P A R C S E T A I R E S P R O T É G É E S Le programme de suivi de l’intégrité écologique et du développement durable au parc national du Mont-Mégantic Patrick Graillon À l’instar de l’ensemble des parcs du réseau de Parcs Québec, le parc national du Mont-Mégantic a été créé en 1994 afin de préserver un territoire naturel représentatif de sa région. Le Québec est divisé en 43 régions naturelles caractérisées chacune par des éléments écologiques uniques. Le parc national du Mont-Mégantic se situe dans la partie est des Cantons-de-l’Est qui borde la frontière de l’État du Maine, une zone montagneuse appelée Montagnes frontalières. Le parc a été créé pour protéger un échantillon de cette région naturelle. En effet, la mission des parcs nationaux du Québec stipule que « l’objectif prioritaire est d’assurer la conservation et la protection permanente de territoires représentatifs des régions naturelles du Québec ». Elle précise aussi que ces mêmes territoires doivent être « accessibles au public pour des fins d’éducation et de récréation extensive ». Les parcs nationaux doivent donc être gérés de façon à trouver un équilibre entre ces différentes exigences. C’est ici qu’entre en jeu le concept de développement durable. Développement durable et intégrité écologique Le concept fut établi à la suite du rapport Bruntland en 1988, lequel exposait les deux constats suivants : la fragilité de la biosphère et la fragilité du développement lui-même. Le concept fut défini par « un développement qui répond aux besoins présents sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Pour atteindre cette cible, le premier objectif du développement durable selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) est le maintien de l’intégrité écologique. Cette notion d’intégrité écologique s’avère par contre moins bien définie que ne l’est celle de développement durable. Il existe d’ailleurs plusieurs définitions de la notion d’intégrité écologique. Mais, généralement, il est convenu que celle-ci fait référence au niveau de perturbation d’origine anthropique qui caractérise un territoire. Ainsi, un milieu dont les processus naturels de fonctionnement ne sont pas affectés par les activités humaines possède un niveau d’intégrité écologique maximal. Plus un territoire est affecté par les actions anthropiques, plus le niveau d’intégrité écologique de ce dernier diminue. Il existe donc un gradient du niveau d’intégrité écologique caractérisant un milieu ou un écosystème. Dans un parc de conservation, cette notion doit être 118 LA SOCIÉTÉ PROVANCHER D’HISTOIRE NATURELLE DU CANADA omniprésente dans les décisions de gestion, tout en ayant à l’esprit qu’il est impossible d’éliminer complètement les stress de nature anthropique. Il s’agit donc de maintenir un niveau d’intégrité écologique en équilibre entre les besoins de l’être humain et la capacité de support du milieu, tout en respectant le concept du développement durable. L’être humain fait d’ailleurs partie intégrante des écosystèmes et l’élimination totale de son influence sur ceux-ci irait à l’encontre même de la notion d’intégrité écologique. Un écosystème est un système dynamique qui se transforme de façon naturelle (succession de la végétation, migration des espèces, feux de forêt, etc.) et sous l’influence de phénomènes anthropiques (pollution atmosphérique, coupe forestière, pêche, etc.). Mais quelle importance a eu cette influence humaine sur l’évolution naturelle d’un écosystème depuis 100 ans ? Depuis 1000 ans ? La présence de l’être humain, comme pour toute autre forme de vie, affecte l’évolution des milieux. Situer la limite entre les impacts « naturels » de l’humain et les impacts jugés néfastes exigerait des analyses et des discussions qui dépasseraient les ambitions de cet exposé. Généralement, les impacts des activités anthropiques sont assez facilement identifiables. La difficulté de base dans l’estimation de la qualité de l’intégrité écologique réside plutôt dans l’évaluation de l’évolution naturelle des écosystèmes. Il est donc très difficile, voire impossible, d’évaluer à quel niveau le degré d’intégrité écologique d’un territoire donné devrait se situer à un temps donné. Le programme de suivi Afin de vérifier à long terme le degré d’atteinte de sa mission de conservation, Parcs Québec a développé un programme de surveillance de l’intégrité écologique pour le réseau des parcs nationaux du Québec. Intéressée par le projet, l’équipe du parc national du Mont-Mégantic s’est proposée afin de mettre en place un premier programme de surveillance ; celui-ci permettra de définir des paramètres écologiques et statistiques et de mesurer l’évolution de ceux-ci afin d’apprécier la qualité de l’intégrité écologique et de la gestion du parc. Ce programme, développé en 2002, a été implanté en 2003 au parc comme projet pilote pour l’ensemble du réseau de Parcs Québec. Afin de faire un comPatrick Graillon est responsable de la conservation au parc national du Mont-Mégantic. P A R C S E T A I R E S paratif entre les parcs caractérisés par moins d’achalandage et les parcs périurbains, le programme a aussi été implanté au parc national du Mont-Saint-Bruno, situé sur la rive sud de Montréal. La mise sur pied d’un Programme de surveillance de l’intégrité écologique et du développement durable (PSIEDD) est un outil qui permet aux gestionnaires de suivre, dans le temps, l’évolution des écosystèmes du parc et d’en assurer une gestion environnementale optimale. Il s’agit bien d’un programme d’évaluation de « l’état de santé » du parc. Avec l’aide de l’information fournie par cet outil, les gestionnaires auront la responsabilité d’identifier les lacunes et de prendre les mesures nécessaires afin de les corriger. P R O T É G É E S À chacun de ces indicateurs est associée une méthodologie qui lui est propre et qui est efficace et significative pour le parc national du Mont-Mégantic. Les indicateurs pour le parc national du Mont-Saint-Bruno sont aussi basés sur cette liste, mais certains possèdent une méthodologie différente (adaptée à la réalité de ce parc) ou sont tout simplement inutilisés puisque non pertinents. La pondération Un système de pondération des indicateurs a été développé au parc du Mont-Mégantic. Il sert à quantifier les résultats annuels du programme. Il est ainsi possible d’attribuer une note aux résultats et de vérifier l’état de l’intégrité écologique comparativement à l’année précédente. Cette note permet aussi d’étudier et d’analyser les tendances à plus long terme. La première année d’implantation est considérée comme l’an zéro (2003). Il s’agit de l’année de référence à partir de laquelle les comparatifs à long terme seront faits. Ces données initiales représentent la situation réelle de l’année d’implantation des paramètres étudiés par les indicateurs. Les indicateurs environnementaux L’identification et la mesure des effets anthropiques sont réalisées à partir de différents paramètres issus du milieu, chacun étant soumis à des stress environnementaux différents. Ils sont donc étudiés et évalués indépendamment pour connaître l’état de chacun et ensuite synthétisés pour donner une image globale du niveau d’intégrité écologique du territoire. Ces paramètres sont : • la qualité de l’atmosphère, • la qualité de l’eau, Tableau 1. Indicateurs retenus pour le parc national du Mont-Mégantic • la qualité des habitats, • la qualité de la biocénose, Paramètre Indicateur • l’impact des activités humaines, Le degré d’acidité des précipitations • la qualité des pratiques de gestion. La concentration d’ozone troposphérique Des indicateurs environnementaux Qualité de l’atmosphère servent à dresser le portrait des paramètres Le degré de pollution lumineuse qui déterminent le niveau des stress sur les L’état de la faune benthique écosystèmes du parc. C’est la comparaison Qualité de l’eau La démographie des plantes vasculaires allogènes temporelle de ces indicateurs qui permet de déceler des changements dans l’état du Qualité de la biocénose Le stress végétatif milieu et, en conséquence, des effets des La distribution de la faune différentes pressions humaines et naturelles. Les indicateurs environnementaux La quantité de perturbations du milieu sont de différents types. Il peut s’agir de Qualité de l’habitat Les activités dans la zone périphérique caractéristiques physiques ou chimiques L’évolution des zones sensibles du milieu, d’inventaires ou d’études d’espèces indicatrices ou d’observations La fréquentation touristique de perturbations. Il peut s’agir également La densité des infrastructures d’indicateurs vérifiant des éléments ponc Les impacts des infrastructures tuels, des suivis tout au long de l’année ou Impact des activités dans le parc des compilations de données en fin d’an L’activité économique locale née. La justification de l’utilisation d’un Les émissions issues de la combustion du bois indicateur doit provenir d’une hypothèse de base valide. Cette hypothèse cherche à Le budget consacré à la conservation démontrer le lien de causalité entre les acti La qualité de la protection du territoire vités humaines et les processus naturels de fonctionnement des écosystèmes. Pratiques de gestion La qualité de la gestion des matières résiduelles Les indicateurs retenus pour le parc La qualité de la gestion des eaux usées national du Mont-Mégantic sont résumés au tableau 1. La consommation énergétique LE NATURALISTE CANADIEN, VOL. 128 No 1 HIVER 2004 119 P A R C S E T A I R E S Les indicateurs retenus sont divisés en catégories selon l’importance relative de chacun dans l’évaluation de la qualité de l’intégrité écologique. Ainsi, un indicateur très pertinent possède un poids statistique plus important dans la note globale qu’un indicateur moins significatif. On attribue une catégorie plus importante à un indicateur si les résultats découlant de son étude sont particulièrement révélateurs de l’état de santé du parc, s’ils sont témoins de pressions anthropiques importantes sur le territoire et si la validité des résultats est fiable. À l’inverse, les indicateurs pour lesquels les impacts environnementaux potentiels sont moins élevés, plus localisés ou plus difficiles à quantifier se voient attribuer une catégorie de niveau inférieure. La note annuelle attribuée à chaque indicateur sera basée sur la comparaison avec l’année précédente. De meilleurs résultats pour un indicateur donné résultent en une note positive, une détérioration en une note négative et la stabilité en une note de zéro. L’addition des notes de chaque indicateur donne la note globale annuelle, qui elle aussi peut être positive ou négative. Il est aussi possible de comparer des groupes d’indicateurs, par exemple ceux qui sont relatifs aux pratiques de gestion afin de tenter d’évaluer, indépendamment des facteurs hors de notre contrôle, la qualité de cette gestion. Un programme en développement Comme il a déjà été précisé, 2003 est l’année d’implantation du programme de surveillance. Elle sert à valider et à préciser sur le terrain les méthodes à utiliser afin d’obtenir des données valables et représentatives. Ces résultats seront compilés au début de l’année 2004 et serviront de base aux comparaisons annuelles futures. Un guide méthodologique sera rédigé pour assurer la reproductibilité des suivis. 120 LA SOCIÉTÉ PROVANCHER D’HISTOIRE NATURELLE DU CANADA P R O T É G É E S Après la compilation des données de 2004, une première note sera attribuée à chacun des indicateurs en comparant les résultats de 2004 à ceux de 2003. Les résultats obtenus annuellement pourront toujours être mis en relation avec les données de 2003 afin de voir l’évolution à long terme du niveau d’intégrité écologique dans le parc. La méthode de pondération fonctionnant par notation positive ou négative donne beaucoup de souplesse au programme. À tout moment, l’ajout ou le retrait d’un indicateur sur la liste des suivis entraîne peu de modifications à la signification des résultats annuels en rapport avec ceux d’une autre année. Ainsi, des nouveaux indicateurs qui seraient jugés pertinents peuvent facilement être intégrés au programme. De la même façon, des indicateurs dont l’utilisation dévoilerait un manque de précision ou de signification peuvent être retirés du programme. Dès 2004, il est prévu qu’un programme de surveillance soit implanté dans l’ensemble du réseau de Parcs Québec. Le nombre d’indicateurs sera moins important au début et assez facile d’utilisation. Progressivement, chacun des parcs pourra ajouter des indicateurs pertinents à son territoire et aux caractéristiques de celui-ci pour éventuellement obtenir une image globale de l’état de santé du parc. Nous souhaitons que ce programme de surveillance de l’intégrité écologique et du développement durable dans les parcs nationaux du Québec permette de nous assurer ainsi que la mission de protection soit respectée pour le bénéfice des générations futures.