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Fiche n°34
DECISION MEDICALE PARTAGEE
Le concept de décision médicale partagée est apparu dans les années 1990. Il vient de
l’expression anglaise ?shared decision-making model? signifiant modèle de processus de
décision partagée, qui a donné le raccourci de ?décision partagée? [105]. Longtemps, la
France a été marquée par un mode de relation médecin-patient de type paternaliste où celui
qui soigne a la responsabilité de se substituer au malade pour son bien. Puis avec l’avancée
des techniques, la facilité d’accès aux ressources d’informations médicales et l’apparition
des associations de malades, la notion d’autonomie du patient est entrée dans les mœ urs
[106]. Les dernières lois françaises le montrent bien, comme celle de mars 2002 insistant sur
l’information et le consentement du malade avant tout acte ou traitement médical [107].
Charles a décrit quatre caractéristiques de ce modèle de décision partagée [108] :
-
implication d’au moins deux personnes (le patient et le médecin)
-
partage mutuel de l’information entre les deux acteurs
-
participation du médecin et du patient au processus de décision
-
prise de décision commune avec consensus sur l’option choisie
Il distingue ce modèle du modèle paternaliste où seul le médecin informe et prend la
décision, et du modèle informatif, dans lequel le médecin est l’expert qui informe le patient
mais la décision revient au patient seul.
Les situations propices à l’application d’un tel modèle de relation médecin-patient sont
notamment les situations de maladies graves avec plusieurs options thérapeutiques ayant
chacune leurs bénéfices et leurs risques sans consensus clair sur le meilleur traitement
(exemple du traitement du cancer de prostate localement avancé [109]), mais aussi quand le
bénéfice est hypothétique (traitements préventifs, dépistages), ou subjectif (chirurgie
fonctionnelle, chirurgie esthétique).
La décision médicale partagée est donc bien plus que le simple partage de la décision : elle
est le partage de tout le processus de décision, incluant notamment un véritable échange
d’informations entre médecin et patient : données médicales objectives et valeurs du patient.
Ce n’est pas non plus simplement l’expression d’une information la plus complète possible
par le médecin, qui laisserait ensuite la décision au patient seul, en se déresponsabilisant du
choix effectué.
Les principaux obstacles à la décision partagée sont : le manque de temps, le défaut de
compétence dans le partage des décisions et l’implication du patient, le défaut de
connaissances du médecin sur les risques et bénéfices des traitements, ce qui rend une
information complète difficile, la difficulté à transmettre les informations (manque de
compétences en communication, manque d’outils), la peur du partage du pouvoir avec le
patient, le sentiment que les patients n’aiment pas l’incertitude du médecin [110].
De plus ce modèle idéal de décision partagée ne peut pas toujours être mis en œ uvre car
tous les patients ne sont pas prêts à prendre part à la décision : ?C’est vous le docteur, je
vous fais confiance… ? Ceci renvoie aux espaces de la relation thérapeutique où se situe le
patient, à son degré de dépendance ou d’autonomie (voir fiche n°16 : Patient, client,
partenaire : trois modes de relation médecin-malade), à sa capacité à formuler
rationnellement ce qui est le mieux pour lui. Aussi Charles nuance-t-il son propos en
expliquant que les frontières entre les trois modèles paternaliste, de décision partagée et
informatif sont poreuses et que le médecin peut dans la même consultation passer de l’un à
l’autre, ce qui est exprimé par le schéma suivant (tableau n° V) [111] :
Tableau n° V : Les modèles de décisions médicales d’après Charles
Discussion
Qu'en est-il en pratique de la décision partagée ? Le regard que le médecin porte sur sa
façon d’informer le patient et de l’impliquer dans ses décisions est biaisé comme le montre
l’étude Entred en 2007. Cette enquête menée auprès de personnes diabétiques de type 2 et
de leur médecin a consisté à interroger séparément patients et médecins sur l’information
donnée/reçue et la prise de décision. Dans 63% des ?paires? médecin-patient diabétique
interrogées, il y a discordance dans la perception du type de relation : le plus souvent le
patient perçoit que c’est le médecin qui décide, alors que ce dernier a, de son côté,
l’impression que la décision est partagée ou que le patient décide [112].
On pourrait aussi étudier la notion de décision médicale partagée au sujet de l'échange entre
professionnels de santé. Souligner la question du nécessaire lien entre les différents
professionnels qui interviennent auprès du patient sur un de ses problèmes de santé, si l’on
veut éviter la délétère collusion de l'anonymat (voir fiche n°13 : La collusion de l’anonymat).
Nous avons considéré qu'il s'agit là moins d’un concept théorique que d’une règle de bon
fonctionnement, liée au secret professionnel, à la déontologie et à l'amélioration de la qualité
des soins.
Illustration
Mr B., 69 ans, est vu en consultation de médecine générale : un cancer de prostate
localement avancé mais sans métastase vient de lui être diagnostiqué. Il a vu l’urologue
deux jours plus tôt et se sent perdu : il rapporte que ce médecin lui a proposé différents
traitements en lui expliquant les effets indésirables de chacun et leurs avantages respectifs
en terme de survie, et lui a demandé de choisir lequel il souhaitait. Incapable de se décider, il
est venu voir son médecin généraliste pour en rediscuter avec lui. Le praticien prend alors le
temps de l’interroger sur ses craintes, sa vision de la qualité de vie, sa peur de la maladie, sa
vie affective et sexuelle…
Il en ressort que Mr B., veuf depuis 3 ans, craint surtout
l’incontinence urinaire, mais n’est pas très préoccupé par les éventuels troubles de l’érection
que certains traitements peuvent engendrer. Le médecin généraliste lui réexplique alors les
options, et les met en lien avec les différentes valeurs exprimées par le patient. Après cet
échange d’informations entre médecin et patient, tous deux décident ensemble que le
traitement qui conviendrait le mieux à Mr B. serait certainement la radiothérapie externe
associée à la dépression androgénique.
Pour aller plus loin
Charles C, Gafni A, Whelan T. Shared decision-making in medical encounter : what does it
mean ? (or it takes at least two to tango). Soc Sci Med 1997 ; 44 (5) : 681-92.
Elwyn G, Edwards A, Kinnersley P. Shared decision-making in primary care: the neglected
second half of the consultation. Br J Gen Pract 1999 ; 49 : 477-82.
Jaulin M. La décision partagée en médecine générale. Quelles représentations en ont les
praticiens ? Enquête auprès de 40 médecins généralistes. Thèse de médecine, Faculté de
Médecine de Nantes, Université de Nantes, 2004, 123 p.
Concepts en médecine générale, tentative de rédaction d’un corpus théorique propre à la discipline. Thèse de médecine - 2013
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