Gènéthique - n°45 - septembre 2003
Lettre d’information et d’analyse sur l’actualité bioéthique
N°45 : Septembre 2003
« Bébés médicaments » ou l’extension du diagnostic préimplantatoire
Le diagnostic préimplantatoire (DPI) ou
diagnostic biologique effectué à partir
de cellules prélevées sur l’embryon in
vitro, n’est autorisé en France qu’à titre
exceptionnel. Il est réservé aux couples
qui ont une forte « probabilité de
donner naissance à un enfant atteint
d’une maladie génétique d’une
particulière gravité reconnue comme
incurable au moment du diagnostic »
(art .L.2131-4 du code de la santé
publique). En pratique, ce type de
diagnostic permet de sélectionner les
embryons conçus in vitro pour
n’implanter que des embryons
indemnes. Le diagnostic, même s’il est
contestable du fait qu’il conduit à
l’élimination des embryons atteints de
cette maladie incurable, est sensé être
réalisé dans l’intérêt de l’enfant.
Peut-on pratiquer ce diagnostic dans
l’intérêt d’un tiers ? Telle est la
question posée par la conception de
« bébé médicament ». Il s’agit alors de
mettre au monde un enfant, dont le
système immunitaire est compatible
avec celui d’un frère ou d’une
sœur malade, afin de prélever sur lui
les tissus ou cellules nécessaires pour
guérir l’aîné. Dans un avis rendu le 4
juillet 2002, le Comité consultatif
national d’éthique s’était montré
réservé, soulignant que « le problème
essentiel est celui de la réalité du projet
parental et donc du risque
d’instrumentalisation de l’enfant ». La
réponse de principe est donc
défavorable à une extension du DPI
« si l’embryon est conçu seulement
comme un donneur potentiel, et non
d’abord pour lui-même ». En revanche,
« permettre qu’un enfant désiré
représente, de plus, un espoir de
guérison pour son aîné, est un objectif
acceptable, s’il est second ». La
frontière semble bien floue et comment
un critère aussi subjectif pourrait-il
servir de fondement à une règle
juridique si l’on envisageait une
modification de la loi ?
Vers un élargissement des
indications du diagnostic
préimplantatoire ? Cette question
pourrait bien être abordée lors de
l’examen prochain du projet de révision
des lois de bioéthique. Alain Claeys,
délégué national à la santé du parti
socialiste, vient d’annoncer qu’il
déposera un amendement élargissant
les conditions du diagnostic
préimplantatoire, afin de permettre la
conception de « bébés médicaments ».
Quelles pourraient en être les
conséquences ? La fécondation in vitro
ne doit pas devenir un outil
thérapeutique et le risque serait de voir
certains parents concevoir un enfant
dans le seul but de trouver un donneur
potentiel.
A quel prix ? On se souvient qu’Adam,
premier « bébé médicament », aux
Etats-Unis en octobre 2000, avait été
sélectionné parmi 15 embryons, dont
14 ont été éliminés. Le généticien Axel
Kahn souligne les effets désastreux,
sur le plan familial et psychologique,
que pourraient entraîner de telles
manipulations.
L’embryon reprogrammé par des contraintes mécaniques artificielles
Selon les travaux d’Emmanuel Farge,
(UMR 168, CNRS/institut Curie)
récemment publiés dans la revue
Current Biology, certains gènes du
développement de la mouche
drosophile sont mécano-sensibles.
Au cours de son développement, tout
embryon subit des déformations
mécaniques qui définissent la forme
physique que va prendre l’organisme
adulte. Ces mouvements sont
aujourd’hui bien connus pour être
contrôlés par l’expression de certains
gènes dits « du développement ».
La question totalement nouvelle et
résolue par ces travaux est la
suivante : les changements de forme
physique actifs de l’embryon sont-ils
en retour, susceptibles de moduler
l’expression des gènes du
développement, par le biais des
contraintes mécaniques générées
par ces mouvements ?
Ces travaux montrent que 5 gènes du
développement précoce de la
drosophile sont mécano-sensibles,
c'est à dire qu'il est possible de modifier
profondément le modèle d'expression
de ces gènes en réponse à une
déformation mécanique uni-axiale
appliquée à l'embryon tout entier. L'un
de ces gènes, Twist, codant pour la
formation du tube gastrique antérieur,
est normalement exprimé uniquement
dans la partie ventrale de l'embryon. Or
on le trouve exprimé de façon
homogène tout autour de l'embryon en
réponse à la déformation mécanique.
La formation du tube gastrique
antérieur pourrait bien être induite
mécaniquement par un mouvement
morphogénétique naturel de
Gènéthique - n°45 - septembre 2003
l'embryogenèse. La forme physique de
l'embryon est donc susceptible d'être,
par elle même, un signal inducteur de
l'expression de gènes codant pour le
développement de morphologies
physiques appartenant aux étapes
suivantes du développement, au cours
du processus naturel de
l'embryogenèse.
Les implications de ces travaux
L'induction mécanique de l'expression
de gènes du développement en
réponse au mouvement artificiel qui est
appliqué à l'embryon montre que même
le programme génétique du
développement est extrêmement
plastique, lorsque l'embryon échange
avec l'extérieur. Il n'y a donc pas de
déterminisme génétique absolu. Le
système est potentiellement plastique,
même aux premières heures de son
développement, à condition qu'il ne soit
pas isolé, et qu'il échange avec
l'extérieur.
Reprogrammer l’embryon ?
Ces travaux ont démontré pour la
première fois qu’on peut reprogrammer
un embryon, changer l’expression de
son programme nétique, par un
changement de sa forme physique. Au
stade de développement étudié,
l’embryon de drosophile partage de
nombreuses similitudes avec celui de
vertébrés comme la grenouille ou le
poisson et certains des gènes
architectes présents chez la mouche,
se retrouvent dans tout le règne animal.
D’autres études, sur d’autres espèces,
doivent désormais vérifier si ce
mécanisme est universel ou propre à
certains invertébrés.
E. Farge, Current Biology (vol 13, 1365-
1377, 19 August 2003)
Financement européen de la recherche sur l’embryon humain ?
Un accord par étape
Le 30 septembre 2002, le Conseil des
ministres européens de la Recherche
avait adopté une décision finale relative
à la recherche sur l’embryon. Celle-ci
prévoyait que « les dispositions
d’application précises concernant les
activités de recherche comportant
l’utilisation d’embryons humains et de
cellules souches embryonnaires
humaines qui peuvent être financées
au titre du sixième programme cadre
seront définies d’ici le 31 décembre
2003 ».
Les lignées cellulaires
La Commission déclarait que « dans
l’intervalle, elle ne proposera pas de
financer ces activités de recherche, à
l’exception de l’étude de cellules
souches embryonnaires humaines
mises en réserve dans des banques
ou isolées en culture » (Document du
Conseil de l’Union européenne,
12374/02 ADD) ( cf. Gènéthique n°34,
octobre 2002).
Le principe du financement de la
recherche sur les embryons humains
était donc déjà acquis, et il est permis
de s’étonner que certains Etats
membres, dont la France, devront
financer cette recherche par leur
contribution au budget communautaire,
alors même que leur législation interne
interdit ces recherches sur leur
territoire.
Les embryons surnuméraires
Lors de la présentation, le 9 juillet
dernier des grandes orientations du
6ème programme cadre de la recherche,
la Commission européenne a précisé
les conditions « éthiques » à respecter
pour bénéficier du financement des
projets de recherche sur les cellules
souches obtenues à partir d’embryons
surnuméraires.
La proposition en cours de discussion
vise à assortir sa réalisation du respect
de conditions éthiques conformes à
l’avis n°15 du Groupe européen
d’éthique (GEE) intitulé « Aspects
éthiques de la recherche sur les
cellules souches humaines et leur
utilisation ».
Les propositions de la Commission
- L’Union européenne ne finance pas
de recherches sur les cellules souches
embryonnaires humaines dans les
Etats-membres ce type de
recherches est interdit ;
- les cellules souches embryonnaires
humaines ne peuvent être isolées qu’à
partir d’embryons surnuméraires dont
les parents font don à la science et qui
ont été conçus avant le 27 juin 2002,
date d’adoption du Programme
Cadre (ceci afin d’éviter que le
financement communautaire
n’encourage indirectement à produire
plus d’embryons qu’il n’est nécessaire
pour la fécondation in vitro) ;
- les partenaires potentiels du projet de
recherche, qui sollicitent un
financement communautaire, doivent
obtenir l’avis éthique d’une instance
locale ou nationale dans les Etats-
membres la recherche doit être
réalisée ;
- la recherche n’est financée que
lorsqu’elle répond à des objectifs de
recherche particulièrement importants
et qu’il n’existe pas d’autre méthode
appropriée ;
- la protection des données et de la vie
privée doit être garantie et la traçabili
des cellules souches assurée ;
- les consortiums de recherche doivent
s’engager à mettre les nouvelles
lignées de cellules souches
embryonnaires humaines à la
disposition des autres chercheurs.
Enfin, la Commission compte financer
la création d’un registre européen des
cellules souches et contribuera à la
constitution de banques publiques de
cellules souches et à leur mise en
réseau au niveau européen ; les
chercheurs devraient ainsi avoir accès
plus facilement aux différentes lignées
de cellules souches disponibles en
Europe.
Cette proposition de la Commission
sera discutée et votée au Parlement
européen entre le 17 et le 20 novembre
2003. Le Conseil des ministres devrait
donc prendre une décision finale avant
la fin de cette année.
Proposition de décision du Conseil
modifiant la décision 2002/834/CE arrêtant
un programme spécifique de recherche, de
développement technologique et de
démonstration : « Intégrer et renforcer
l’espace européen de la recherche » (2002-
2006)
Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune - 31 rue Galande 75005 Paris
Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Aude Dugast
[email protected] - Tel : 01.55.42.55.14 - N° ISSN 1627 49 89 - Imprimerie PRD S.A.
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