THEATRE I.aurence Roy et Jean-Claude Leguay dans Jock » Les faiseurs de théâtre Qu'est-ce qu'ils ont tous avec Thomas Bernhard ? Critiques littéraires, dramatiques, acteurs, metteurs en scène, tous s'y sont mis. Jean-Pierre Vincent vient de s'en emparer : un vrai triomphe, et un bon travail de mise en scène. En tête de la distribution du « Faiseur de théâtre », un grand comédien, Bernard Freyd, soliloquant deux heures et demie durant Agile comme Scaramouche, il est un spectacle à lui tout seul. Mais la pièce ? Je crains que Thomas Bernhard ne soit « arrivé trop tard dans un monde trop vieux »... «Le Faiseur de théâtre» accumule d'un bout à l'autre des lieux communs sur le théâtre, les femmes, l'Autriche, le nazisme. Sévérité excessive ? Peut-être est-elle à la mesure de la publicité donnée à un auteur qui a surgi dans un monde où les talents sont rares : au royaume des aveugles... (Théâtre de la Ville.) Le jeune Jean-Louis Bourdon a bénéficié, lui aussi, mais toutes proportions gardées, d'avant-premières flatteuses pour sa première pièce, « Jock » (publiée chez Flammarion). Comme Jean-Pierre Vincent, Marcel Maréchal se montre un étonnant metteur en scène réa/iste. Avec l'aide du sombre et beau décor de Yuri Kuper, les éclairages d'André Collet, on se croirait dans un film noir... Là encore, on découvre un étonnant comédien, Jean-Claude Leguay. Dans le rôle d'un infirme à moitié fou, sadique et joyeux, il imprime à ce Jock une force qu'envieraient nombre d'acteurs anglo-saxons. Pourquoi eux ? Eh bien c'est que, bizarrement, JeanLouis Bourdon s'est enfourné dans la mythologie américaine, avec clin d'oeil outre-Manclx, du côté de Harold Pinter. Ses personnages, tout en étant réels, souffrent de n'être pas situés, ni géographiquement ni socialement S'agirait-il de ce no man's land cosmopolite où les passions les plus tordues peuvent venir s'exprimer en toute liberté ? Mais comment ne pas louer, chez un débutant, une telle sûreté de langage, un style si juste ? Ce professionnalisme devrait le conduire à plus de précision dans les tenants et aboutissants de ses scénarios. A moins que, nouveau Genet, il ne déborde dans un désordre plus audacieux. (Théâtre 13, Paris-13e.) G. D. 142 LE NOUVEL OBSERVATEUR /ARTS SPECTACLES Gérard Desarthe joue Ham let à Nanterre Le manteau du fi xi Il a débuté à 24 ans en L orenzaccio. Aujourd'hui, il enfourche le cheval noir de Hamlet 1 fallait voir Gérard Desarthe cet été à Avignon, errer comme une bête fauve dans la cour de son hôtel pour comprendre dans quel état le mettait son interprétation de Hamlet. Le spectacle durait cinq heures et se terminait à 2 heures du matin. Il n'avait pas dormi de la nuit. Peu de temps auparavant, nous l'avions rencontré à Paris, sûr de lui, nous expliquant que pour ce rôle écrasant il fallait un acteur « avec un parcours, avec un vécu »Al ajoutait : « J'ai joué Lorenzaccio à 24 ans. C'était trop tôt. J'en ai 43 aujourd'hui. L'âge qu'il faut pour jouer Hamlet qui en a 30. » Et puis" le rôle le plus complexe de toute l'histoire du théâtre l'avait happé, déchiré. 1 Gérard Desartlie-Hamlet • « Cette grande réflexion Métaphysique, comme il aime dire, cette énergie colossale que déploie Hamlet pour retarder sa vengeance » brûlaient Desarthe comme la tunique de Nessus. C'est lui qui, depuis toujours, en rêvait. Il l'avait proposé à Patrice Chéreau sept ans après avoir été avec lui Peer Gynt, l'adolescent aventureux de cette histoire nordique. Elseneur n'est pas si loin de la Norvège que Gérard Desarthe n'ait pas eu envie de retrouver une dernière fois cette jeunesse qui, chez les poètes et les fous, se prolonge dans l'âge mûr. Son Hamlet — celui d'Avignon et celui qu'on va voir à Nanterre — est un être torturé, aliéné par le spectre de son père, que Patrice Chéreau fait apparaître sur un grand cheval noir. Quand il a ensuite « endossé le manteau de la folie », le Hamlet de Chéreau-Desarthe arrive vêtu d'un costume trop court en loques, qui en fait plus que jamais un adolescent attardé, incestueux et misogyne, dévoré par le doute. On pourrait parler sans fin de la mise en scène de Chéreau, des autres interprètes — certains sont nouveaux à Nanterre — mais ce « Hamlet », c'est avant tout Gérard Desarthe. A ses débuts, on le voyait plus souvent à Ménilmontant, à Nanterre déjà, à Villeurbanne ou à Bobigny, là où s'est fait le nouveau théâtre. Quand il a joué « Dom Juan », avec Planchon, ou « le Misanthrope », avec Engel, il apportait à Molière une étrangeté qu'on n'aurait guère admise autrefois. Dans « le Prince de Hombourg » — mis en scène par Mathias Langhoff il était, d'une certaine façon, l'anti-Gérard Philipe. De Lorenzaccio à Hamlet, en passant par Peer Gynt, il a donné l'idée que le héros de notre temps pourrait bien être un antihéros. Strehler ne s'y était pas trompé en lui confiant le rôle de Matamore dans « l'Illusion comique ». En se caricaturant lui-même, Desarthe ne faisait que montrer l'inanité des prouesses guerrières. C'est le besoin de le démontrer encore plus qui lui a fait choisir, l'an passé, pour sa première mise en scène, «le Cid »' transposé dans l'empire austro-hongrois au début de ce siècle. Avec un Rodrigue beau ténébreux — Samuel Labarthe Corneille ne risquait-il pas de glisser du côté de Johann Strauss ? Mais ce serait faire injure à la conscience professionnelle de Desarthe, à son. goût profond des grands textes que de croire à une ironie de sa part. Son « Cid », d'abord créé à Bobigny, va entreprendre une grande tournée en' France, avant d'aller se produire au printemps en URSS. GUY DUMUR Hamlet », de Shakespear6 traduction d'Yves Bonnefoy, mise en scène de Patrice Chéreau, Théâtre des Amandiers de Nanterre, du 29 novembre au 5 février ; 42-21-18-81.