueils ; il affiche sa déception face à l’égoïsme et à la mauvaise volonté des classes dirigeantes, et sa méfiance face à l’agitation des groupes socialistes révolutionnaires. Nouvelle condamna- 46. Ibid., p. 213. 47. Il faut reconnaître au philosophe le mérite de s’être intéressé de près à ces questions. En 1897, il écrit à propos de la protection de l’enfance : « L’état des choses est abominable. La société, dont les lois punissent durement l’infanticide, est partout infanticide par complicité. » La Philosophie analytique de l’histoire. Op. cit., vol. IV, p. 634. 76 L A R É VO L U T I O N AU M I R O I R D U N É O C R I T I C I S M E F R A N Ç A I S tion de la violence qui pourrait compromettre la marche des réformes : « La méthode révolutionnaire doit plus probablement, si elle a une issue, aboutir à un bouleversement qui, en inquiétant tous les intérêts et produisant l’insécurité générale, – après que l’ardente compétition des partis, l’indiscipline et l’utopie, les pouvoirs instables, les décrets improvisés, inexécutables, et les journées de manifestations ou d’insurrections auraient fait évanouir toute espérance de progrès régulier par les voies démocratiques – viendrait, c’est la loi, prendre fin dans le césarisme48. » Conclusion Le cas de Robespierre est pédagogiquement intéressant. Que la violence soit illégitime par principe, il n’est pas difficile de l’admettre. Mais Renouvier invente une théorie de la morale appliquée à l’état de guerre, qui requiert une considération d’utilité. Le choix des moyens y est envisagé dans toute sa difficulté, même si la situation d’incommunicabilité qui caractérise l’époque de Robespierre n’apparaît pas au grand jour. Renouvier devenu le père du « néocriticisme » semble vouloir racheter la trop grande bienveillance de ses écrits antérieurs, dictés en partie, il est vrai, par les circonstances. Désormais, il montre que la nécessité pratique du recours à la violence, souvent douteuse d’ailleurs, doit toujours s’avouer fautive, même si la faute est calculée et limitée. Renouvier est ainsi conduit à se démarquer d’un personnage qui, comme penseur du moins, n’était peut-être pas si éloigné de ses propres exigences. L’intention est en effet constitutive de l’acte fondateur du nouveau régime, en particulier s’il s’agit de la République, celle-ci n’étant au fond que l’actualisation d’une exigence morale rationnelle étendue à l’ensemble des individus composant la société. Ces réflexions, dont l’actualité est manifeste, pourraient être rapprochées de l’idée de Paul Ricœur selon laquelle la pratique la plus saine est celle qui, en termes wébériens, s’efforce de maintenir « la pression d’une morale de conviction sur la morale de responsabilité49 ». Laurent Fedi Détaché au CNRS 48. La Philosophie analytique de l’histoire. Op. cit., vol. IV, p. 638. 49. Voir par exemple Ricœur P. Lectures I, Autour du politique. Paris : Seuil, 1991. p. 139 : « Il faut non seulement retenir comme vérité formelle la non-violence du discours, mais l’attester comme impératif : le “Tu ne tueras pas” est toujours vrai, même quand il n’est pas applicable. Qui le professe continue de reconnaître l’autre comme un être rationnel et entreprend de l’honorer. En outre, il garde par-devers lui la possibilité de rentrer en discussion avec son adversaire; il ne commettra jamais en temps de guerre un acte qui rende la paix impossible. Par là sera maintenue la pression d’une morale de conviction sur la morale de responsabilité. » 77