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La phénoménologie se définit comme la théorie des apparences (φαινóμενα) ou de la
conscience. Elle a pour objet l’expérience subjective qui se décrit généralement à la première
personne : le bâton dans l’eau me paraît plié, l’eau du bain me paraît trop chaude, il me
semble qu’il pleut, etc. Pour éviter les confusions avec d’autres acceptions du terme de
« conscience », on désigne aujourd’hui les faits de ce type par l’expression « conscience
phénoménale ».
Cette introduction à l’histoire de la phénoménologie n’a pas d’autre ambition que de fixer
sommairement quelques jalons utiles pour voir clair dans l’histoire de la philosophie
phénoménologique. Cette histoire étant particulièrement complexe, pour ne pas dire touffue, il
est inévitable que les pages qui suivent soient assez sommaires et, parfois, regrettablement
lacunaires1.
Notre panorama ne se limitera pas à la tradition husserlienne. Par le mot « phénoménologie »,
on comprendra — en un sens plus large reflétant un usage courant depuis la fin du dix-
neuvième siècle au moins — une certaine discipline, supposée dans une large mesure
autonome, qui a été développée en particulier en philosophie et en psychologie. La
phénoménologie husserlienne est un certain développement à l’intérieur de l’histoire de cette
discipline, qui lui préexistait et qui perdure aujourd’hui parfois en dehors de toute référence
husserlienne, notamment chez les psychologues gestaltistes et dans le domaine des
Consciousness Studies.
Nous ferons abstraction d’importants travaux phénoménologiques qui ne sont pas de nature
philosophique. La psychologie gestaltiste, par exemple, ne sera abordée qu’incomplètement
(► Chap. 9). De même, il nous faudra laisser de côté plusieurs théories philosophiques qui,
bien qu’usuellement qualifiées de « phénoménologiques » en raison de leur ascendance
husserlienne, n’ont pas grand-chose à voir avec la phénoménologie au sens indiqué ci-dessus.
Enfin, je ferai aussi l’impasse sur de nombreuses théories philosophiques qu’il y aurait
assurément un sens à qualifier de « phénoménologiques », mais qu’il eût sans doute paru
incongru d’inclure dans cette brève présentation. C’est le cas, entre autres, d’une bonne part
de la tradition empiriste, à commencer par George Berkeley (1685-1753) et David Hume
1 Pour un panorama historique plus complet, voir M. Tymieniecka (éd.), Phenomenology World Wide :
Foundations – Expanding Dynamics – Life-Engagements, A Guide for Research and Study, Kluwer, 2002, ainsi
que les ouvrages, anciens mais généralement toujours fiables, de H. Spiegelberg, The Phenomenological
Movement : A Historical Introduction, 3e éd. en collaboration avec K. Schuhmann, Nijhoff, 1982, et de M.
Farber, The Foundation of Phenomenology : Edmund Husserl and the Quest for a Rigorous Science of
Philosophy, Aldine Transaction, Ontos, 2006.