Aurore Fattier et Denis Lavant – Elisabeth II, Théâtre et Cinéma au diapason
Aurore Fattier et Denis Lavant - © Fabienne Cresens
Elisabeth II de Thomas Bernhard est une pièce à tiroirs sur les questions existentielles, la cruauté du monde, la société/spectacle, le théâtre, le nazisme, etc. Elle trace, au fil de la mise en sne
dAurore Fattier, des vagues et du temps. Ici, intacte est la théâtrali gagnée par la beau de l’image cinéma qui s’ouvre sur autant de voyages inrieurs et despaces dilatés. Rencontre sensible
et passionnée avec l’ine cinéma dauteur/théâtre (qui senfend) Denis Lavant et la metteure en sne flamboyante Aurore Fattier. Raisons d’un succès (et un scoop).
Sylvia Botella : Doù vient votre obsession pour les grands textes ? Et pourquoi les aimez-vous autant ?
Aurore Fattier : Les grands textes sont comme un miroir qu’on nous tend. La sensation de vertige que jéprouve lorsque je lis un texte littéraire n’est jamais plus puissante quau théâtre.
À chaque fois que je re-convoque la littérature - et avec Thomas Bernhard, cela mapparaît encore plus fortement -, j’ai le sentiment que ce sont des œuvres sans fond. Il est toujours possible
daller plus loin. Cela engage quelque chose de ts vivant. Je pense que ce sont des pièces qu’on peut monter de manière très différente, à des âges ts différents. Il est toujours possible dy
revenir.
Ce sont aussi des œuvres face auxquelles je me sens toute petite. Jaime avoir le sentiment dêtre dépassée par la puissance d’une œuvre.
Jaime beaucoup les pièces et les romans de Thomas Bernhard. Elisabeth II est une pièce très humaine. Pour moi, il y a un vrai parallèle entre le personnage dHerrenstein et le Thomas Bernhard
âgé, malade et seul tel un vieux Proust (rires). Il se livre beaucoup dans le texte.
Quest-ce qui vous a inspiré pour mettre en scène Elisabeth II ?
A. F. : Denis Lavant est une source d’inspiration puissante. Pour les décors, Valérie Jung et moi, avons beaucoup regar les peintures du Danois Vilhelm Hammershøi : les lieux vides, la lumière
du nord, des snes presque intemporelles.
Après, il y a beaucoup de références cinématographiques parce que je trouve que lécriture de Thomas Bernhard est à la fois ts réaliste et très théâtrale. Et peu de temps avant, j’avais vu le film
Birdman d’Alejandro González Iñárritu.
Dans lœuvre de Thomas Bernhard, il y a tout un pan qui a à voir avec les coulisses du théâtre. Jaurais aimé lexploiter davantage mais jai préféré ne pas trop y insister car c’était prendre le
risque denaturer la pièce. Elle est très allusive : les coulisses du monde, l’art de la repsentation, le masque social, etc.
Jai beaucoup pen à lœuvre du cinéaste italien Frederico Fellini, au grotesque des situations sociales et aux rêves. Jai notamment pen à son film Huit et demi avec Marcello Mastroianni et
Anouk Aimée et surtout à la fin : il est entou par toute sa famille et il arrive à mettre en scène son film.
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Date: 20/11/2015
Page: 
Periodicity: Continuous
Journalist: 
Circulation: 287373
Audience: 287373
Size: 
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Il y a quelque chose de ça dans Elisabeth II, tous les vieux qu’Herrenstein na pas vus depuis longtemps, viennent chez lui pour voir le défilé de la Reine d’Angleterre Elisabeth II. C’est presque
comme un testament de vie.
Partagez-vous la même analyse qu’Aurore Fattier concernant l’œuvre de Thomas Bernhard ?
D. L. : Je connais ts mal lœuvre de Thomas Bernhard. Cest la première fois que je joue une de ses pièces. Et je ne connais un metteur en scène ou un auteur qu’au moment où nous
commençons à travailler tous ensemble.
Je ne suis pas le comédien qui lit tout ce qu’il y a autour d’une pièce. Cest plut le matériau lui-même qui me nourrit. Après, bien évidemment, cela se contamine. Jai lu, bien sûr, quelques
entretiens de Thomas Bernhard. Forcément, je mintéresse un peu à lui.
Mais c’est d’abord le personnage de fiction et le dialogue que j’ai avec la metteure en scène qui m’inressent… tout le jeu qui existe entre ce que je comprends du personnage et le cadre qu’on
me donne. J’essaie de voir comment " inriorité " et " vision exrieure " sajustent.
Je sens qu’il y a une ts grande part intime de Thomas Bernhard dans la pièce, sa part humaine. Cela me fait penser au seul en scène Faire danser les alligators sur la flûte de pan où jaborde
Louis-Ferdinand Céline. Mais à la différence que jinterprète vraiment Céline, même s’il devient, au fur et à mesure, un personnage de fiction sur le plateau.
Elisabeth II est vraiment une mise en sne et Herrenstein est un personnage de fiction. Il n’est pas seul, il est entou de son majordome et de sa gouvernante qui sont des manipulateurs
manipulés. On ne sait plus ts bien qui dépend de qui. Et c’est ts intéressant.
Il y affleure des propos de haute volée, des constats sur la vie et la société, des penes métaphysiques sur lhumain au monde, la souffrance, le vieillissement, la mort Beaucoup de choses
essentielles sont dites, mais toujours dans une circulation, organique et humaine.
C’est un grand texte. C’est un grand auteur qui est en quête d’une vérité de l’humain à travers lui et ses exriences et qui, dans le même temps, retranscrit la circulation ts anarchique dun
homme âgé de quatre-vingt-sept ans qui a son passé qui revient par vagues.
Votre personnage est immobilisé. Les dialogues sont très denses oscillant entre excitation, critique, espièglerie et amertume. Comment avez-vous travaillé avec Aurore Fattier
?
D. L. : C’est la première fois que la pièce Elisabeth II est jouée en français. Nous avons essayé de voir comment comment le texte jouait. Il est ts singulier, il est trèscou, presque comme
dépo sur la page, sans ponctuation, avec des retours à la ligne, versifié, comme sil y avait une respiration.
Jai tendance à être très appliqué, ts attentif à la partition textuelle. Tout est dans le texte donc autant sen servir.
Dès le début, il annonce qu’il a failli mourir, j’ai donc essayé de le jouer très fatigué mais dans le même temps, il n’arrête pas de parler. Cest presque comme une combustion.
La relation à son monde est très délicate. Son majordome et sa gouvernante sont des présences presque muettes. Il fallait donc trouver le style de jeu adéquat pour ne pas sombrer dans le
grotesque et trop en rajouter. Tout est dans l’échange, cruel et vicieux, dun côté comme de lautre.
Il y a tout un univers qui est dissimulé, il y a tout un passif. Le majordome sert la Maison Herrenstein depuis vingt-cinq ans. La gouvernante, depuis quarante-deux ans. On suppose qu’elle a peut-
être é amoureuse d’Herrenstein... Il y a quelque chose de lourd, de dense, de terrible dans ce rapport-là. Cest quelque chose qu’on comprend, qu’on appréhende au fur et à mesure. La pièce
agit par strates.
La pièce est sombre mais elle a aussi une tonalité comique inattendue parfois amenée par le jeu de Denis Lavant qui est dans une veine presque grotesque. Avez-vous poussé
Denis Lavant dans cette direction ?
A. F. : L’appui principal de Denis Lavant, cest le public, cest un vrai partenaire de jeu. Cest là, qu’on perçoit également à quel point le texte est incroyablement écrit. Thomas Bernhard sait ts
bien comment le théâtre agit, comment ce que dit ou joue l’acteur résonne pour le spectateur.
Il existe un rapport de cruauté entre le public et Herrenstein. Plus le personnage souffre et plus il est furieux, et plus cest jouissif pour le spectateur. Il y a un rapport ts sadomasochiste entre
Herrenstein et le public. Le personnage est cruel avec le public et celui-ci lui rend bien à travers son rire cruel.
D. L. : Pour moi, il y a un ressort comique. Ce personnage est entièrement là, dans ce qu’il dit. J’ai tendance à le prendre au premier deg.
Et le comique retentit par les cassures. Herrenstein dit quelque chose et l’infirme immédiatement après. C’est présent aussi dans ses emportements contre le théâtre. Herrenstein est un personnage
en crise, il est forcément grotesque et pathétique.
Il est évident pour vous de jouer avec le public ?
D. L. : Oui. Je n’ai jamais cru au quatrième mur. Le public est là ! Herrenstein fait appel à la foule. Le public est cette foule.
En l’occurrence, le public reflète les Viennois dont Herrenstein parle. Le public est lespace sur lequel, on peut projeter la masse anonyme. Ce sont des individus-spectateurs complices de la
représentation.
Au Théâtre Varia, il existe un vrai rapport de proximi. La salle et les gradins sont au même niveau. On a le sentiment que les spectateurs sont chez Herrenstein. Ils sont les Viennois et les invités,
aussi.
Nous avons le sentiment que le monde est un immense théâtre pour Herrenstein dont il serait l’acteur principal. La mise en abyme " société et spectacle " est très présente. Et
la pièce parle littéralement du théâtre. Cest presque une réflexion sur la société de spectacle.
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D. L. : Peut-être.
A. F. : Oui, complètement. Le monde est un théâtre !
Comment voyez-vous la trajectoire de votre personnage dans la pièce ?
D. L. : C’est le début dune journée chez Herrenstein mais elle nest pas une journée comme les autres. Langoisse plane. Au fur et à mesure de la pièce, on apprend que le neveu va venir chez
son oncle avec une quarantaine de personnes. Ce n’est pas linéaire, ça circule, ça gravite et ça remonte.
Linformation qu’on a peut-être tardivement mais qui est la pire pour Herrenstein, c’est son apphension. Il a peur que son majordome le quitte et qu’il se retrouve seul. Car c’est la mort.
Dans le même temps, c’est aussi tous ses petits soucis qui le font vivre. C’est une journée bien remplie qui sachève en triomphe (rires).
Et je trouve passionnant quHerrenstein soit à la fois le grand industriel et le vieil enfant qui hésite, par exemple, entre deux desserts. Il est dans un fonctionnement inrieur, dur et pitoyable.
Pourtant, il est à la merci des personnes qui l’entourent et quil est cen diriger. Cest un tyran domestique d’une vulnérabili infinie.
La part d’enfance est très grande chez Herrenstein.
D. L. : J’ai un excellent modèle : ma mère (rires). Elle est mon remuement. Elle est mon rere organique lorsque je suis Herrenstein, entièrement et dans sa mauvaise foi, sans que ce soit dénué de
tendresse.
Il y a aussi beaucoup de moi dans le personnage. Un personnage, c’est composite. On n’invente rien. On glane. Plus les personnes sont proches, plus elles sont familières et mieux on les
comprend. Cest plus vivace. Cest du théâtre mais avec le ressort humain.
Dans la mise en scène dElisabeth II, il y a l’idée de la démesure. Elle est, à la fois très théâtrale - les décors sont très imposants - et très inventive en terme de contrechamps :
lumières et vidéos. Leur relation organique (et d’une rare beauté) permet dintroduire une qualité presque mentale à la pièce, comme un deuxième niveau. Les ombres des
personnages sont presque blanches.
A. F. : C’est l’artifice du théâtre et dans le même temps se dégage quelque chose de vrai. Il y a dans la pièce de Thomas Bernhard, quelque chose de profonment théâtral. Nous sommes dans
un rapport très basique : quelqu’un parle à des personnes qui se sont regroues pour l’écouter. Cest les origines du théâtre.
Valérie Jung et moi, voulions que les décors soient ts imposants pour que Denis Lavant ait lair tout petit. Nous voulions aussi une espèce de décorum viennois ts artificiel, ts théâtral pour
mieux le détruire à la fin de la pièce.
La vio a un statut particulier. Elle met en lumière le jeu des coulisses, le théâtre dans le théâtre, le rapport à la société, le rapport très poétique à soi, etc. Pour moi, cela raconte aussi quelque
chose de la solitude de l’acteur face au public.
Elle permet aussi de convoquer sur le plateau tous les invités comme des esces de fanmes de l’existence d’Herrenstein. Aubut, je voulais de vrais figurants. Mais au final, je trouve la vio
plus intéressante, elle les dématérialise, elle rend leur existence ts " mentale ". On ne sait jamais s’ils sont vraiment là ou s’ils existent seulement dans la tête d’Herrenstein.
La création lumière est du snographe Simon Siegmann. Il éclaire ts rarement et lorsqu’il le fait, cest uniquement pour son propre travail. Il a cé une lumière ts froide. Il a accompli, ici, un
travail extraordinaire.
Denis Lavant est porteur à la fois du théâtre et du cinéma. Vous aviez déjà en tête sa double qualité lorsque vous l’avez rencontré. La coïncidence qui existe entre le parti pris
de mise en scène et tout ce que véhicule le corps physique de Denis Lavant en termes dimaginaire chez le spectateur, est étonnante.
A. F. : Oui, complètement. Avant de rencontrer Denis Lavant, j’avais toute une histoire d’amour avec ses films et rôles. Jétais plongée dans une fantasmatique très puissante. Denis Lavant n’est
pas un artiste " neutre ", il est ts " chargé " et je ne peux pas imaginer qu’il apparaisse autrement aux spectateurs. Pour moi, il est la fois " Herrenstein " et " l’acteur Denis Lavant ".
Est-ce que la présence de Denis Lavant a contaminé la scénographie ? Car tout est intimement imbriqué.
A. F. : Nous avons fait une première étape de travail en juin dernier, elle était ts monolithique. Aujourdhui, tout se rencontre.
Au début des répétitions, ce nest évident pour personne. Lorsque l’acteur arrive, il a fait ses lectures, il a sa vision propre
D. L. : Non, je nai pas travaillé en amont. Je ne commence à travailler que lorsqu’on commence à travailler tous ensemble. Bien sûr, je peux y rêver, mais je travaille aussi dautresles dans le
même temps. Ils menrichissent aussi.
Tu parles de lacteur mais je ne sais pas ce que cest un acteur. Il avance avec une sorte de géologie. Une série dempreintes de personnages mêlée à sa vie propre l’accompagnent, l’amènent à
jouer et à mieux comprendre son personnage, à traquer quelque chose de sinre.
Au début, on arrive avec l’envie de comprendre et le sentiment de peur, aussi. On éprouve un sentiment de panique au regard de l’épreuve qu’on te propose.
Le travail commence réellement lorsqu’on est confron au metteur en scène, aux autres comédiens, auxcors, etc.
A. F. : Ce que je veux dire, cest quil faut du temps pour se comprendre et travailler ensemble. Nous y sommes parvenus.
D. L. : Oui, c’est clair (rires). Mais parfois, ça n’arrive jamais ou il faut des années.
A. F. : Oui, parfois avec certains acteurs, il n’y a aucune étincelle.
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D. L. : Au début, Aurore voulait me filmer beaucoup plus.
A. F. : Oui, je voulais le filmer tout le temps (sourire).
D. L. : Je lui ai dit : non ! Je nétais pas là pour faire du cinéma (rires). Ici, l’image me plonge parfois dans une sorte de perplexi et de déséquilibre. Je commence le spectacle et je me vois sur
l’écran en Herrenstein. Et je me dis : " Je ne le jouerais pas comme ça maintenant. " Déjà que je naime pas beaucoup me voir.
Lorsque je travaille au cinéma, j’ai horreur de me voir avant que le film soit terminé. Je ne vais jamais contrôler le moniteur. Ça désacralise tout. Ça éteint limaginaire que je projette.
Lors des premières répétitions dElisabeth II, je fermais les yeux et je nentendais que ma voix et c’était même trop.
Mais dans le même temps, cest un tremplin. Et autant utiliser ce qui a é imprimé. Cela donne la mesure pour jouer le personnage. Après la piste est ouverte !
Lidentité visuelle d’Elisabeth II est très forte. C’est rare dinvestir à ce point la qualité de limage sur un plateau tout en gardant intacte la théâtralité. Vous en aviez d’emblée
envie ?
D. L. : Ça a été de haute lutte. Nous avons joué deux représentations à Namur et nous avons repris le spectacle quatre mois après.
La pièce a nécessité un ts grand travail technique. Durant lestitions, au lieu de travailler sur le jeu, nous étions dans la patience. Ça ma mis en fureur. J’étais dans un rapport de cinéma.
Sauf qu’au cinéma, une fois qu’on a fait la prise, elle est faite. Au théâtre, il faut être suffisamment aguerri pour reprendre et réinventer sonle. Cétait une grande contrariété. Et puis, lorsqu’on
joue Herrenstein, on a la chance de pouvoir se mettre en colère à tout moment (rires).
Quand cest compris et quil n’y a pas d’ego, on peut dialoguer.
A. F. : On vient seulement de trouver le juste équilibre entre théâtrali et Cinéma. J’ai recentré, j’ai enlevé tous les éléments parasites. Le texte sestposé. Denis Lavant est très centré. Tout se
ré-agence.
Il y a la présence étrange, voire parasite des bonnes. Elles apparaissent comme un bloc distinct, presque un ballet. Comment avez-vous abordé le travail avec les interprètes ?
A. F. : Jai compris récemment leur statut. Cest le bas de l’échelle. Dans la pièce, le plus fort se venge du plus faible et ainsi de suite. Les bonnes, cest l’enfer de la gouvernante, leur condition est
misérable. Mais elles participent de cet enfer, aussi.
D. L. : Et dans le même temps, elles sont spectatrices de la folie d’Herrenstein. Ce sont des témoins.
Il est rare pour un comédien d’avoir une carrière à la fois cinématographique et théâtrale, aussi intense. Cest votre cas, Denis Lavant. Est-ce que ça toujours était une
évidence pour vous d’avoir ces allers-retours ?
D. L. : Je naime pas le mot " carrière ". Ce mot na jamais rien signifié pour moi. " Faire carrière au cinéma " n’a jamais é un évidence, avec tout ce que ça implique en termes de confort et
dascension.
Jai toujours éprouvé la nécessité de revenir à lessentiel, aux planches, au théâtre, au spectacle vivant. Cest ma première impulsion. J’ai voulu devenir comédien pour faire du théâtre et même du
théâtre forain. Je n’ai jamais projeté de faire du cinéma, ça n’a jamais été mon ambition. Il m’est tom dessus par accident. Et je ne le regrette pas, j’ai rencontré de ts grands artistes comme
Leos Carax.
Aujourdhui, jai la chance de pouvoir faire du cinéma et même d’avoir une image qui perdure et qui voyage à létranger.
Je pense que mon travail au cinéma senracine aussi dans l’artisanat du théâtre, dans mon travail de comédien qui se remet constamment en question. Le théâtre est la principale digni du
comédien.
Le comédien a la responsabilité, soir après soir, de jouer le pièce, de garder le cap. Ce nest pas confortable du tout ! Parfois, je me dis qu’il serait plus confortable de " faire carrière " dans le
cinéma ou la série télé (rires).
Là, cela me fait grand plaisir de travailler avec une équipe de comédiens, d’être ensemble. On cherche ensemble pendant lestitions et on trace après. Le cinéma peut être une ts grande
solitude. En même temps, pour moi, c’est fondamentalement le même travail mais pas sur le même mode.
Le cinéma, cest une dle de chose. On rencontre davantage l’autre à travers le personnages qu’on joue. Chaque jour, on cherche une facette, un moment de jeu du personnage. Et lautre est en
face. Souvent, on ne se connt pas. Parfois, il arrive qu’on se rencontre sur des moments émotionnels de jeu.
Et puis, au cinéma, le mode de jeu n’est jamais ts clair. Est-ce du premier deg ou non ? Hier soir, une amie ma dit : " Il y a là quelque chose de très jubilatoire. Lorsque tu joues ton
personnage, on sent ton plaisir de comédien ". Pour moi, cette dimension est très importante ! Et elle ne démystifie rien.
Au cinéma, les comédiens veulent tellement être dans UNE VÉRITÉ. Certains metteurs en sne vous conditionnent à être les personnages, à la manière dégrae de lActor Studio ou de la
méthode de Stanislavski, à être complètement dans le moule du personnage. Il n’y a même plus le plaisir du jeu.
Dans les pièces, il y a ce grand plaisir-là. Ça respire. Dans le théâtre, il y a quelque chose de profonment sain, c’est pourquoi j’y reviens toujours. Il n’y a pas de duperie.
Au cinéma, même le public se laisse prendre au piège, il voit tellement le comédien jouer un rôle. Et il y a tellement d’intoxication : tel comédien EST ce personnage-là. Alors que ce n’est pas vrai,
il joue.
Au théâtre, on a vraiment conscience de l’artisanat. Elle est vraie pour le public, aussi. Une passerelle existe, le public accepte que l’autre joue, il accepte de croire. Et le comédien croit qu’il joue
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aussi. Il est presque dans un phénomène dauto-persuasion, dauto-hypnose.
Il y a plusieurs niveaux de conscience lorsqu’on est sur sne. On est à la fois pris dans le flux et aux commandes du personnage.
On est dans l’abandon, dans quelque chose qui circule et dans le même temps, on est au fait, on est dans une conscience affûe de tout, aussi bien à l’intérieur qu’à l’exrieur.
Pourtant on ressent cette qualité-là dans le cinéma de Leos Carax
A. F. : Oui. Dans le film Holy Motors
D. L. : Oui, mais cest après Le tournage des Amants du Pont-Neuf a é conflictuel à cause de la peur que ça ne soit pas " vrai ", pas " authentique ". Il fallait plonger dans la misère sociale.
Et j’y allais à fond comme un imcile et dans le même temps, je me révoltais. Mais je ne regrette rien. Cétait une exrience, elle m’a permis de comprendre certaines choses et den
appréhender d’autres. Jai avan. Mais jétais tellement dedans que je ne me souviens plus avoir tourné certaines scènes (rires).
Je navais plus la distance nécessaire entre moi et la dépression du gars qui est dans la rue. Alors que je n’étais pas à la rue.
C’est une exrience limite. Elle ma fait comprendre aussi à quel point, il est vain de vouloir exrimenter le personnage pour être le personnage.
Pour moi, il y a une part d’imaginaire qui travaille. Et elle est l’outil principal du comédien. Elle permet de projeter et de se projeter dans des états. Bien évidemment, plus on a de vécu, plus on
contient d’états émotionnels. Et ils peuvent être ts lointains au regard de l’émotion artistique éprouvée à travers des lectures, des tableaux, des films ou des rencontres. Mais on n’est pas obligé
de vivre dans la rue pour jouer un clochard et de se brûler.
Holy Motors, cest une autre étape. C’est le pas franchi, cest passer de Stanislavski à Brecht, c’est passer de " coller au personnage " à " la distance brechtienne ", ravissante. Et surtout, Leos
Carax et moi, avons gagné en confiance. Notre rapport de confiance s’est affirmé complètement sur le tournage dHoly Motors. Il y a là une composition de personnage affirmée.
A. F. : Pour moi, c’est la sublimation du jeu.
D. L. : Oui. Comme dirait Bacon, lauthentique, la sincéri appart encore plus lorsqu’elle est entoue d’artifices. Il y a cette dialectique.
A. F. : Le film est sublime. Il est très rare dans un film que le jeu soit psent à ce point dans sa dimension de jeu. Au théâtre, il est plus fréquent dêtre témoin de cette invention, au présent,
magnifique, magique et différente, tous les soirs. Je trouve qu’Holy Motors cherche ces glissements. Jadore ce film, c’est un chef-d’œuvre absolu.
Elisabeth II se termine par une scène de destruction qui a presque une tonalité irréelle avec l’apparition muette de la Reine Elisabeth II.
A. F. : C’est la fin du cauchemar. La Reine Elisabeth II, cest une espèce de Deus Machina, cest la mort.
D. L. : Herrenstein parle delle comme de l’épouvante.
Quelques mots sur vos projets ?
D. L. : Mon futur projet, cest d’allercher la crevette au Texas (rires). Cest un peu incongru. Austin Lynch (ndl le fils de David Lynch) a réalisé une sorte de documentaire-fiction avec
notamment l’actrice Aurore Clément. Il veut que jinterprète un peintre qui rêve de devenir hermaphrodite et qui a pour gagne-pain et passe-temps : la pêche à la crevette (qui est d’ailleurs
hermaphrodite). Ce peintre avait la réputation de pressentir en peignant, l’endroit où était le banc de crevettes. Je vais donc aller pêcher la crevette au Texas. Et cela fait rire tout le monde car tout
le monde pense quil ny a que le désert au Texas.
Et on m’a proposé une journée de tournage à Ostende. Je ne me souviens plus du nom des deux réalisateurs, mince (rires). Jai accepté. Je trouve plaisant daccueillir les personnes qui vous
proposent des petites aventures.
Et il y a le théâtre, bien sûr. Je joue trois pièces en même temps : Faire danser les alligators sur la flûte de pan mis en sne par Ivan Morane, Elisabeth II mis en scène par Aurore Fattier et
Les Fourberies de Scapin mis en scène par Marc Paquien
A. F. : Oui, Denis Lavant et moi, allons nous lancer dans Hamlet !
Entretien réali par Sylvia Botella le 12 novembre 2015 au Théâtre Varia à Bruxelles
Elisabeth II de Thomas Bernhard mis en scène par Aurore Fattier du 17 au 21 novembre 2015 au Théâtre de Liège, du 1er au 5 décembre 2015 au Théâtre de Namur, du 27 au
29 janvier 2016 au Manège de Mons.
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