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• Le personnage humain, qui est la règle en littérature et au théâtre, n’est qu’un aspect (certes
majoritaire) du personnage au cinéma (machine, animal, robot, être de synthèse, etc.)
• Enfin et surtout, le personnage est étroitement dépendant de sa réception par le spectateur ;
sauf à jouer sur un nombre de traits archétypiques extrêmement limités (ce qui est en effet
souvent le cas, nous y reviendrons), la structure d’un personnage est à la fois si complexe et si
opaque qu’elle s’expose à un grand nombre d’interprétations.
I. 2. Raisons propres à la théorie
Toute-puissance du « spécifiquement cinématographique »
• Dans ses débuts, la théorie du cinéma (qui n’était pas encore vraiment de la théorie, mais
s’élaborait dans toutes sortes d’écrits critiques, chroniques, etc.) était très liée à la défense et à la
légitimation du cinéma, art nouveau, menacé à la fois par sa nature populaire et commerciale, et
par sa proximité avec d’autres moyens d’expression (autres formes narratives et spectaculaires
notamment) qui en estompaient la singularité. C’est pourquoi beaucoup d’écrits se sont centrés
sur le critère du « spécifiquement cinématographique » [cinematic], soit ce en quoi le film doit se
distinguer de formes voisines (peinture, théâtre, roman). Or le personnage relève de ces formes
anciennes et non spécifiques, avec lesquels l’art du cinéma se veut en rupture. Dans la
genèse du film, son lieu d’appartenance est le scénario, qui eut longtemps un statut de « mauvais
objet », parce que support purement linguistique, coupé de l’image comme lieu essentiel de
création, écrit intermédiaire et appelé à disparaître dans le film fini.
• Les théoriciens qui ont proposé de grands systèmes d’interprétation du cinéma ne pouvaient pas
davantage faire place au personnage, parfois pour des raisons opposées. Pour Rudolf ARNHEIM
(Le cinéma est un art, 1932) le film en tant qu’art devait absolument s’éloigner du mimétisme du
réel, se différencier le plus possible du monde visible. Pour Siefgried KRACAUER, au contraire
(Theory of Film: The Redemption of Physical Reality, 1960), c’est le réalisme qui est la vocation
du cinéma, lequel lit « le livre du monde ». Dans cette perspective, Kracauer consacre plusieurs
pages à l’acteur, mais parle fort peu du personnage.
• Lorsque la théorie du cinéma s’est formalisée, dans les années 1960-1970, elle a continué,
quoique de façon différente et en s’appuyant sur des champs scientifiques préexistants
(linguistique, structuralisme, rhétorique, psychanalyse, etc.) à se préoccuper d’abord des
questions propres au cinéma (ex : le cinéma, langue ou langage ?/C. Metz ; la perception au
cinéma, la construction du sens et de la fiction/sémiopragmatique du film, etc). Pour toutes ces
approches, la question du personnage n’a pas de pertinence particulière.
Conséquences de cette situation : les considérations « théoriques » sur le personnage de film se
sont souvent faites hors du champ théorique à proprement parler : soit à travers les prescriptions
communiquées dans les manuels de scénario (comment « fabriquer » un personnage), soit dans
les réflexions sur la nature du scénario (cf. Francis VANOYE), soit dans les critiques et analyses
de films où apparaissent par défaut certaines attentes fortes par rapport au personnage, soit à
travers une œuvre de cinéaste qui, par la cohérence de son traitement du personnage, propose des
modèles qui prennent là encore valeur théorique.
Exemples :