LECLUBTendance recherche du 22.9 au 28.9.2016
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La notion d'«espèce invasive» fait réfé-
rence àun organisme vivant – plante ou ani-
mal–quiaété introduit en un lieu donné,
surtoutsuite à uneinitiative ou activité hu-
maine délibéréeou fortuite. L'arrivée de cet
organisme en un habitat nouveaupour lui
s'accompagne souventd'une série de consé-
quences, d'impacts voire de changements,
tant sur soncomportementque sur l'écosys-
tème qui l'accueille–cela peut aller jusqu'à
causer des nuisances,parfois désastreuses, à
l'égard des écosystèmes, et même se révéler
très problématiquepour la santé publique
humaine ou l'économie locale ou même ré-
gionale.
Ces espèces en soine sont,pour la plupart,
nullement dangereuses dans leur habitat
d'origine. Elles ne causent des nuisances que
lorsqu'elles sont subitementlâchées dans des
environnementsquin'ontjamais eu affaire à
elles. C'est ainsique, parexemple, si le mû-
rier est, chez nous, une plante plutôtbanale,
introduite auxGalapagos, il envahit tout et
est même en traind'ydétruire la déjà fragile
forêtde scalesias de l'îlede Santa Cruz,me-
naçant d'extinction dans la foulée de nom-
breuses espècesrares, dont des pinsonsdits
de Darwin.
Aussi l'acacia,un arbre originaire d'Améri-
que du Nord,est-il considéré comme enva-
hissantun peupartout àtravers le monde, y
compris en Europe.En Afrique du Sud,il
est même en voie d'exterminer le «fynbos»,
une végétation typique du Cap.
La conférenceNeobiota quis'est tenue à
Viandenaévoqué ces deux problématiques
ainsi quedesdizaines d'autres, commeles
punaises pentatomesaméricainesen Belgi-
que, le cynips du châtaignierchinois en Slo-
vénie, Croatieet Hongrie, descoccinelles
pakistanaises, autrichienneset chinoises en
Russie… Et même la berce du Caucase au
Luxembourg, où d'ailleurs des chercheurs
pensent avoir détecté deshybrides.
Une telle concentration de spécialistes de
tous bords–de la recherche scientifique
pure àcelle visant àidentifier lesmeilleures
pratiques et politiques –, couvrant despro-
blématiques de tous les milieux–terrestre,
marin et aquatique(eau douce)–,et impli-
quant tous les groupes d'espèces –plantes et
animaux –dans de nombreuses régions de la
planète, permet de se faire uneidée encore
plus précise de la complexité et de l'ampli-
tude du phénomène.
La DrAlison Dunn est professeurà la fa-
culté des sciences biologiques à l'Université
de Leeds (Royaume-Uni). Sesrecherches
portent sur les espèces invasivesque l'on
peut trouveren eaudouce–dans les cours
d'eau, les étangs et les lacs. «La biodiversité
deseaux douces», précise-t-elle, «est propor-
tionnellement plus abondante quelesaires
que ces eaux occupent sur la planète. Et il est
intéressant de noterqu'elles sont assezgrave-
ment atteintes par desespèces invasives.»
Alison Dunnétudie plus particulièrement
les petits crustacés et notammentles crevet-
tesquiévoluent dans cesmilieux. «Elles
jouent un rôle essentiel dans l'habitat aquati-
que du fait qu'elles se trouvent au centre du
réseaualimentaire. D'un côté, elles participent
àla décomposition,et donc àla mise àdisposi-
tion aux organismesplus petits des ressources
de base du fond des cours d'eau, comme les
feuilles mortes.D'un autrecôté, ces crevettes
sont aussides prédateurs quimangent des in-
vertébrésplus petits et qui, même,se mangent
entre elles.»
Affinant sa recherche, elle estamenée à
s'intéresser aux interactions qu'ontles systè-
mes formés par les espèces de crevettesau-
tochtonesen Irlande et leurs parasites, avec
des espèces de crevettesparachutées d'ail-
leurs. Etde donner un exemple: «Une cre-
vettelocale très commune en Irlande porte le
nom de Gammarusduebeni.Vu son impact
sur l'écosystème aquatique, elle est considérée
comme une espèce clé. Cette crevette Gamma-
rusduebeni aun parasite microscopique, ap-
pelé Pleistophora, quin'est toutefois pas très
virulent àl'égard de la crevette: se fixantsur
un des muscles de cette dernière,àpart la ra-
lentir quelquepeu dans ses déplacements, il ne
lui fait pas grand-chose.En tout étatde cause,
la vie dela crevetten'est aucunement menacée
par la présence de ce parasite.»
Biosécurité
Or voilà qu'une crevette américaine –la
Gammarus tigrinus –débarque en Irlande
parle biais,pense-t-on, deseaux de ballast
des naviresdurantla SecondeGuerre mon-
diale. Depuis lors, et contre toute attente,
cetteespèce invasive tienttête à la Gamma-
rusduebeni locale. «Contre touteattente,
parce quela duebeniest un prédateur plus fort
que la tigrinus.Elle aurait dû éliminer sa
nouvelle rivale. Notre recherche montre que le
problème vient du fait quele parasite,quiaf-
faiblit notreduebeni, n'affectepas la tigri-
nus.» Le résultat estquel'espèce invasive
bénéficie indirectement d'un système orga-
nisme-parasite entièrement autochtone. Ali-
son Dunn conclut cetexemple: «Un des as-
pects fondamentauxde ma recherche est donc
tant de voir comment des parasites autochto-
nes peuvent influencer l'impact qu'ont des es-
pèces invasives surun écosystème,que d'étu-
dier des parasites qui eux-mêmes peuvent être
de nouveaux venus dans un habitat local.»
Mais la scientifique n'arrête pas là sa re-
cherche. Constatant, avec l'ensembledes
spécialistes, que la prévention s'avèreplus ef-
ficace que lesinterventionsde contrôle,
voire d'éradication aprèsinvasion,elle s'est
lancée dans la recherche de mesures efficaces
pour réduire au maximum le déplacement
involontaire d'espèces aquatiques. «Notre
but est d'identifier des moyens disponibles à
tous– durandonneurdu week-end au cher-
cheur professionnel quitravaille sur le terrain.
Nous appelonsça la "biosécurité".»
Cette recherche a abouti à la triple recom-
mandation suivante permettantd'éliminer
la plupart desplantes et animaux «embar-
qués»:(1) vérifier vêtementset outillages,
(2) nettoyeret, si possible, laisser tremper
15 minutes les affairesdans l'eauchaude du
robinet (45°) et (3) les laisser sécher.
Aussi sonéquipe a-t-elle élaboré un petit
module de formation en ligne, avec test et
certificat –ouvert àtous,mais plus particu-
lièrementauxchercheurs des sciences envi-
ronnementales –, bientôtdisponiblesur le
site de l'Universitéde Leeds.
D
AVID BROMAN
Le forum scientifique le plus huppé au monde pourla recherche surles espèces invasives
Questionssimples,réponsescomplexes
La conférence Neobiota
2016, qui arassemblé
plus de 250 spécialistes
sur l'état mondialdes
recherches en matière
d'espècesinvasives, s'est
tenueàViandendu 14 au
16 septembre.
Partie,en 2000, d'un petitworkshop de
chercheurs allemands installé àBerlin,la
conférence Neobiota,devenue euro-
péenne puisinternationale, est considé-
rée par la communauté scientifique,se-
lon Ingolf Kühn, professeur au Centre de
recherche environnementalede Helm-
holtzet rédacteur en chef de la revue
scientifique de Neobiota, comme «le fo-
ruminternational au niveau scientifique
le plus élevé au monde en matière d'espè-
cesinvasives.»Et de préciser: «Cela est
d'autant plus nécessaire que lesquestions
lesplus simplesne produisent jamaisde
simplesréponses.»
Cette neuvième édition, avec son «Re-
cueil de résumés» de plusde deux cents
pages, organisée parla Fondation faune-
floreLuxembourg et soutenue notam-
ment par le Fonds national de la recher-
che, a étécoordonnée par Christian Ries,
du Muséenational d'histoirenaturelle
(MNHN).
ENATTENDANT
Le château de
Vianden
domine avec
majestédes
frênes aux
branches
dénudées qui
souffrent de la
chalarose, un
champignon
invasifsans
doutevenu du
Japon via la
Pologne
Photo: DavidBroman