DOSSIER THÉMATIQUE Carbapénémases Signalement et mesures d’hygiène en cas de mise en évidence d’entérobactéries productrices de carbapénémases Report and hygienic measures in case of carbapenemaseproducing Enterobacteriaceae J. Gagnaire*, C. Lasserre**, B. Grandbastien***, D. Lepelletier**, P. Berthelot* P. Berthelot * Unité d’hygiène interhospitalière, service des maladies infectieuses, CHU de Saint-Étienne. ** Unité de gestion du risque infectieux (UGRI), service de bactériologie et d’hygiène, CHU de Nantes. *** Service de gestion du risque infectieux des vigilances (SGRIVi), hôpital Calmette, CHRU de Lille. L a mise en évidence d’entérobactéries productrices de carbapénémases (EPC) est un phénomène émergent dans les établissements de santé français (1). Il fait suite à l’augmentation de la pression de colonisation, avec, pour l’instant, un facteur de risque majeur qui est l’hospitalisation à l’étranger, que ce soit dans le cadre d’un rapatriement sanitaire, d’une hospitalisation de plus de 24 heures ou d’une prise en charge dans des filières de soins spécifiques (2). On a récemment noté une augmentation des cas autochtones, qui peuvent correspondre, pour un certain nombre d’entre eux, à l’absence de mise en évidence d’un lien épidémiologique avec l’étranger (1). De façon parallèle, il existe une augmentation de la pression de sélection antibiotique, avec une augmentation des entérobactéries productrices de bêtalactamases à spectre étendu (EBLSE), ce qui induit une augmentation de la prescription des carbapénèmes (3, 4). Des recommandations pour limiter la dissémination des EBLSE en France ont été émises par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) en 2010 (5). La France reste un pays fort consommateur d’antibiotiques, et, malgré une baisse documentée de 16 % en 10 ans, une tendance récente à une nouvelle augmentation dans les établissements de santé a été enregistrée (6). Faisant suite à cette mise en évidence d’EPC, des épidémies ont été décrites en France et à l’étranger, notamment de Klebsiella pneumoniae, 136 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 4 - juillet-août 2013 soit par transmission croisée avec ou sans mise en place de précautions complémentaires contact, soit par l’intermédiaire de matériel ou d’environnements contaminés (7). Ces bactéries sont commensales du tube digestif avec un risque majeur de contamination par les excreta et une longue durée de colonisation des patients. La littérature décrit par ailleurs une transmissibilité accrue de K. ­pneumoniae, par rapport à Escherichia coli, qui est la bactérie prédominante dans la flore digestive (8). La situation en France En France, grâce à une stratégie agressive de type “search and isolate”, il n’y a pas pour l’instant d’endémie des EPC (1). Des recommandations très strictes ont été émises par le HCSP en novembre 2010 (9), demandant le repérage des patients rapatriés sanitaires ou hospitalisés dans l’année à l’étranger, avec la mise en place de précautions contact dès l’admission, la réalisation d’un écouvillonnage rectal à la recherche d’une colonisation de bactéries hautement résistantes (BHR) aux antibiotiques et, si le patient se révèle porteur, une stratégie agressive de précautions complémentaires d’hygiène associée à un dépistage digestif des patients contacts. Les principales mesures recommandées par le HCSP sont listées dans le tableau. Mots-clés Résumé »» La prévention et la maîtrise de la transmission croisée des entérobactéries productrices de carbapé­ némases (EPC) reposent sur l’application rigoureuse des précautions standard d’hygiène. Ces dernières concernent notamment la gestion des excreta, réservoir habituel de ces bactéries. Pour les patients à haut risque de portage de ces bactéries hautement résistantes aux antibiotiques (patients rapatriés sanitaires, patients hospitalisés dans l’année à l’étranger), des mesures spécifiques doivent être mises en place. Elles reposent sur le repérage, le dépistage des patients à risque et la mise en place immédiate de précautions complémentaires contact. Selon le délai de prise en charge du patient porteur et la survenue ou non de cas secondaires, les mesures d’hygiène peuvent inclure des précautions spécifiques d’hygiène, stratégie de dépistage des patients porteurs et contacts, sectorisation des patients et du personnel, limitation des transferts et des mutations, voire arrêt des admissions. Tableau. Principales recommandations du Haut Conseil de la santé publique pour la prise en charge des patients rapatriés sanitaires ou hospitalisés dans l’année à l’étranger (2). Recommandations Admission du patient 1. Lors de l’admission à l’hôpital, l’équipe opérationnelle d’hygiène doit être informée de la présence de ce patient, idéalement par une alerte automatisée. 2. L’équipe de soins prenant en charge le patient doit informer le patient des mesures d’hygiène mises en place. 3. Le médecin en charge du patient doit signaler la colonisation du patient par une bactérie hautement résistante aux antibiotiques, dans le dossier médical du patient. 4. Des précautions complémentaires d’hygiène contact, selon les recommandations de la Société française d’hygiène hospitalière éditées en 2009, doivent être mises en place dès l’admission du patient. Ces mesures seront réévaluées après les résultats de l’écouvillonnage rectal. 5. Un prélèvement doit être effectué immédiatement et systématiquement pour rechercher des entérobactéries productrices de carbapénémases ou des entérocoques résistants aux glycopeptides par écouvillonnage rectal ou par prélèvement de selles. 6. Si les mesures de contrôle ont été mises en place dès l’admission, il n’est pas nécessaire de réaliser un dépistage digestif des patients contacts (définis comme les patients pris en charge par la même équipe de soin). Si le patient est détecté positif pour une bactérie hautement résistante aux antibiotiques 7. Le laboratoire de microbiologie doit immédiatement alerter l’équipe opérationnelle d’hygiène et le médecin en charge du patient en cas de mise en évidence d’une bactérie hautement résistante aux antibiotiques. 8. L’équipe opérationnelle d’hygiène doit signaler à l’agence régionale de santé (ARS) et au centre de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales (CCLIN), en utilisant le système e-SIN*, la colonisation ou l’infection du patient par une bactérie hautement résistante aux antibiotiques. 9. Le mécanisme de résistance doit être identifié par le laboratoire de microbiologie ou la souche transférée au Centre national de la résistance aux antibiotiques pour caractérisation du mécanisme de résistance. 10. Des mesures d’hygiène et une surveillance épidémiologique doivent être maintenues jusqu’à ce que 3 prélèvements digestifs se soient révélés négatifs (réalisés chaque semaine). En cas d’épidémie, les recommandations du programme national pour minimiser le risque de transmission d’entérocoques résistants aux glycopeptides doivent être appliquées. * Signalement externe des infections nosocomiales. Voies de transmission et prévention La transmission des bactéries dans les établissements de santé se fait majoritairement par transmission croisée via les mains du personnel. Les mutations et les réadmissions de patients non connus comme porteurs de bactéries multirésistantes (BMR) aux antibiotiques peuvent être des causes de contamination d’unités de soins non concernées par ce type de bactéries. La pression de sélection antibiotique va favoriser l’émergence et la sélection de souches multirésistantes aux antibiotiques. Dans une revue de la littérature publiée en 2007, J.D. Siegel et al. ont listé les principales mesures de contrôle pour limiter la dissémination des BMR dans les établissements de soins (10). Pour limiter la dissémination des bacilles à Gram négatif multirésistants aux antibiotiques, les mesures suivantes ont été proposées : éducation et formation du personnel, des patients et des visiteurs ; renforcement de l’hygiène des mains ; utilisation de produits antiseptiques pour le lavage des mains ; précautions complémentaires contact ; chambres individuelles ; regroupement géographique des patients ; sectorisation du personnel de santé ; modification de l’utilisation des antibiotiques ; d ­ épistage Bactéries hautement résistantes aux antibiotiques Entérobactéries productrices de carbapénémases Précautions standard d’hygiène Précautions complémentaires d’hygiène Épidémie Summary »» To control the emergence and spread of carbapenemase producing Enterobacteriaceae (CPE), standard hygienic precautions must be applied. These precautions include notably rigorous hygienic measures when handling stools and urines, usual reservoir of these bacteria. For patients at high risk of carriage (repatriated patients or travelers hospitalized in foreign countries), specific measures must be set up: identification of at risk-patient, immediate screening and implementation of additional contact precautions. According to the time for CPE detection and occurrence or not of secondary cases, hygienic measures can include specific precautions, screening of contact patients, cohorting separately cases and contact patients, stopping patients’ transfer, and limitation of admissions. Keywords Extensively drug resistant bacteria Carbapenemase-producing Enterobacteriaceae Contact precautions Standard precautions Outbreak La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 4 - juillet-août 2013 | 137 DOSSIER THÉMATIQUE Carbapénémases Signalement et mesures d’hygiène en cas de mise en évidence d’entérobactéries productrices de carbapénémases des patients ; dépistage des professionnels de santé ; prélèvements microbiologiques environnementaux ; augmentation du bionettoyage et de la désinfection de l’environnement ; utilisation de petit matériel dédié à la prise en charge des patients ; décolonisation et fermeture de l’unité de soin à toute nouvelle admission en cas de situation non maîtrisée. Le jugement de l’efficacité des stratégies de prévention de la transmission croisée des bacilles à Gram négatif multirésistants aux antibiotiques se heurte à plusieurs problèmes méthodologiques (11). Premièrement, il s’agit souvent de programmes de prévention à plusieurs facettes, et il est dès lors difficile d’isoler l’efficacité d’une seule mesure d’hygiène. De la même façon, il est difficile de quantifier l’efficacité des précautions standard et des précautions complémentaires d’hygiène, car ces évaluations soit ne sont pas réalisées, soit sont réalisées uniquement en période épidémique. Les audits des mesures d’hygiène sont rares, et il n’est pas sûr que des mesures pertinentes pour un établissement soient transposables à d’autres. De plus, l’unité d’analyse de ces différentes études est l’unité de soins et non le patient en lui-même. Il s’agit également d’études de type avant/après, le plus souvent sans groupe témoin. De la même façon, les stratégies sont variables selon l’extension de l’épidémie et le retard à la mise en évidence des cas et à la mise en place de mesures de contrôle. Il existe malgré tout des preuves limitées sur l’apport d’une stratégie de dépistage des BMR afin de quantifier l’extension de l’épidémie et d’aider à suivre l’efficacité des mesures de contrôle mises en place, et sur le fait que la mauvaise observance des mesures d’hygiène est une cause d’échec de la maîtrise de la transmission croisée (12). Des éléments favorisants, comme la surcharge de travail, une importante charge de soins et le manque de personnel sont également retrouvés fréquemment lors des épidémies. L’efficacité des mesures d’hygiène nécessite la mise en place d’une stratégie d’équipe pour limiter la transmission croisée des micro-organismes. Une étude de L. Temime et al. (13) évaluant par modélisation le risque de transmission lié à un professionnel de santé, ayant une activité transversale dans les unités de soins, non observant des mesures d’hygiène, a montré que ce type de professionnel de santé peut être un superdisséminateur, avec, selon le niveau de transmissibilité de l’agent infectieux, un risque de transmission équivalent à 20 % de personnels de santé non observants. Depuis 2009, on note une augmentation très importante du nombre d’articles relatant des épidémies 138 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 4 - juillet-août 2013 liées à des EPC. Il est difficile d’interpréter, comme nous l’avons dit précédemment, l’efficacité d’une mesure d’hygiène spécifique, mais la littérature montre que des contrôles d’épidémies à EPC ont pu être obtenus par la mise en place de précautions complémentaires contact et le dépistage des patients sans “cohorting” (regroupement des patients, avec ou sans sectorisation du personnel de santé) ; à l’opposé, pour d’autres épidémies, ce cohorting s’est révélé indispensable pour éradiquer la transmission croisée (7, 14). Au niveau international, une douzaine de pays ont émis différentes recommandations pour contrôler la dissémination des EPC. Les principales mesures listées en dehors d’un contexte épidémique sont les suivantes : ➤➤ renforcer les campagnes de formation du personnel de santé ; ➤➤ réaliser des études scientifiques qualitatives et quantitatives, notamment par l’intermédiaire des centres nationaux de référence de ces bactéries ; ➤➤ mettre en place un système centralisé de surveillance des BHR ainsi qu’un système de déclarations ; ➤➤ diffuser des recommandations visant à prévenir la dissémination dans les hôpitaux à tous les établissements de soins aigus ; ➤➤ surveiller la prescription antibiotique, notamment en restreignant l’utilisation des carbapénèmes ; ➤➤ dépister des patients à risque de portage de BHR : selon les recommandations, cela peut concerner tous les contacts étroits du cas index jusqu’à négativation (patients qui ont séjourné pendant plus de 24 heures avec le cas index alors que les précautions complémentaires contact n’étaient pas mises en place), ou, au moins 1 fois par semaine, tous les patients séjournant au même moment et dans le même service qu’un patient porteur d’EPC en situation épidémique, voire tous les patients dans les services à haut risque ainsi que les patients ayant été préalablement hospitalisés dans un pays étranger. Ces mesures sont assez proches de celles recommandées en France par le HCSP (9). Certaines recommandations proposent des actions complémentaires ; on peut noter la préconisation de limiter le nombre de soignants prenant en charge le patient, avec, notamment, l’exclusion des étudiants en formation et la mise en place de check-lists des mesures de contrôle. De façon à minimiser le risque d’infection chez les patients porteurs, il est également recommandé de réduire autant que possible l’utilisation de dispositifs invasifs. La formation des professionnels est une constante dans toutes ces recommandations, avec la nécessité d’informer du statut de porteur d’EPC les services recevant les DOSSIER THÉMATIQUE patients, notamment lors de la réalisation d’examens complémentaires. Il est également recommandé de limiter les transferts des cas contacts et des cas, ainsi que les admissions dans le secteur concerné. En cas de survenue de cas secondaire, il est souvent recommandé de créer une équipe pluridisciplinaire de crise, visant à coordonner les actions de contrôle de la dissémination de ce type de bactérie. Le cohorting des patients et des équipes soignantes est souvent recommandé, ainsi que la limitation, sauf en cas d’urgence, des transferts des patients vers d’autres services ou institutions. Il est également recommandé de renforcer les précautions complémentaires d’hygiène : hygiène des mains, bionettoyage de l’environnement et désinfection du matériel. Un audit des mesures d’hygiène est souvent préconisé, avec également la nécessité de surveiller la prescription antibiotique de façon à minimiser le risque de pression de sélection antibiotique. Une des études les plus intéressantes sur le sujet est celle réalisée en Israël dans le cadre d’une épidémie de K. pneumoniae productrice de carbapénémases à l’échelle du pays, qui a nécessité la mise en place d’une stratégie nationale pour limiter le risque d’explosion de la transmission de ces bactéries résistantes aux antibiotiques (7). En effet, de janvier 2005 à mai 2007, une augmentation très importante de l’isolement d’EPC a été constatée dans les établissements de santé, liée à l’absence de réactivité et de mise en place de mesures de contrôle adéquates. L’incidence mensuelle avait atteint 55,5 cas pour 100 000 journées d’hospitalisation. Le déploiement d’une stratégie nationale reposant sur le signalement de tout cas d’EPC, le regroupement des patients et de personnels de santé dédiés, les check-lists, l’audit des mesures d’hygiène, la coordination régionale avec mise en responsabilité du directeur d’établissement et une rétro-information mensuelle de tout nouveau cas, aidée plus ou moins d’une task-force pour coordonner l’intervention si la situation n’était pas sous contrôle, a permis une diminution très importante des nouveaux cas de transmission croisée de K. pneumoniae résistantes aux carbapénèmes. Après la mise en place de ces mesures au niveau national, l’incidence a diminué de façon continue pour atteindre, en mai 2008, 11,7 cas pour 100 000 journées d’hospitalisation (p < 0,001). En analyse multivariée, les facteurs associés de façon statistiquement significative à la transmission croisée de ces EPC étaient la prévalence des porteurs d’EPC, la période d’intervention (avant versus après) et, en particulier, la corrélation entre l’observance des recommandations et des mesures d’hygiène et la prévalence d’EPC. En 2010, des recommandations européennes de prise en charge et de prévention de la transmission croisée de ces bacilles à Gram négatif producteurs de carbapénémases ont été émises (15). Sans surprise, elles reprennent les mesures listées ci-dessus, en mettant l’accent sur l’importance de la coordination des mesures de contrôle et de la supervision par les autorités sanitaires. Ces mesures de contrôle sont importantes pour limiter le risque de dissémination des BHR, mais il est primordial de rappeler que les patients porteurs de BHR ne doivent pas subir de perte de chances dans leur prise en charge du fait de ces mesures. Gestion des cas d’EPC confirmés dans la pratique… En France, conformément à la circulaire no DGS/RI/ DGOS/PF/2010/413 du 6 décembre 2010 relative à la mise en œuvre des mesures de contrôle des cas importés d’EPC, toute mise en évidence de ce type d’entérobactérie doit faire l’objet d’un signalement aux autorités sanitaires (16). La nécessité de ce signalement et celle de la mise en place de mesures spécifiques listées dans le document du HCSP de 2010 ont également été rappelées dans l’instruction DGS/DUS/RI no 2011/224 du 26 août 2011, relative aux mesures de contrôle des EPC (17). Une nouvelle instruction DGS/DUS/CORRUSS n o 2012/188 du 9 mai 2012 relative à l’organisation des rapatriements sanitaires vers la France de patients porteurs de maladies transmissibles nécessitant un isolement ou de BMR demande que, lors d’un rapatriement sanitaire, l’agence régionale de santé de la zone géographique où le patient va être transféré soit informée de ce rapatriement sanitaire (18), mais pas l’établissement hospitalier qui l’accueille ! Le retour d’expérience de ces préconisations n’est pas encore connu. Une évaluation RAISIN-InVS est en cours pour analyser la pertinence des mesures mises en place lorsque l’on retrouve, chez des patients hospitalisés, des EPC ou des entérocoques résistants aux glycopeptides. La Société française ­d’hygiène hospitalière (SF2H) a, pour sa part, proposé une enquête par questionnaire à ses adhérents en juin 2012 (19). Cette enquête déclarative, réalisée auprès d’un échantillon de 286 établissements de santé français volontaires, 2 ans après la publi­cation des premières recommandations du HCSP, a souligné la difficulté qu’ont les établissements de santé à mettre en œuvre des mesures spécifiques de prise La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 4 - juillet-août 2013 | 139 DOSSIER THÉMATIQUE Carbapénémases Signalement et mesures d’hygiène en cas de mise en évidence d’entérobactéries productrices de carbapénémases en charge des BHR incluant le dépistage des patients contacts et la sectorisation des patients concernés avec personnel dédié. Elle a montré la sous-utilisation du système d’information hospitalier pour la traçabilité des patients. Les résultats de cette enquête suggèrent que les mesures spécifiques de prise en charge des patients porteurs de BHR sont efficaces lorsqu’elles sont appliquées à l’admission. Mais cette étude, qui montre que 50 % des cas de BHR sont découverts en cours d’hospitalisation, souligne la fiabilité variable du repérage et du dépistage des patients plus particulièrement à risque de portage. Cela nous rappelle une fois de plus que l’application effective et rigoureuse des précautions standard d’hygiène doit être la règle dans les établissements de santé et devenir une priorité nationale pour minimiser le risque de transmission croisée des BMR, y compris des BHR. De même, la gestion des excreta, réservoirs habituels de ces EPC, est également une problématique d’hygiène importante qui doit faire l’objet d’une analyse à l’échelle d’un établissement et nécessite l’élaboration d’un protocole des mesures d’hygiène entourant sa gestion. En cas de mise en évidence de BMR, de BHR ou de maladies infectieuses transmissibles, des précautions complémentaires d’hygiène (contact, gouttelette et air) doivent être prises. De plus, des précautions complémentaires spécifiques aux BHR doivent être instaurées lors de la mise en évidence d’EPC ou d’entérocoques résistants aux glycopeptides. Ces mesures sont similaires à la prise en charge d’une épidémie au sein d’un établissement de santé. Ainsi, la meilleure prévention de la transmission croisée de ces BHR repose sur la combinaison de 2 stratégies, l’une à l’échelle individuelle, l’autre à l’échelle collective. Une stratégie ciblée individuelle Il est important de mettre en place des mesures d’hygiène spécifiques dans les situations à haut risque de portage de BHR ayant un impact probablement important sur le risque de dissémination. En effet, la probabilité que les patients à haut risque (rapatriés sanitaires et patients hospitalisés dans l’année à l’étranger, ou patients issus de filières de soins spécifiques à l’étranger) soient porteurs de BHR est importante, et la mise en place de mesures de dépistage et de précautions complémentaires d’hygiène permettra de minimiser le risque de transmission ou, au pire, de détecter rapidement une dissémination épidémique. 140 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 4 - juillet-août 2013 Une stratégie à l’échelle de la population générale hospitalisée Cette stratégie consiste en l’amélioration (et aussi l’augmentation) de l’application des précautions standard, qui a l’énorme avantage d’avoir un effet sur l’ensemble de la population admise dans les établissements de santé, mais qui nécessite un changement profond des comportements en termes d’hygiène au sein des établissements de santé. Ces mesures d’hygiène de base, bien appliquées, ont montré leur efficacité pour endiguer des phénomènes épidémiques intra-établissements de santé (20), et il y a tout lieu de penser que ces mesures, maintenant très proches des précautions complémentaires contact dans les dernières recommandations de la SF2H (21), s’avéreraient efficaces pour la maîtrise de la transmission croisée des BHR si elles étaient correctement appliquées. La lutte contre la dissémination des BHR : une priorité ? La réactivité et l’ajustement des mesures de contrôle à la situation (sporadique, épidémique, endémoépidémique) sont des éléments primordiaux dans la lutte contre la dissémination des BHR. Le travail sur le terrain doit être coordonné par les équipes opérationnelles d’hygiène, qui doivent de plus aider les services de soins, notamment à la mise en place des mesures d’hygiène, à la rédaction de check-lists et à la réalisation d’audits des mesures d’hygiène. Toutes les recommandations actuelles insistent sur l’importance d’une stratégie multifacettes, intégrant la sensibilisation et la mobilisation des différents acteurs, le repérage des patients à haut risque et le dépistage des cas et des contacts de façon à avoir un état des lieux rapide de la situation et de la dissémination de ces bactéries. La mise en place de personnel dédié et, selon la situation épidémique, le regroupement des patients dans un secteur géographique dédié sont des éléments essentiels pour minimiser le risque de transmission des BHR. Le système d’information hospitalier doit aider les professionnels de santé à repérer les patients porteurs et les contacts, notamment lors des transferts, de mutations et de la réadmission de patients dans les établissements de santé. Un soutien régional par les antennes régionales de lutte contre les infections nosocomiales (ARLIN) et les centres de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales (CCLIN) est également crucial, notamment DOSSIER THÉMATIQUE pour les petites structures. Plus généralement, il est primordial que le représentant légal de l’établissement de santé et le président de la commission médicale d’établissement, dans les établissements de santé publics, ou la conférence médicale, dans les établissements de santé privés, aidés de l’équipe opérationnelle d’hygiène, mettent en place l’organisation nécessaire au repérage, au dépistage des patients à risque, et insistent sur l’importance de l’application effective des précautions standard pour l’ensemble des patients de l’établissement de santé. Un plan local de gestion des épidémies doit également être établi (conformément au plan stratégique national 2009-2013 de prévention des infections associées aux soins diffusé par la circulaire interministérielle no DGS/DHOS/DGAS 2009/264 du 19 août 2009 [22]), afin d’assurer la maîtrise d’une épidémie, susceptible d’être mis en œuvre dès la confirmation d’une épidémie locale ou régionale, notamment pour les BHR. Le HCSP a travaillé à l’adaptation et au renforcement des dispositifs nationaux de maîtrise de la diffusion des BHR (23). Des conduites à tenir opérationnelles prenant en compte les différentes situations de détection de cas porteurs de BHR et des stratégies de surveillance de patients contacts viennent juste d’être publiées, de façon à rendre plus opérationnelle la maîtrise de la diffusion de ces BHR. En complément du plan national d’alerte sur les antibiotiques 2011-2016 (24), il s’agit d’un enjeu national pour préserver l’efficacité des antibiotiques (25). n L es auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références bibliographiques 1. InVS. Épisodes impliquant des entérobactéries productrices de carbapénèmases en France. Situation épidémiologique du 3 octobre 2012. Disponible sur http://www.invs.sante.fr/Dossiers-thematiques/ Maladies-infectieuses/Infections-associees-aux-soins/ Surveillance-des-infections-associees-aux-soins-IAS/ Enterobacteries-productrices-de-carbapenemases-EPC/ Episodes-impliquant-des-enterobacteries-productrices-decarbapenemases-en-France.-Situation-epidemiologiquedu-3-octobre-2012 2. Lepelletier D, Andremont A, Grandbastien B; National Working Group. Risk of highly resistant bacteria importation from repatriates and travelers hospitalized in foreign countries: about the French recommendations to limit their spread. 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