Kapitalis, le portail d`informations sur la Tunisie et le Maghreb Arabe

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Publié le jeudi 22 décembre 2011 07:59
Karim Ben Slimane – L’auteur met les pieds
dans le «tebsi», comme il dit, en posant la question qui risque de
fâcher : Y a-t-il plusieurs islams en Tunisie ?
C’est une question simple et bête, peut être non avenue et choquante
pour certains, mais elle vaut bien une pérégrination intellectuelle
dont voici la teneur.
Les sociologues aiment à distinguer entre des catégories dans la
société et aiment par-dessus tout identifier autour de ces catégories
des processus qui les font entrer en conflit. La société évolue au gré
du jeu de ces confrontations.
La religion dans la vie politique
S’agissant de la Tunisie, le débat qui agite aujourd’hui une frange de
la population se cristallise autour de la place et du poids de la
religion dans la vie politique et essentiellement dans la définition
des libertés individuelles.
Après le 14 janvier, les mouvements islamistes sont sortis de la
clandestinité et sont devenus en un temps record une, sinon, la force
politique importante en Tunisie. En face, l’establishment
universitaire, culturel et l’intelligentsia de salon voient rouge ou
plutôt vert. Ils craignent le réveil d’anciens atavismes de la société
tunisienne.
Ce qui fait peur c’est un retour de l’institution des ulémas et des
savants-intellectuels religieux dans le champ juridique, universitaire
et politique. S’en suivrait alors une marche à reculons qui ravagerait
sur son passage beaucoup d’acquis constituant le socle de la Tunisie
moderne tels que le Code du statut personnel et tout ce qu’il apporte
en matière d’émancipation de la femme et le caractère civil de
l’institution judiciaire, de l’école, de l’hôpital et de l’université.
Certains diraient nous revoilà plongés dans un débat entre le
modernisme réformateur versus le traditionalisme conservateur qui a
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été une ligne de clivage importante des forces vives ayant mené la
lutte pour la libération de la Tunisie et pour la construction de
l’Etat tunisien indépendant.
La distinction entre ces deux catégories, modernisme réformateur d’un
côté et traditionalisme conservateur de l’autre, va dans le sens d’une
certaine lecture de l’histoire de la Tunisie. Il est vrai qu’à
l’initiative du Grand Vizir Kheireddine, une brèche s’est ouverte dans
la mainmise de la religion sur les institutions judiciaires et sur
l’enseignement (surtout avec la création du collège Sadiki).
Cette catégorisation est-elle toujours d’actualité après le 14 Janvier
? Est-ce encore une lecture pertinente pour comprendre la dynamique du
jeu politique et des processus en œuvre qui influenceront l’évolution
de la société tunisienne ?
La défaite des intellectuels
Certains signaux poussent à nuancer le poids de la lutte entre
modernisme réformateur et traditionalisme conservateur. En effet, si
le traditionalisme conservateur galvanise encore les foules, le
modernisme réformateur a perdu de son brio. Ce dernier est incarné
aujourd’hui par une élite de plus en plus distante du peuple. La
révolution du 14 janvier n’a fait qu’aggraver l’abîme.
Ma perception de la Tunisie d’aujourd’hui me laisse penser que la rue
est moins portée sur les débats idéologiques et peu encline à
l’intellectualisation des enjeux sociaux. Pour dire vrai, les
Tunisiens ne tiennent pas les intellectuels en affection, il suffit de
revoir l’accueil réservé à des Mohammed Talbi, Youssef Seddik ou
encore à Abouyaâreb Marzouki. Le leitmotiv de la rue demeure le
«real», le concret, l’immédiat et non les débats sans fin. C’est pour
cette raison que l’élite tunisienne issue de l’establishment
universitaire et le monde de la culture, qui s’est intronisée
gardienne du temple du modernisme réformateur dans lequel gît le
bourguibisme, sont en train de péricliter.
Je ne suis pas adepte de la thèse de la fin des idéologies et de la
fin de l’Histoire précipitée par la chute du bloc soviétique. Je pense
plutôt que le monde d’aujourd’hui ne carbure plus à l’idéologie et aux
utopies mais davantage à la quête de sens.
Quelles sont alors les catégories agissantes dans la Tunisie actuelle
? J’en vois désormais deux. Il ne s’agit pas de classer tous les
Tunisiens dans ces deux catégories. Certains ne s’y reconnaîtront pas
et ils auront raison. Néanmoins, je pense qu’elles sont agissantes et
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influentes et désormais déterminantes dans la dynamique de continuité
et de changement dans la Tunisie de demain. Il s’agit de deux
conceptions et de pratiques de l’islam mêlées à des dimensions
sociales culturelles et économiques.
Islam citadin et islam rural
Ma conception est qu’il existe aujourd’hui en Tunisie une tension
entre deux islams et donc deux catégories : un islam citadin et
bourgeois versus un islam rural et populaire.
L’islam citadin et bourgeois met l’accent sur la piété et sur la
vertu. La cité adoucit le tempérament de l’individu et lénifie le lien
social. L’anxiété sociale est de ce fait moins forte. La prospérité
économique, le bien-être et le confort matériel qui en découlent
caractérisent la cité. Elles changent le regard de l’individu sur le
monde et sur lui-même. Le citadin est donc plus ouvert et plus enclin
au dialogue et à la négociation dans ses échanges du quotidien. Il vit
sa foi plutôt dans son for intérieur et il est plus à même de composer
avec la différence. Il est pieux et vertueux et il a une conception de
l’islam aussi bien cultuelle qu’intellectuelle.
De l’autre côté, l’islam rural et populaire est plus rigoriste et
communautaire. Le lien social demeure fort et les mécanismes de
solidarité agnatique sont encore structurants. Les sociétés sont plus
normées et les codes sociaux encore prégnants. Ceci augmente l’anxiété
sociale chez les individus et les rend moins tolérants à la
différence. La déviance est lourdement sanctionnée par l’exclusion du
groupe. Les rapports homme-femme sont aussi complexes et plus marqués
par la domination masculine. L’instruction et la culture sont réduites
à la portion congrue dans les sociétés rurales conférant à la religion
et aux traditions un poids considérable. L’islam est vécu d’une
manière intégrale, comme le dit Ben Achour. Il est sanctuarisé. Sa
lecture ne supporte ni doute ni renouveau. S’ajoute à ces
caractéristiques le sentiment d’injustice mâtiné d’une rancœur contre
les citadins et les bourgeois de la part des classes rurales et
populaires. Un sentiment hérité des cinq dernières décades et qui
pourrait amener à voir dans l’islam rigoriste une porte de salut
amenant justice et égalité.
Pour participer au débat politique en Tunisie, il faut désormais
montrer patte blanche et commencer par affirmer son islam. Le débat se
déroulera alors entre musulmans qui s’affirment en tant que tels et
qui le montrent sans ombrages.
Le débat sera celui entre l’islam tolérant, conciliateur et qui
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aménage une place dans l’ombre pour quelques libertés individuelles et
un islam rigoriste, total, tourné vers la tradition plutôt que les
problèmes de la société et qui va rogner sévèrement sur les libertés
individuelles.
Pour les musulmans citadins, il existe des problèmes et des enjeux
sociaux avec des dimensions religieuses qu’il conviendra peu ou prou
de concilier. Pour l’islam rural il n’existe que des dimensions
religieuses et doctrinales dont on ne peut déroger sous aucun prétexte
car elles constituent l’esprit de l’islam.
Aujourd’hui ce sont les deux catégories qui structurent la société
tunisienne. Leur opposition fera évoluer la société tunisienne vers un
sens ou vers l’autre. Il est évident que, dans un tel débat, les
élites tunisiennes n’auront plus droit au chapitre sauf si elles se
muent en musulmans qui s’affirment et en modernes. Elles doivent aussi
admettre et reconnaître le caractère sacré de tout ce qui a trait à la
religion. Il va sans dire que revendiquer son athéisme ou toute autre
idéologie anti ou multi religieuse exclut de facto son tenant du champ
politique. Ceci est néanmoins très regrettable.
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