orenzaccio. Aujourd'hui,
de Hamlet
« Cette grande réflexion Métaphysique, comme
il aime dire,
cette énergie colossale que déploie
Hamlet pour retarder sa vengeance »
brûlaient
Desarthe comme la tunique de Nessus. C'est lui
qui, depuis toujours, en rêvait. Il l'avait proposé
à Patrice Chéreau sept ans après avoir été avec lui
Peer Gynt, l'adolescent aventureux de cette
histoire nordique.
Elseneur n'est pas si loin de la Norvège que
Gérard Desarthe n'ait pas eu envie de retrouver
une dernière fois cette jeunesse qui, chez les
poètes et les fous, se prolonge dans l'âge mûr. Son
Hamlet — celui d'Avignon et celui qu'on va voir
à Nanterre — est un être torturé, aliéné par le
spectre de son père, que Patrice Chéreau fait
apparaître sur un grand cheval noir. Quand il a
•
ensuite «
endossé le manteau de la folie »,
le
Hamlet de Chéreau-Desarthe arrive vêtu d'un
costume trop court en loques, qui en fait plus que
jamais un adolescent attardé, incestueux et
misogyne, dévoré par le doute. On pourrait parler
sans fin de la mise en scène de Chéreau, des autres
interprètes — certains sont nouveaux à Nanterre
— mais ce « Hamlet », c'est avant tout Gérard
Desarthe.
A ses débuts, on le voyait plus souvent à
Ménilmontant, à Nanterre déjà, à Villeurbanne
ou à Bobigny, là où s'est fait le nouveau théâtre.
Quand il a joué « Dom Juan », avec Planchon, ou
« le Misanthrope », avec Engel, il apportait à
Molière une étrangeté qu'on n'aurait guère
admise autrefois. Dans « le Prince de Hom-
bourg » — mis en scène par Mathias Langhoff
il était, d'une certaine façon, l'anti-Gérard
Philipe. De Lorenzaccio à Hamlet, en passant par
Peer Gynt, il a donné l'idée que le héros de notre
temps pourrait bien être un antihéros.
Strehler ne s'y était pas trompé en lui confiant
le rôle de Matamore dans « l'Illusion comique ».
En se caricaturant lui-même, Desarthe ne faisait
que montrer l'inanité des prouesses guerrières.
C'est le besoin de le démontrer encore plus qui lui
a fait choisir, l'an passé, pour sa première mise en
scène, «le Cid »' transposé dans l'empire aus-
tro-hongrois au début de ce siècle. Avec un
Rodrigue beau ténébreux — Samuel Labarthe
Corneille ne risquait-il pas de glisser du côté de
Johann Strauss ? Mais ce serait faire injure à la
conscience professionnelle de Desarthe, à son.
goût profond des grands textes que de croire à une
ironie de sa part. Son « Cid », d'abord créé à
Bobigny, va entreprendre une grande tournée en'
France, avant d'aller se produire au printemps en
URSS.
GUY DUMUR
Hamlet », de Shakespear6
traduction d'Yves
Bonnefoy, mise en scène de Patrice Chéreau, Théâtre
des Amandiers de Nanterre, du 29 novembre au
5 février ; 42-21-18-81.
Il a débuté à 24 ans en L
il enfourche le cheval noir
1
1 fallait voir Gérard Desarthe cet été à
Avignon, errer comme une bête fauve dans la
cour de son hôtel pour comprendre dans quel
état le mettait son interprétation de Hamlet.
Le spectacle durait cinq heures et se termi-
nait à 2 heures du matin. Il n'avait pas dormi de
la nuit. Peu de temps auparavant, nous l'avions
rencontré à Paris, sûr de lui, nous expliquant que
pour ce rôle écrasant il fallait un acteur «
avec un
parcours, avec un vécu
»Al ajoutait : «
J'ai joué
Lorenzaccio à 24 ans. C'était trop tôt. J'en ai 43
aujourd'hui. L'âge qu'il faut pour jouer Hamlet
qui en a 30. »
Et puis" le rôle le plus complexe de toute
l'histoire du théâtre l'avait happé, déchiré.
Gérard Desartlie-Hamlet
THEATRE
I.aurence Roy et Jean-Claude Leguay dans Jock »
Gérard Desarthe joue Ham let à Nanterre
Le manteau du
fi
xi
Les faiseurs de
théâtre
Qu'est-ce qu'ils ont tous avec Thomas
Bernhard ? Critiques littéraires, dramati-
ques, acteurs, metteurs en scène, tous s'y sont
mis. Jean-Pierre Vincent vient de s'en empa-
rer : un vrai triomphe, et un bon travail de
mise en scène.
En tête de la distribution du « Faiseur de
théâtre », un grand comédien, Bernard
Freyd, soliloquant deux heures et demie
durant Agile comme Scaramouche, il est un
spectacle à lui tout seul. Mais la pièce ? Je
crains que Thomas Bernhard ne soit «
arrivé
trop tard dans un monde trop vieux »... «Le
Faiseur de théâtre» accumule d'un bout à
l'autre des lieux communs sur
le théâtre,
les
femmes, l'Autriche, le nazisme. Sévérité
excessive ? Peut-être est-elle à la mesure de la
publicité donnée à un auteur qui a surgi dans
un monde où les talents sont rares : au
royaume des aveugles... (Théâtre de la Ville.)
Le jeune Jean-Louis Bourdon a bénéficié, lui
aussi, mais toutes proportions gardées,
d'avant-premières flatteuses pour sa pre-
mière pièce, « Jock » (publiée chez Flamma-
rion). Comme Jean-Pierre Vincent, Marcel
Maréchal se montre un étonnant metteur en
scène
réa/iste.
Avec l'aide du sombre et beau
décor de Yuri Kuper, les éclairages d'André
Collet, on se croirait dans un film noir... Là
encore, on découvre un étonnant comédien,
Jean-Claude Leguay. Dans le rôle d'un in-
firme à moitié fou, sadique et joyeux, il
imprime à ce Jock une force qu'envieraient
nombre d'acteurs anglo-saxons. Pourquoi
eux ? Eh bien c'est que, bizarrement, Jean-
Louis Bourdon s'est enfourné dans la
mythologie américaine, avec clin d'oeil
outre-Manclx, du côté de Harold Pinter. Ses
personnages, tout en étant réels, souffrent de
n'être pas situés, ni géographiquement ni
socialement S'agirait-il de ce no man's land
cosmopolite où les passions les plus tordues
peuvent venir s'exprimer en toute liberté ?
Mais comment ne pas louer, chez un débu-
tant, une telle sûreté de langage, un style si
juste ? Ce professionnalisme devrait le
conduire à plus de précision dans les tenants
et aboutissants de ses scénarios. A moins que,
nouveau Genet, il ne déborde dans un
désordre plus audacieux. (Théâtre 13, Pa-
ris-13e.)
G. D.
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LE NOUVEL OBSERVATEUR /ARTS SPECTACLES