langage savant. Ce qui fait la particularité substantielle du propos, c’est que l’attention portée au
langage est maillée à l’attention portée à l’expérience de travail, c'est-à-dire au travail tel qu’il se fait,
à l’activité de travail. La cible n’est pas le langage, mais le travail. En d’autres termes, ce n’est pas le
« dire » mais le « faire ». Dès lors qu’on essaie de comprendre ce que fait la personne qui travaille, on
ne peut que se mettre à l’écoute de la façon dont elle parle (cette « façon » comprenant ce qu’elle dit et
ce qu’elle ne dit pas, sa manière de dire et de ne pas dire) et de la façon dont elle en parle.
Dans l’effort pour dire l’importance et la fonction du langage au travail, il y a triple implication
subversive à l’égard de ce qui aujourd’hui domine.
1/ Ce qui est dit au travail doit être entendu, très au-delà de la prétendue écoute managériale, mais
aussi contre l’idée fausse que le travail soit « alogal »5. Que certains langages ou que le langage de
certains n’aient pas de statut ne signifie pas qu’il n’y a pas de langage.
2/ Parler de son travail, ou plutôt « parler son travail », le mettre en mots, travailler à le mettre en
mots, entraînent du développement : développement de soi prenant conscience de ce que l’on fait,
développement des situations. L’hypothèse est que si l’on « met des mots » (pas n’importe lesquels,
c’est le problème) sur ce qu’on fait, on peut réinvestir son activité différemment.
3/ Faire cette place au travail entraîne pour la science la pensée d’un rapport entre concept et
expérience que Schwartz appelle de « double anticipation » : l’expérience a besoin du concept pour se
dire (et se penser) et le concept a besoin de l’expérience pour se penser (et se dire).
5 Marejko J., 2001, « Du sens, il n'est pas possible de faire l'économie », in « Travailler est-il (bien) naturel ? Le travail après
la "fin du travail" » , La Revue du Mauss semestrielle, n° 18, deuxième semestre, La Découverte.