Le tilleul de Macon
Sur la place Yvon Paul, au pied de l'église de Macon, localité dépendant de Momignies, à
deux pas de la frontière française, s'étend - on ne songe pas vraiment à dire s'élève - un tilleul
au port pour le moins surprenant : un tronc court, surmonté d'une ramure étalée dont les
frondaisons sont minutieusement taillées pour former trois disques de diamètre dégressif, le
premier d’environ onze mètres, le second réduit de moitié et le troisième se limitant à une
houppe terminale arrondie culminant à sept mètres de haut, l'étage inférieur des branches étant
supporté par un puissant système de poutres de bois... Voilà qui ne manque pas de surprendre
le passant non prévenu, au point de l'attirer à l'ombre des grands bras feuillus. De fait, sous les
branches longues, l'air est plus doux, l'ombre apaisante, au milieu de la place, rissolée de
soleil... Les lecteurs de cette petite chronique penseront alors au vieux tilleul de l'église de
Waha, évoqué dans le numéro précédent : le lointain descendant d'une longue lignée de
tilleuls liés à l'exercice de la justice locale.
Un parasol historique
Ici, à Macon, l'église n'est plus un édifice antique, et on dispose encore des plans levés en
1700 pour remplacer l'église primitive, mais le voisinage de l'arbre et de l'église actuelle, à
nouveau réédifiée au XIXe siècle, perpétue une association maintes fois vérifiées par ailleurs.
Et si le tilleul de Macon n'est pas planté sur une petite butte, mais pour ainsi dire enchâssé
dans une cuve carrée en calcaire, c'est le même souci d'isoler l'arbre comme pour en souligner
le statut singulier qui saute aux yeux. On a donc le très net sentiment que le tilleul de Macon
doit être, lui aussi, chargé de perpétuer la tradition de l'arbre de la justice locale, de l'arbre des
plaids, dont le premier exemplaire de chaque lignée locale a dû être planté au pied du donjon
seigneurial. Ce donjon est souvent l'ancêtre de nos plus vieux clochers, car le seigneur laïc
avait très souvent fini par lui accoler la nef d'une église pour fournir un lieu de culte à ses
gens.
C'est dans cette nef, entourée par l'enclos fortifié du cimetière, que les manants poussent leurs
hardes et chétif cheptel au moindre danger. Mais en temps de paix, c'est le seigneur qui tient à
leur rappeler tailles, corvées et devoirs ! Cette tâche, il la confie au « maire », chargé de faire
respecter le droit et les coutumes, de poursuivre les criminels et par la « semonce », de mettre
la justice en mouvement. Or, de longs siècles durant, les archives le démontrent à foison, c’est
bien sous le tilleul, de port et d’âge sans doute remarquables, que se tiennent les assemblées
des « plaids généraux » au cours desquelles le seigneur réaffirme ses prérogatives : à l’ombre
du donjon, l’enclos de l'église et du cimetière forme une sorte d'esplanade publique pour la
communauté. Ce serait là, au pied de cette tour et sous le cimetière, que sont venus se dresser
maints tilleuls des plaids, tel le Tilleul de Waha déjà évoqué.
Au fil du temps, les manants eux-mêmes en viendront toutefois à former une
« communauté », capable de négocier pied à pied avec le seigneur. Par échevinage interposé,
réuni, jusqu'à la fin de l'Ancien Régime parfois, sous l’arbre des plaids. À partir des XVI-
XVIIe siècles, les manants de la communauté élisent même directement leurs premiers
mandataires, les bourgmestres, chargé de répartir les impôts des propriétaires - asseoir les
tailles des adhérités - et des lourdes charges de guerre.
Couloir stratégique entre le royaume de France et les terres impériales, nos provinces sont en
effet le champ de bataille de l’Europe : c'est lors des assemblées sous le tilleul que les
bourgmestres répartissent les réquisitions militaires, établissent la liste des dégâts causés par