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Association Terre d'Eveil Méditation Vipassana à Paris
Textes choisis
La nature de bouddha - par Stephen Batchelor
Transcription d'un enseignement donné pendant la retraite de mars 2004, à
la Maison de l'Inde, Cité Universtitaire de Paris. Merci à Evelyne Boutron
pour l'énorme travail de transcription de ce texte.
Ce terme, la nature de bouddha, est très répandu en Occident, soit parmi les bouddhistes,
soit parmi les gens intéressés par le bouddhisme. C'est une idée qui est devenue très
centrale, très inspirante pour beaucoup de gens.
Nous pouvons commencer par la définir en disant que la nature de bouddha est la capacité
que nous possédons tous à nous ouvrir et nous épanouir, non obstrués par des choses qui
finissent par nous renfermer. Le mot Bouddha, en sanskrit, veut dire littéralement celui
qui est éveillé. Les Tibétains ont traduit cette idée d'éveil ou de s'éveiller par sangs-rgyas.
En tibétain, sangs veut dire purifier et rgyas veut dire épanoui. Le Bouddha, pour eux, est
quelqu'un qui est purifié de toutes les obscurités et qui a épanoui toutes les vertus, les
choses positives comme la sagesse, la compassion, etc. Mais ce qui est intéressant, c'est
cette notion de rgyas qui veut dire s'épanouir. Ceci est pour moi une métaphore pour une
certaine ouverture de l'être, de l'esprit et qui est à l'opposé d'un état de renfermement dans
lequel on est conditionné, influencé très profondément par une certaine prise de soi. On
s'accroche beaucoup à cette identité d'être quelqu'un de spécial, quelqu'un qui existe à
part. On a le sentiment qu'on existe d'une certaine façon indépendamment de toutes les
autres conditions du monde. Intellectuellement, évidemment, on ne dirait pas ça mais au
niveau des sentiments, des émotions, on a ce sentiment extrêmement instinctif d'être
quelqu'un plus ou moins nécessaire dans le monde, dans la vie. C'est une conviction d'une
certaine permanence, d'une certaine fixité, une crispation qui est très rigide, solide.
Bouddha, c'est le contraire de ça. C'est un état d'esprit, un état d'être. Nous ne sommes
plus renfermés en nous-mêmes, coupés de tous les liens qui nous connectent avec les
autres êtres, avec notre environnement, notre passé, notre histoire. Un Bouddha ou cet état
de bouddhéité est au contraire un épanouissement de toutes les choses qui ne sont pas
bloquées, obstruées par ces attachements, ces idées fixes, cette saisie instinctive qui nous
renferment en nous-mêmes.
C'est comparable, je crois, à une phrase d'un poète anglais, William Blake, qui disait : "Si
les portes de la perception étaient purifiées, on verrait les choses comme elles sont,
infinies, car l'homme s'est enfermé jusqu'à ce qu'il ne voie toute chose qu'à travers les
fissures de sa caverne". C'est une citation pour moi très puissante et qui n'a rien à faire
avec le bouddhisme car Blake ne connaissait rien du tout de ce sujet-là. Mais le sens est
pour moi exactement le même. Pour lui, la "purification des portes de la perception" - et
c'est lié à ce que je disais déjà sur le mot Bouddha en tibétain qui veut dire à la fois purifié,
épanoui - c'est en effet ce qu'on essaie de faire avec la méditation Vipassana ou avec toute
sorte de méditation. C'est aller au-delà des habitudes de la perception qui consiste à voir
toujours les choses de la même façon, surtout soi-même. Comme si, depuis le temps de
l'enfance, c'était exactement la même personne, la même subjectivité qui regardait le
monde et les autres d'un même point de vue, d'une position qui est ancrée dans sa chair,
dans son corps. Et nous avons l'impression que toutes les mémoires que nous avons sont
constituées de cette même subjectivité d'être moi. C'est quelque chose qui pourrait être
permanent, fixe, qui ne change pas.
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Je crois que cette sensation que nous connaissons tous, c'est quelque chose qui nous est
donné par notre existence biologique ou neurobiologique. C'est certainement quelque
chose qui nous a aidés, pas nous personnellement mais nos ancêtres, les homénides qui
nous ont précédés, à avoir la capacité de planifier ensemble avec les autres, avec la
conviction qu'ils seront pour bénéficier des résultats des actes qu'ils commettent
maintenant. Et ça, c'est un avantage de l'être humain, un être très très sociable, qui a la
capacité de projeter dans l'avenir et de se souvenir des actes qu'il a commis dans le passé.
Et c'est peut-être l'avantage pour la survie qui a permis aux êtres humains d'être aussi
"successfull", d'avoir réussi à dominer le monde. Ceci, c'est un avantage pour nous, mais
certainement pas pour les autres ni pour l'environnement.
Mais cette capacité de réfléchir, d'agir d'une telle façon a certainement donné beaucoup
d'avantages pour l'espèce humaine.
La nature de bouddha est une capacité qui va contre cette façon de penser, de s'identifier,
d'agir qui est donnée par notre organisme biologique. Ce que je dis est un peu spéculatif.
Je ne suis pas un scientifique. Mais j'ai l'impression qu'à un moment donné, dans
l'évolution des êtres humains, on est arrivé à développer la capacité d'être conscient de soi.
Ce qui est une chose que les autres animaux probablement ne possèdent pas. A un
moment donné, nous sommes devenus étonnés, surpris, confus d'être des êtres avec un
passé et un futur et des êtres qui iront certainement mourir à un moment donné dans le
futur. Nous sommes devenus conscients et cette conscience d'être conscient de soi est
vraiment spécifique à notre existence humaine. Ça nous a donné la capacité de poser des
questions telles que : "Qui suis-je ? Quel est le but de l'existence humaine ? Qu'est-ce que
la réalité ? Qu'est-ce que le sens de tout ça ?" Ce qui veut dire que nous avons atteint la
capacité de nous abstraire des données biologiques et d'avoir une perspective beaucoup
plus large. Le Bouddha disait, juste après son éveil, que le dharma qu'il avait découvert est
quelque chose qui va contre le courant. Le courant ici veut dire toutes les habitudes, les
conditionnements, les pulsions qui nous amènent à agir de façon plus ou moins instinctive,
seulement dans le but de survivre, de se reproduire, de manger. Alors, il est possible de
dire, je crois, que le Bouddha est une des premières personnes à avoir vraiment compris
cette faculté, cette capacité humaine de construire un mode de vie, un way of life dont les
priorités seraient plutôt culturelles, spirituelles, philosophiques, au contraire d'une vie
globalement dirigée par les pulsions biologiques.
Pour moi, cette idée de la nature de bouddha, ça commence : d'être des êtres qui sont
étonnés d'être des êtres.
Quand nous étions en Afrique du sud, récemment, nous avons passé pas mal de temps
dans les réserves naturelles il y a beaucoup d'animaux sauvages. Je me rappelle, une
fois, nous étions en train de regarder les girafes. Pour nous, êtres humains, une girafe, c'est
une bête très très étrange, très bizarre, une merveille, quelque chose de très loin de notre
expérience, avec un cou aussi long, etc. Mais pour la girafe, j'imagine que dans sa tête
n'arrive jamais la pensée : "Mon Dieu, c'est tellement bizarre d'être une girafe ! C'est
vraiment dingue d'être une telle bête !" Pour la girafe, la seule chose qui compte dans sa
vie, c'est de se nourrir, se reproduire, mais certainement pas de façon humaine. Les girafes
n'ont pas la capacité de réfléchir à ce qu'elles font. Elles le font simplement.
Naturellement, instinctivement et parfaitement. Toutes les girafes sont des girafes
parfaites, tous les animaux sont des animaux parfaits, les chats sont des chats parfaits.
Mais on ne peut pas dire ça pour les êtres humains. Pour les êtres humains, nous nous
trouvons dans une réalité sociale, psychologique, religieuse, culturelle dans laquelle nous
nous mesurons d'une certaine façon selon une gamme de vertus. On pourrait être
quelqu'un qui n'accomplit pas vraiment son humanité. Quelqu'un de peut-être pas
parfaitement réalisé mais certainement quelqu'un qui a réalisé ses potentialités d'être
humain. L'être humain, l'existence humaine, c'est une potentialité, une capacité d'aller au-
delà des limitations biologiques, instinctives qui sont enracinées dans le corps. De le
conflit entre la nature et la culture. La nature de bouddha appartient à la culture humaine.
Ce qui nous montre, comme disait Blake, que nous avons deux possibilités dans la vie : soit
de voir les choses comme elles sont, infinies, à travers la purification de la perception dont
parle Blake, on dirait ici la compréhension, le lâcher prise, l'acceptation et toutes les
valeurs dont on parle dans le bouddhisme. Et ça, c'est une activité culturelle, ce n'est pas
quelque chose qui aurait lieu dans un état totalement naturel. L'autre possibilité, toujours
selon Blake, c'est de rester renfermé dans des idées fixes de soi-même, dirigées par les
attachements, les haines, les choses qu'on aime et les choses qu'on n'aime pas, de ne
pouvoir avoir le courage d'aller au-delà de nos habitudes, de passer toute sa vie dans un
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état de peur, de souci, on essaie toujours de protéger ce petit îlot de soi, ce petit endroit
dans le corps je suis. Ce que Blake traduit dans cette phrase : "car l'homme s'est
enfermé jusqu'à ce qu'il ne voie toute chose qu'à travers les fissures de sa caverne". C'est
une image très très puissante qu'on trouve aussi à peu près dans le bouddhisme à travers
l'idée de samsara ou d'ignorance, les êtres sont enfermés dans une sorte de prison, de
caverne, un endroit très sombre il n'y a pas beaucoup de lumière. Ils voient les choses,
certainement, mais de façon très limitée et très concentrée sur leurs propres désirs, leurs
propres peurs.
La méditation Vipassana, le bouddhisme, c'est une voie qui mène de ce sentiment de
renfermement en soi-même, d'égoïsme intense, presque physique à un lâcher prise de cet
égoïsme et à un épanouissement des qualités comme la sagesse, la vertu, la compassion,
l'amour, la patience, qui nous amènent au-delà de ces limites, de ces limitations.
C'était certainement le cas quand le Bouddha a enseigné, il y a 2500 ans, que tous les êtres
humains ont la capacité d'aller au-delà de ces limitations assez profondes et à mon avis
biologiques. Cette liberté, cette libération qu'on peut atteindre à travers ces pratiques, c'est
quelque chose qui est ouvert à tous les êtres, certainement à tous les être humains. Si on
croit en des vies antérieures ou postérieures on pense qu'on était un dieu ou un animal
ou quelque chose d'autre, on pourrait dire aussi pour tous les êtres vivants comme il est
souvent dit dans le bouddhisme.
Mais pour nous, cet après-midi, je reste dans le royaume humain, je n'ai pas beaucoup
d'expérience des autres.
Cependant, on ne trouve pas dans les textes les plus anciens un mot, un terme qui
correspond à la "nature de bouddha". C'est une idée qui s'est développée beaucoup plus
tard dans l'histoire du bouddhisme. On la trouve bien sûr dans les textes mahayana mais
pas dans les textes theravada et certainement pas dans le canon Pali. Je crois que ça, c'est
un développement assez important : de cristalliser cette façon de penser dans un concept
assez clair avec lequel on pourrait philosopher, trouver un outil pour la pratique, pour se
comprendre mieux, pour agir mieux peut-être dans le monde. Si nous croyons vraiment
que tout le monde, toutes les personnes que nous rencontrons dans notre vie ont cette
capacité d'être un Bouddha, ça va transformer, si nous le croyons vraiment et non
intellectuellement, les relations que nous avons avec tous les autres parce qu'au lieu de voir
l'autre comme une personne qui nous a fait du mal, qui nous a fait du bien, un ami, un
ennemi, nous regardons, derrière ces images, l'être humain qui a la capacité d'aller au-delà
de toutes les choses que cette personne a faites envers nous et devenir éventuellement
peut-être dans le moment prochain, un Bouddha, un être éveillé.
Mais le problème aussi, parce que tous les développements positifs ont aussi un côté
négatif, avec ce concept de la nature de bouddha est le suivant : est-ce que ça ne risque pas
de devenir un remplacement de l'idée de l'âme ? Une âme éternelle, un soi transcendant.
La nature de bouddha deviendrait alors un peu quelque chose comme ça : tous les êtres
ont la nature de bouddha, ce qui veut dire que tous les êtres ont en eux-mêmes une
étincelle de Dieu, quelque chose de cet ordre. Et très facilement, cette idée peut cristalliser,
crisper dans une sorte de soi permanent. Et même les images qu'on trouve dans les textes
mahayana pour décrire cette nature de bouddha donnent aussi l'impression, au moins
superficiellement, d'une sorte de soi, une sorte d'âme, une identité plus profonde que celle
de l'ego mais néanmoins une identité à peu près fixe.
Par exemple, on parle de la nature de bouddha comme l'or qui se trouve dans le filon, dans
le rocher. On trouve aussi des images comme une statue dorée de Bouddha, emballée dans
des tissus salis. Ces images, qui sont très belles, contiennent néanmoins cette idée de
quelque chose qui est pur, dur dans le cas de l'or, qui est permanent, caché, entouré par
quelque chose de sali, de corrompu, quelque chose de beaucoup plus grossier que cet or
raffiné qui existe soit dans le filon, soit dans la statue.
Et je crois que pour beaucoup de bouddhistes, la nature de bouddha, c'est un peu cela : un
Bouddha qui existe déjà à l'intérieur de nous-mêmes, caché bien entendu, mais quelque
part. En tant qu'idée inspirante, c'est très utile mais en tant qu'idée philosophiquement
cohérente, ce n'est pas si utile que ça. En effet, on risque, à mon avis, d'aller dans le
mauvais sens.
C'est aussi très curieux qu'il n'existe en sanskrit, c'est à dire dans la langue utilisée par les
textes mahayana, aucun terme correspondant à ce qu'on traduit en anglais ou en français
par la "nature de bouddha". Surtout ce mot nature, cette nature de quelque chose. En effet,
les bouddhistes sont très soupçonneux philosophiquement sur le concept de nature, même
parmi les madhyamikas, une des écoles les plus connues dans le bouddhisme, les plus
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influentes. Un autre nom pour les madhyamikas, c'est les nisvabhavadin, c'est à dire ceux
qui ne croient pas dans une nature des choses. Nature, c'est un peu comme le soi. Ma
nature ultime, c'est mon identité en tant que soi, en tant qu'âme. Une nature, ça donne
l'impression d'avoir quelque chose de fixe, quelque chose qui n'est pas touché vraiment par
les conditions, qui existe à part dans un certain sens. On peut alors se demander pourquoi
on traduit le terme en anglais, en français par la "nature de bouddha" quand il n'existe
aucun terme pour nature dans les textes originaux.
En effet, c'est une histoire assez curieuse qui remonte aux premières traductions des textes
mahayanas que nous avons reçus du Japon et de la Chine et surtout dans les écrits de D.T.
Suzuki qui parle souvent, surtout dans le zen, de la nature de bouddha. En effet, c'est
une traduction très juste mais seulement du chinois. Parce qu'il existe un mot en chinois
foxing. Fo veut dire Bouddha et xing est le mot chinois qui veut dire nature. Et donc
nature de bouddha est tout à fait juste. Mais les Chinois ont traduit un autre terme en
sanskrit comme nature de bouddha. Et ce mot, qui est le terme d'origine, est
Tathagatagarbha. Tathagata, est le mot équivalent au Bouddha. C'est le mot que le
Bouddha utilisait pour référer à lui-même. Littéralement, ça veut dire "ainsi venu, ainsi
allé". C'est un mot un peu bizarre. Tathagata veut dire Bouddha mais garbha, qui a été
traduit en chinois par xing qui veut dire nature, ne veut pas dire nature. Garbha veut dire
en sanskrit la matrice, l'utérus. Et c'est une idée complètement différente. Nature est
une idée philosophique, matrice, utérus est une idée imprégnée d'associations vivantes. La
matrice, c'est l'endroit tous les êtres sont conçus, d'où ils sont nés. La matrice, ce n'est
pas un état fixe, c'est un espace fécond qui peut être imprégné avec des possibilités qui,
après cette imprégnation, commence à croître, à se développer, à devenir un être humain,
un animal, quelque chose. C'est une idée totalement dynamique, une idée ancrée dans
notre compréhension du processus de la vie. C'est une idée vivante, sensuelle et c'était
peut-être pour les Chinois une idée un peu impudique, une idée qui était peut-être pour
eux un peu difficile à traduire littéralement. Néanmoins, on trouve dans certains textes le
mot équivalent en chinois pour dire matrice.
Mais au fil du temps, c'est le terme Foxing, nature de bouddha, qui est devenu le plus
courant. Alors, si on pense à la nature de bouddha comme la matrice, ça ouvre d'autres
possibilités de penser. Car il est beaucoup plus difficile de penser alors à une matrice
comme à une essence, une nature quasi permanente, quasi transcendante qui existe cachée
en nous-mêmes. C'est un terme qui donne beaucoup plus l'impression de quelque chose
qui peut être développé, cultivé, épanoui en nous-mêmes. La matrice, quand elle est
ensemencée, mène vers un épanouissement. Et c'est simplement la façon dont le corps et
la matrice fonctionnent : ils s'épanouissent.
Laissez-moi donner encore un exemple : un couteau. Tout le monde sait exactement ce
qu'est un couteau. On peut dire qu'un couteau possède la capacité de trancher, de couper
des choses. Mais on ne dira pas que cette capacité de trancher est d'une certaine manière
cachée dans la nature d'un couteau, qu'un couteau possède quelque part une capacité
métaphysique pour trancher le pain. Mais on dit tout le temps que le couteau est un objet
avec une telle capacité. Mais en quoi consiste cette capacité ? La capacité est simplement la
forme du couteau. Si le couteau ne tranche pas bien, que fait-on ? On l'aiguise. Ça veut
dire qu'on transforme la forme du couteau. Sa capacité est simplement sa forme. Alors la
capacité de s'éveiller, de devenir Bouddha n'existe pas en tant que nature métaphysique ou
étincelle de Dieu ou quelque chose comme ça, mais c'est seulement la forme, la structure
de l'organisme humain. Cet organisme a la capacité de s'éveiller, de la même manière
qu'un couteau a la capacité de trancher. Et c'est tout. On ne peut pas chercher ni affirmer
qu'il existe une nature, une essence, quelque chose d'ésotérique caché dans la chose qui
permet cette fonction : dans le cas d'un être humain, de s'éveiller, dans le cas d'un couteau,
de trancher. Et je crois que cette façon d'exprimer les choses est tout à fait en accord avec
la philosophie bouddhiste, surtout madhyamika, qui, comme je viens de le dire, est très
soupçonneuse vis à vis de toute idée qu'il existe, à part de l'organisme ou de la forme des
choses, une essence métaphysique, ésotérique.
Quand j'étais moine tibétain dans la tradition guélougpa, nous avons étudié pendant
quelques semaines les enseignements sur la nature de bouddha. Pour Tsonkhapa, qui était
le fondateur de cette école tibétaine, la nature de bouddha est simplement la vacuité de la
personne. Ce qui veut dire que cette possibilité de s'éveiller, de devenir Bouddha, consiste
dans le fait que la personne n'existe pas de façon permanente, n'existe pas en soi-même de
façon fixe comme nous le ressentons très fortement. Dès qu'on comprend que dans ce
corps et dans cet esprit on ne trouvera jamais une essence quelconque, une substance
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réelle permanente, une nature, à ce moment-là, on s'est libéré de cette façon de penser :
"moi je suis comme ça et je serai toujours comme ça". On commence à savoir que notre
organisme est une potentialité plutôt qu'un état et n'est pas une chose fixe.
Evidemment, il apparaît très évident d'être quelque chose de permanent et fixe, et ceci
pour les raisons biologiques dont je parlais au début. Mais à travers la méditation, à travers
cette investigation que nous faisons dans la méditation de regarder, nous nous apercevons
que nulle part dans ce corps, dans cet esprit, dans ces émotions, nous trouvons quelque
chose de solide, permanent et fixe.
Quand les bouddhistes soulignent l'importance de saisir l'impermanence, la contingence de
l'être, c'est pour aller contre ces idées fixes que, quelque part en nous-mêmes, existe
quelque chose qui n'est pas contingent, qui n'est pas impermanent. Alors
systématiquement en Vipassana et dans les autres formes de méditation bouddhistes, nous
essayons d'affirmer, expérimentalement et non théoriquement, la réalité que nous sommes
un processus mais pas des choses. Nous sommes constamment en état de fluidité, de
changement à chaque moment. C'est vraiment une des choses les plus importantes à
réaliser et à comprendre dans les enseignements du Bouddha. En même temps, cette
compréhension, cette connaissance de notre impermanence est la base de cette idée
inspiratrice qu'il est possible de devenir quelque chose d'autre, d'aller au-delà des limites,
des limitations dans lesquelles nous sommes renfermés. C'est possible alors de s'épanouir
jusqu'au moment on devient Bouddha, c'est à dire complètement épanoui et plus
enfermé dans ses idées névrotiques.
Si on va dans la tradition zen, surtout dans les écrits du grand maître japonais Dogen, vous
avez certainement entendu parler de lui, c'est quelqu'un qui a vécu au 13è siècle au Japon,
et le fondateur de l'école Soto au Japon. Il est très connu surtout pour ses écrits Le
Shobogenzo : c'est une collection de petits essais sur plusieurs thèmes bouddhistes. Il n'est
pas étonnant de découvrir un petit essai intitulé "La nature de bouddha"(busshô en
japonais). Quand Dogen aborde ce sujet, il se demande : qu'est-ce que la nature de
bouddha ? Et il répond : la nature de bouddha c'est : qu'elle est cette chose et comment
est-elle arrivée ici ?
Ceci est une référence directe à ce dont Martine a parlé ce matin, ce koan que Houeï-nêng,
le patriarche de l'école zen en Chine, a donné à son disciple venu le voir au début du
siècle : quelle est cette chose et comment est-elle arrivée ici ? Et cette phrase, pour Dogen,
ce koan, c'est la nature de bouddha. Et c'est peut-être pour beaucoup d'entre nous un peu
bizarre. Pourquoi a-t-il dit ça ?
Il est frappant que Dogen n'ait pas utilisé de terme plus positif, même pas un terme
comme la vacuité. Il considérait la nature de bouddha comme une question. Comme
Martine a expliqué ce matin, cette question n'est pas une question intellectuelle,
théologique, philosophique mais une question existentielle. C'est beaucoup plus qu'une
formule, des mots, c'est une façon d'articuler la question qui devient notre vie. Ou
inversement, c'est comme la vie qui devient une question pour nous-mêmes. A ce
moment-là, on s'éveille, on commence à questionner, à être soupçonneux de toutes les
idées fixes que nous avions jusqu'à maintenant. Ça remonte aussi à ce que j'ai dit au début
de cet enseignement : c'est seulement quand un être devient une question pour lui-même
que les possibilités de transformation, de changement, d'aller au-delà des limitations qui
l'enferment, deviennent possibles.
Alors pour Dogen, de rester dans cet état de questionnement et de ressentir le corps,
l'esprit, l'organisme, peut-être le monde entier en tant que question, en tant que quelque
chose que nous ne comprenons pas, qui reste profondément un mystère pour nous, ce sens
de mystère, ce sens de la perplexité de notre existence, c'est que commence la voie
spirituelle, la voie bouddhique, la voie médiane. Et dès qu'on perd ces questions
existentielles, ces questions profondes, si on les remplace par exemple par des croyances
religieuses, philosophiques, des certitudes émotionnelles, on arrête alors la possibilité de
s'épanouir, de s'ouvrir encore plus, on est encore une fois renfermé dans des limites. On
est encore coincé. Il n'y a rien dans ce monde qui ne peut fonctionner comme une telle
limite. Même les croyances les plus profondes du bouddhisme, même les compréhensions
qu'on a eues de la vie, même ces choses qui étaient vraiment authentiques et libératrices
peuvent devenir les cavernes de Blake, les pièges, les prisons. Une prison bien entendu
beaucoup plus sophistiquée, beaucoup plus raffinée mais néanmoins un renfermement,
une prise.
Si on aborde le sujet de cette façon, on va donc au-delà de cette idée que la nature de
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