Isatis N°8 ~ 161 ~ 2008
Isatis31 N°8 (2008)
Le genre Rubus L. en Haute-Garonne :
Approche générale et première étape
Par Lionel BELHACENE
Ecole vieille
31450 POUZE
Ce genre comprend ce que nous appelons communément les ronces et les
framboises. Si tout le monde peut facilement distinguer une framboise d’une ronce, il
est pourtant beaucoup plus difficile de pouvoir nommer 2 ronces différentes. Cet
article et ceux qui suivront les prochaines saisons sont justement pour faire
connaître cette flore si commune et botaniquement si complexe qu’est la batologie
(études des ronces). Nous allons voir dans cette première partie, les principes
spécifiques à ce genre, en donner les grandes lignes et commencer notre parcours
initiatique des ronces avec celles qui sont certainement le plus « des espèces »…
Le genre Rubus peut se découper en 3 sous-genres qui sont unanimement
reconnus par l’ensemble des botanistes, mais qui n’ont pas du tout la même
importance en nombre de taxons.
Il y a les framboises avec leurs fruits rouges, recouverts de nombreux poils courts,
c’est le « sous-genre idaeobatus ». Il y a un petit Rubus qui donne des fruits rouges
vifs avec peu de drupéoles (petites boules qui forment le fruit) toutes glabres qui
forme à lui seul le « sous-genre Cylactis ». Et enfin et surtout, il y a le sous-genre des
ronces qui donnent comme fruit ce que nous appelons les mûres et qui se nomme
« sous-genre Rubus ». Nous verrons dans la clé que la distinction de ces ensembles ne
pose pas de problème. L’intérêt botanique du genre se situe au niveau du sous-genre
Rubus.
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Pourquoi les ronces (sous-genre Rubus) sont elles si difficiles à identifier et donc
à nommer et classer ?
Il y a à cela une raison aussi complexe que simple : le concept d’espèce !
Le concept d’espèce classique (celui de Linné) qui veut que les différentes espèces
soient séparées par des barrières rendant leur croisement soit impossible, soit rare et
dans ce cas là stérile, n’est guère transposable pour le sous-genre Rubus. En effet, peu
de ronces se reproduisent exclusivement par voie sexuelle. C’est un peu tout le
problème qui fait débat entre les différents botanistes pour savoir s’il est utile et
sérieux de nommer les diverses ronces ou si elles ne sont que des formes plus ou
moins différentes d’une même espèce linnéenne qui depuis longtemps aurait pu se
nommer : Rubus fruticosus L.
Aujourd’hui, après plus d’un siècle et demi d’études sur ce genre, nous pouvons dire
que la chose a un peu évolué. Pendant longtemps les anciens ont décrit et nommé des
multitudes de ronces uniquement sur des critères morphologiques, ne prenant pas en
compte (ou mal) ce problème de sexualité. Ils ont ainsi créé des centaines de taxons
sur des bases uniquement morphologiques, qui aujourd’hui nous paraissent peu
convaincantes. Depuis plus de 40 ans, quelques botanistes d’Europe centrale ont
repris le flambeau et ont pu montrer qu’il existait différents groupes de ronces suivant
leur reproduction. Nous savons donc, maintenant, que seulement quelques espèces
sont sexuées et peuvent être considérées comme des espèces suivant le concept
linnéen. C’est donc mieux que la seule espèce supposée, et cela permet en plus de
mieux cerner des grands groupes dans le chaos des ronces non sexuées. Ces
nouveaux batologues (personnes qui étudient les ronces) ont ainsi pu mettre en
évidence 3 systèmes de reproductions des ronces :
1, La multiplication végétative : généralement par marcottage pour ce qui
concerne les taxons de Haute-Garonne (mais aussi possible par drageonnage), elle
permet à un pied de se propager souvent sur de courtes distances en produisant des
plantes génétiquement et morphologiquement identiques, des clones.
2, La reproduction sexuée : elle permet un brassage génétique au sein d’un
ensemble bien individualisé, sépa des autres ensembles par des barrières de
fécondité.
3, L’apomixie : Ce sont des ronces fertiles qui ne pratiquent pas la fécondation
croisée, mais arrivent à une production de graines fiables grâce au seul concours des
cellules de la plante mère. Il n’y a donc pas de brassage génétique, mais ces plantes
se multiplient facilement et peuvent se propager assez loin de la plante mère grâce à
la propagation de leurs graines par les animaux.
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Si nous brassons ces modes de multiplications, si nous ajoutons à cela une certaine
hybridation entre les espèces sexuées et que nous constatons que les espèces
apomictiques peuvent aussi se croiser entre elles ou avec les espèces sexuées, nous
pouvons définir 3 groupes fonctionnels de ronces.
1, Les espèces sexuées : Elles sont, pour le sous-genre Rubus, au nombre de 4
en France ainsi que dans notre département. Il s’agit de Rubus ulmifolius Schott,
Rubus incanescens Bertol., Rubus canescens DC. et Rubus caesius L. Notons que R.
idaeus et R. saxatilis des 2 autres sous-genres sont aussi des espèces sexuées.
2, Les hybrides : ce sont des entités stériles hybrides des espèces sexuées. Elles
ne peuvent pas produire de graines fiables et sont donc souvent facilement
reconnaissables. Et de plus assez peu nombreuses.
3, Les « espèces » apomictiques facultatives : Il s’agit de toutes ces entités qui
utilisent l’apomixie de façon plus ou moins constante pour se multiplier. Elles sont
souvent considérées comme des variétés de faible valeur taxinomique par beaucoup
de botanistes. C’est leur étude qui fait de la batologie ce qu’elle est : une affaire de
spécialistes. Dans ce groupe, les batologues distinguent 3 sous-groupes d’importance.
A, Les entités dont l’aire de répartition s’étend sur plus de 50 km entre
les stations les plus éloignées (un peu moins si la biomasse est très importante à
l’intérieur de l’aire de répartition). Ces entités sont considérées comme des espèces
(non au sens de Linné) et sont nommées par un binôme classique. Elles sont de
l’ordre de 300-400 pour la France et pourraient représenter plus de 50 à 100 espèces
minimum pour la Haute-Garonne.
B, Les entités beaucoup plus restreintes dans l’espace. On les appelle des
« biotypes ». Elles ne sont présentes que par un bosquet, avec parfois des clones
(multiplication végétative) à proximité. Elles peuvent être très présentes dans un
massif boisé mais ne se retrouveront pas à plus de 50 km de distance. Elles ne
méritent pas d’être nommées. Ces biotypes seraient plus de 100 000 en France. Il est
donc évident qu’il est impossible de tous les étudier et les nommer comme des
espèces. Notons que des milliers de ces biotypes ont déjà été nommés par d’anciens
botanistes comme Sudre. Ces taxons embrouillent considérablement la nomenclature
des Rubus. Il faudra donc aussi faire le tri entre les taxons à garder et les taxons à
rejeter.
C, Enfin il y a aussi des entités qui sont non stabilisées mais qui forment
des groupes morphologiquement assez bien définis. Nous pourrons ainsi nommer
Rubus hirtus aggr. par exemple.
Voilà un peu pourquoi le genre Rubus est si licat. Les trois grandes interprétations
possibles de ce genre sont justifiables et en même temps non convaincantes à cent
pour cent. Dois-je ne retenir que les 6 espèces sexuées et fermer les yeux sur toutes
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les formes de Rubus que nous pouvons rentrer ? Dois-je au contraire essayer de
nommer le maximum de taxons (en restant dans ce qui est raisonnable avec les gles
de limites fixées par les batologues modernes) ? Ou enfin, faut-il regrouper ces
micro-espèces dans des taxons plus généraux que l’on sait n’être que des écomorphes
non homogènes ? (c’est cette option qui est la plus répandue aujourd’hui dans nos
vieilles flores françaises suite aux nombreux travaux de Sudre et d’autres). Et suivant
l’option choisie, quel découpage en sections ou groupes dois-je utiliser ?
Quelle option choisir ? Pour quelle finalité ?
Vu l’état des connaissances, il me parait intéressant de pouvoir reconnaître, identifier,
classer et cartographier au moins les espèces diploïdes sexuées (celles que tout
botaniste est en mesure de considérer comme de vraies espèces) ainsi que les 2
grands groupes plutôt « homogènes » d’origine hybridogène issus de ces espèces, qui
sont :
La « section Corylifolii » : qui est constituée des ronces dont la parenté avec R.
caesius est très marquée.
Et la « section Rubus » (sans les 3 espèces sexuées généralement comprises dans
cette section : R. ulmifolius, R. canescens et R. incanescens) : qui est plutôt constituée
des autres ronces à influences fortes de la part des autres espèces sexuées.
Nous arrivons donc à dégager 6 espèces (linnéennes) et 2 groupes assez distincts
aussi bien morphologiquement que de par leurs descendances.
Cette option semble être un bon pas en avant pour que tous les botanistes
commencent à regarder les ronces de plus près. Ils n’auront en effet plus aucune
excuse par rapport à la légitimité de la notion d’espèce. C’est aussi cette option que
nous avons décidé de prendre pour l’atlas des plantes vasculaires de la Haute-
Garonne. En effet, les botanistes d’Isatis31 pourront eux aussi appréhender ce genre
en se familiarisant avec ces entités bien définies (mais certes très disparates). Nous
proposons donc à la fin de cet article, une clé de ces 6 espèces et 2 sections qui pourra
être utilie par tous les botanistes.
Ensuite, pour ce qui est de l’étude des taxons apomictiques des sections Corylifolii et
Rubus, je pense qu’il serait bon de travailler sur le long terme pour apprendre à
reconnaître un peu mieux cette flore qui échappe souvent à toute connaissance et à
tout classement sérieux. On peut penser aux vues des différentes expériences déjà
vécues, que presque 60-80% des « espèces apomictiques » du sud de la France
doivent être nouvelles pour la science et à décrire. Il faudra donc récolter les Rubus
rencontrés. Les prochaines années, pour ceux qui auront le courage de se lancer dans
l’aventure, seront donc pour récolter les différentes entités de Rubus présentes en
Haute-Garonne, les décrire avec les nouvelles méthodes, les comparer, les classer et
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peut-être un jour les nommer. Un grand nombre de taxons ont déjà été recensés et
succinctement décrits par les anciens. Peut-être est-il possible de partir de ces travaux
pour commencer cette étude ? Il est en effet tout à fait imaginable de repartir sur les
traces de ronces qui ont été décrites par Sudre par exemple pour essayer de les
retrouver, de voir leur aire de répartition et ensuite de les décrire de façon utilisable
par la batologie moderne. Nous pourrons assez vite (plusieurs années quand même)
étoffer l’inventaire des ronces de Haute-Garonne et du sud-ouest de la France ainsi
que les connaissances rubologiques en général.
Pour ce faire, il faut impérativement se conformer à ce qui se fait déjà dans les autres
pays (bien en avance sur nous) comme l’Allemagne, l’Angleterre ou encore les pays
de l’Est de l’Europe. Il existe aujourd’hui une sorte de cahier des charges du bon
batologue amateur.
Comment récolter et décrire les Rubus ?
Tout commence par une bonne récolte sur le terrain.
Tout d’abord, s’assurer que les divers éléments récoltés appartiennent bien à la même
plante. Pour cela, il faut impérativement les prélever sur le même pied. En partant
d’une souche définie (parfois difficile à bien cerner dans un roncier), nous allons
repérer les tiges de l’année qui sont généralement végétatives (que nous appelons
« turions ») et les tiges d’au moins un an qui développent des rameaux secondaires
axillaires qui eux sont fertiles et florifères. Pour le turion il faut prélever une portion
de la partie médiane de cette tige avec environ 8 cm de turion et une feuille bien
développée. Attention, il est important de ne prélever que des spécimens qui croissent
dans un milieu suffisamment lumineux pour être bien développés. Les morphes
d’ombre sont trop souvent légèrement différents et pourraient entrainer des
descriptions erronées. Il est aussi conseillé d’en prélever 2 exemplaires : un pour
garder en référence dans un herbier et l’autre, le cas échéant pour pouvoir le partager
avec les batologues aguerris qui pourront travailler dessus. Ensuite, il faut aussi
récolter une (ou deux) inflorescences complètes, si possible dans une période l’on
puisse trouver en même temps des fleurs épanouies et des fruits en formation ou déjà
bien formés. En effet, nous aurons besoin de tous ces éléments pour décrire de façon
honnête la plante.
Une fois cette récolte effectuée, et avant la mise en herbier, il faut commencer à noter
quelques éléments qui pourraient changer ou ne plus être observables après séchage.
Voici la liste des critères à relever :
1, Sur le turion :
Le port : entièrement dressé, arqué et vers quelle hauteur, couché ou rampant.
Le diamètre et la forme de la section : à face planes, convexes ou concaves,
anguleuse, sillonnée
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