Citations politiques expliquées

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Éric Keslassy
Citations politiques
expliquées
© Groupe Eyrolles, 2012
ISBN : 978-2-212-55374-1
Partie I
© Groupe Eyrolles
La France
de la IIIe et de
la IVe République
La République sera conservatrice
ou elle ne sera pas
Déplacée à Bordeaux à la suite de la défaite face à la Prusse, l’Assemblée nationale fait d’Adolphe Thiers le chef du pouvoir exécutif de la
République française le 17 février 1871. Il se charge de finaliser la fin de la
guerre avec Bismarck (traité de Francfort du 10 mai 1871) et de réprimer
dans le sang l’insurrection des Parisiens qui proclame la Commune. Le
31 août 1871, Thiers obtient le titre de président de la République qui, à
ce moment-là, lui permet de cumuler les fonctions de chef de l’État et
chef du gouvernement. Mais la nature du régime et son organisation
ne sont pas encore déterminées. La situation politique est complexe car
aucune majorité claire ne se dégage. Les monarchistes, majoritaires,
sont divisés en deux branches : contre-révolutionnaires, les légitimistes
espèrent le retour d’une monarchie de droit de divin avec le comte de
Chambord (petit-fils de Charles X) et se déclarent favorables au retour au
drapeau blanc ; favorables à une monarchie parlementaire, les orléanistes
souhaitent le maintien du drapeau tricolore. Les républicains constituent
la troisième force politique. Intransigeants sur la question de la couleur
du drapeau, les légitimistes et les orléanistes ne parviennent pas à s’entendre durablement. Dès lors, le mouvement vers la République paraît
irréversible : les Français s’y habituent et le président de la République luimême semble s’y résoudre. Le 13 novembre 1872, Adolphe Thiers délivre
le message suivant à l’Assemblée nationale : « La République existe, elle
est le gouvernement légal du pays. Vouloir autre chose serait une nouvelle
révolution et la plus redoutable de toutes. » Et de préciser : « La République
sera conservatrice ou elle ne le sera pas. » Au fond, Thiers n’est pas attaché
à la forme des institutions dès lors qu’elles ne mettent pas en danger
les propriétaires. Une fois les dernières troupes allemandes évacuées, les
monarchistes décident cependant de se séparer du « républicain » Thiers
et provoquent sa démission le 24 mai 1873. Pourtant, c’est bien lui qui
avait raison : la République est en place ! Jusqu’en 1940…
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Adolphe Thiers, 13 novembre 1872
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Le cléricalisme ? Voilà l’ennemi
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Par son inlassable activité aux quatre coins du pays, Léon Gambetta
contribue à faire accepter la République aux Français. Mais toutes les
composantes de la société ne sont pas encore prêtes à s’y résoudre.
Aussi, le 13 décembre 1876, lorsque le président de la République, Patrice
de Mac-Mahon, nomme Jules Simon président du Conseil, celui qui se
déclare « profondément républicain » est l’objet d’une violente campagne
cléricale de la part de députés monarchistes et de l’ultramontanisme
(des religieux qui prennent leurs ordres au Vatican). Une affaire étrangère va provoquer une crise parlementaire : en mars 1877, le gouvernement italien prend des mesures contre le pape Pie IX qui renforcent
le mythe d’un « Saint-Père » prisonnier du royaume italien. L’Église
catholique presse les autorités françaises d’intervenir militairement
pour « libérer » le pape, notamment par le biais d’une pétition envoyée,
entre autres, au président Mac-Mahon. Les monarchistes appuient
cette demande avec l’objectif de déstabiliser le régime et de mettre un
terme à la République. Le 4 mai 1877, la Chambre des députés s’empare
du débat. Léon Gambetta, qui trouve que Jules Simon n’est pas assez
ferme, prononce un discours enflammé dans lequel il dénonce les positions ultramontaines. Il termine en considérant « traduire les sentiments
intimes du peuple de France » lorsqu’il cite son ami Alphonse Peyrat : « Le
cléricalisme ? Voilà l’ennemi. » Jugé trop modéré par les républicains,
Jules Simon est poussé à la démission le 16 mai 1877. Le 20, le président
Mac-Mahon doit dissoudre la Chambre des députés lorsque les républicains s’unissent et publient le manifeste des 363. De nouvelles élections
sont organisées. Durant la campagne, le pouvoir se montre menaçant.
Mac-Mahon s’adresse aux troupes le 1er juillet 1877 : « Soldats… vous
comprenez vos devoirs, vous sentez que le pays vous a remis la garde de ses
plus chers intérêts… ! » Le 15 août, à Lille, Gambetta lui répond : « Quand
la France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-le bien messieurs,
il faudra se soumettre ou se démettre. » Des paroles qui auront un fort
retentissement… En octobre 1877, l’Union républicaine remporte les
élections.
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Léon Gambetta, 4 mai 1877
Il faut dire ouvertement
qu’en effet les races supérieures
ont un droit vis-à-vis des races
inférieures…
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Jules Ferry, 28 juillet 1885
La colonisation entreprise sous les régimes monarchiques à partir du
XVIe siècle – principalement en Amérique, aux Antilles et aux Indes –
s’interrompt à la fin du XVIIIe siècle avec la Révolution. Elle reprend sous la
monarchie de Juillet (conquête d’Algérie en 1830) et sous le Second Empire
(en direction de l’Afrique, de l’Asie et du Pacifique). La IIIe République
poursuit avec vigueur la formation d’un puissant empire colonial français.
Les motivations sont diverses. Il y a d’abord l’argument économique : les
colonies offrent des matières premières à bas prix et ouvrent de nouveaux
débouchés. On connaît la formule prêtée à Jules Ferry : « La politique
coloniale est fille de la politique industrielle. » Les causes politiques et
stratégiques sont également très importantes : la détention d’un empire
est un facteur de puissance. Outre le prestige de posséder un vaste territoire, cela permet d’accroître ses zones d’influence – à travers des points
d’appui pour la flotte et la capacité à mobiliser des soldats supplémentaires. Enfin, les colonialistes mettent en avant un argument moral :
la mission civilisatrice de la France. Président du Conseil des ministres
(septembre 1880-novembre 1881 et février 1883-mars 1885), Jules Ferry
se montre un promoteur actif de l’expansion coloniale – s’investissant
particulièrement dans l’occupation du Tonkin (partie nord du Vietnam), il
gagne le surnom de « Ferry le Tonkinois ». Le 28 juillet 1885, quelques mois
après avoir été renversé, il prononce un discours visant à « condenser » les
« mobiles » de la colonisation. En s’adressant à la Chambre des députés,
Ferry s’enflamme : « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut
dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des
races inférieures… » Interrompu à de multiples reprises, il reprend : « Je
répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir
pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures… » Des paroles
prononcées par un républicain au pays des droits de l’homme !
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Toute société qui prétend assurer
aux hommes la liberté doit commencer
par leur garantir l’existence
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Avec Jean Jaurès, Léon Blum (1872-1950) est l’une des deux grandes figures
du socialisme réformiste français. En 1901, il écrit Nouvelles Conversations
de Goethe avec Eckermann (réédité en 1937 par Gallimard). Ce livre contient
cette citation qui paraît illustrer la vie politique de Blum : « Toute société
qui prétend assurer aux hommes la liberté doit commencer par leur garantir
l’existence. » Partisan de l’unité socialiste de 1905, il regrette la scission
communiste de 1920. Blum redresse alors la « vielle maison » qu’est la
SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière). Face à la crise économique et politique des années 1930, il participe au rassemblement de la
gauche de 1935. En effet, en dépit de leurs réticences réciproques, la SFIO,
le PCF et le Parti radical socialiste forment le Front populaire qui présente
un programme économique social volontariste – sans être « révolutionnaire ». À l’instar du New Deal de Roosevelt, le Front populaire souhaite
mettre en place une politique de relance de la demande en agissant sur
la consommation. La réduction du temps de travail de quarante-huit à
quarante heures sans réduction de salaire hebdomadaire, un « plan de
grands travaux d’utilité publique », la création d’un « fonds national de
chômage » et d’un régime de retraite pour les travailleurs âgés sont ainsi
envisagés. La large victoire aux élections législatives des 26 avril et 3 mai
1936 – qui fait de la SFIO la première force politique – porte Léon Blum à
la présidence du Conseil à partir du 4 juin. Afin de faire cesser les grèves
ouvrières qui paralysent l’économie depuis la fin du mois de mai, il fait
signer l’accord de Matignon (7 juin) par les syndicats et le patronat qui
permettent une augmentation des salaires de 12 % en moyenne. Blum
fait également rapidement voter deux lois : la baisse du temps de travail
promise et l’instauration de deux semaines de congés payés (idée absente
du programme du Front populaire). Les difficultés économiques ont finalement raison de son gouvernement en juin 1937. En un peu plus d’un an
au pouvoir, Léon Blum aura changé la vie des Français…
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Léon Blum, 1901
Si l’Église ne peut se passer
des subsides de l’État, c’est que,
je le répète, l’Église est déjà morte
Depuis la fin du XIXe siècle, de nombreuses lois et décrets ont accéléré
la laïcisation de la société française. Deux exemples sont particulièrement significatifs : les lois de Jules Ferry permettent de soustraire
l’enseignement supérieur (en 1880) et scolaire (1881-1882) de la tutelle
de l’Église ; la loi relative au contrat d’association (1901), que fait adopter Pierre Waldeck-Rousseau, contraint les congrégations religieuses à
demander des autorisations… qui ne sont jamais accordées. L’affaire
Dreyfus a également ravivé l’opposition : la plupart des républicains
sont dreyfusards quand la hiérarchie catholique, cherchant notamment
à déstabiliser la République, est clairement anti-dreyfusarde. Dès lors,
la tension est très vive entre le pouvoir républicain et l’Église catholique. La France apparaît divisée et il devient urgent d’agir. En juin 1903,
la Chambre des députés met en place une commission – dont Aristide
Briand est rapporteur – afin de statuer sur la séparation du culte et de
l’État. La réflexion aboutit sur la nécessité d’une loi de conciliation. En
parallèle, les relations diplomatiques entre la France et le Vatican sont
rompues en 1904, ce qui rend la question encore plus cruciale puisque
cela abolit de facto le Concordat. Le 3 juillet 1905, rapporteur de la loi qui
s’inspire grandement des travaux de « sa » commission, Aristide Briand
conclut les débats et explique combien le texte est équilibré : la laïcité
suppose la séparation « complète et loyale » des Églises et de l’État, mais
cette « neutralité religieuse » s’accompagne de la liberté de conscience
et de la garantie, pour chacun, d’exercer librement son culte. Un député
lui aurait rétorqué : « Vous prétendez accorder la liberté à l’Église et vous
lui enlevez le budget des cultes ! » Briand reprend alors une idée déjà
défendue quelques secondes auparavant : « Si l’Église ne peut se passer
des subsides de l’État, c’est que, je le répète, l’Église est déjà morte. » La
loi concernant la séparation des Églises et de l’État est promulguée le
9 décembre 1905…
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Aristide Briand, 3 juillet 1905
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Je suis le premier flic de France
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Georges Clemenceau est l’un des hommes politiques les plus importants de la IIIe République. Pourtant, il doit attendre l’âge de 64 ans pour
accéder à sa première responsabilité ministérielle : en 1906, il devient
ministre de l’Intérieur. Mais depuis plus de trente ans, il se consacre
aux affaires de la cité : après une carrière municipale à Paris, il porte
la tradition radicale au Parlement. Républicain et laïque, mais aussi
anticolonialiste et soutien de l’amnistie des communards, il se trouve
dans l’opposition au sein d’un système institutionnel qu’il dénonce
(à travers son hostilité pour les lois constitutionnelles de 1875). De ces
années, Clemenceau récolte un surnom à cause de la dureté des jugements portés sur ses collègues : « le Tigre ». Il aurait eu cette formule
savoureuse : « En politique, on succède à des imbéciles et on est remplacé
par des incapables. » Ses biographes racontent la façon dont il a obtenu
son premier poste de ministre : chargé de constituer le nouveau
gouvernement en mars 1906, Ferdinand Sarrien convoque Clemenceau
pour consultation ; alors qu’il lui demande son choix de boisson, « que
prendrez-vous ? » la réponse est : « L’Intérieur ! » En tant que ministre de
l’Intérieur, il se montre à la hauteur de son surnom et fait preuve de
poigne. Le 10 mars 1906, un coup de grisou provoque la mort de plus
de mille mineurs dans le Pas-de-Calais. Ce drame met en lumière la
misère et les conditions de travail dangereuses des « gueules noires »
qui décident de se mettre en grève. Le 17 mars, Clemenceau se rend
sur place et reconnaît le droit des grévistes tout en rappelant que la loi
doit être respectée. Mais, excédés, les mineurs ne tiennent pas compte
de l’avertissement : ils empêchent les non-grévistes de travailler et
s’en prennent aux forces de l’ordre. Dès lors, le responsable de l’ordre
public se montre très ferme et se résout à envoyer l’armée. Face aux
débordements des grévistes, qui se multiplient en 1906 – et les années
suivantes –, Clemenceau se présente comme le « premier flic de France ».
Devenu président du Conseil le 25 octobre 1906, le « briseur de grève »
garde l’Intérieur et, en 1907, créé les premières brigades mobiles de la
police, « les brigades du Tigre ».
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Georges Clemenceau, 1906
Chaque peuple paraît à travers
les rues de l’Europe avec sa petite
torche à la main et maintenant
voilà l’incendie
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Jean Jaurès, 25 juillet 1914
Depuis la fin du XIXe siècle, l’Europe paraît se préparer à la guerre. Les
visées impérialistes – perceptibles à travers la colonisation –, le système
des alliances (la Triple-Entente – France, Russie, Royaume-Uni – fait
face à la Triple-Alliance – Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie), les fortes
rivalités économiques, la montée des nationalismes, les volontés
d’expansion territoriale intra-européenne sont autant de facteurs qui
se traduisent par une vive tension. Un attentat va servir de catalyseur :
le 28 juin 1914, à Sarajevo, un nationaliste serbe assassine l’archiduc
François-Ferdinand – héritier de l’Empire austro-hongrois. Après s’être
assuré du soutien allemand, l’Autriche-Hongrie donne trois jours à
la Serbie, à partir du 23 juillet, pour se plier à une série de conditions
extrêmement dures – dont la clause inacceptable de laisser les autorités austro-hongroises enquêter sur le territoire serbe. Et l’on sait que la
Russie ne pourra laisser un tel « diktat » impuni. Or, si la Russie entre
dans un conflit, elle réclamera l’aide de la France, etc. La guerre est
proche ! C’est dans ce lourd contexte que Jean Jaurès continue de se
battre pour la paix. Le 25 juillet, à Lyon, pour soutenir la candidature à
la députation de Marius Moutet, il évoque pourtant ce qui ne cesse de
l’obséder depuis de nombreuses années : « Je veux vous dire ce soir (…)
que jamais depuis quarante ans l’Europe n’a été dans une situation plus
menaçante et plus tragique que celle où nous sommes à l’heure où j’ai la
responsabilité de vous adresser la parole. » Après avoir dressé le sombre
tableau géopolitique du moment, Jaurès ajoute : « Chaque peuple paraît
à travers les rues de l’Europe avec sa petite torche à la main et maintenant
voilà l’incendie. » Devenu l’ennemi des nationalistes, Jaurès est assassiné cinq jours plus tard dans le café du Croissant, à Paris. Le 3 août,
l’Allemagne déclare la guerre à la France…
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Il faut que quelqu’un reste garder
la vieille maison
Citations politiques expliquées
Grand rédacteur du programme de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) pour les élections législatives de 1919, Léon Blum
est déjà un homme influent. Député de Paris, il devient une figure
essentielle du socialisme français en refusant catégoriquement que
son parti adhère à la IIIe Internationale. Les partis membres de la IIe
Internationale, comme la SFIO, sont en effet « invités » à accepter vingt
et une conditions pour être admis dans la « nouvelle » Internationale
communiste – appelée aussi Kominterm ou IIIe Internationale – lancée
sous l’impulsion de Lénine. Certaines clauses sont particulièrement
contraignantes : la 16e oblige à suivre toutes les décisions prises par
les congrès de l’Internationale communiste – ce qui retire toute autonomie politique au parti adhérent ; la 17e impose un changement de
nom (« Tout parti désireux d’adhérer à l’Internationale communiste doit
s’intituler Parti communiste de… ») et une ligne politique radicale (il
faut notamment mener une guerre civile « sans merci au vieux monde
bourgeois »). Les « conditions de Moscou » sont inacceptables pour Léon
Blum qui souhaite le maintien de la SFIO dans la IIe Internationale. Lors
du Congrès de Tours qui se déroule du 25 au 30 décembre 1920, Blum
monte à la tribune : « Nous sommes convaincus, jusqu’au fond de nousmêmes, que, pendant que vous irez courir l’aventure, il faut que quelqu’un
reste garder la vieille maison. Nous sommes convaincus qu’en ce moment
il y a une question plus pressante que de savoir si le socialisme sera uni
ou ne le sera pas. C’est la question de savoir si le socialisme sera, ou s’il
ne sera pas. » À la suite de ce discours, la cohabitation au sein d’une
même structure partisane des deux courants de gauche ne paraît plus
possible. La scission devient inévitable : la majorité communiste crée la
Section française de l’Internationale communiste (SFIC) – qui s’appellera très vite Parti communiste français ; la minorité socialiste garde la
« vieille maison »…
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Léon Blum, 27 décembre 1920
Arrière les fusils, les mitrailleuses,
les canons ! Place à la conciliation,
à l’arbitrage, à la paix !
Aristide Briand est l’une des personnalités politiques les plus importantes de la IIIe République. Président du Conseil à de nombreuses
reprises entre 1909 et 1929 (onze fois), il joue un rôle essentiel dans les
relations diplomatiques françaises du premier tiers du XXe siècle. Connu
pour être un homme de paix, son parcours est bien plus complexe :
durant la Première Guerre mondiale, il dirige la France lors de la bataille
de Verdun et montre sa détermination à emporter la victoire. Après la
signature du traité de Versailles (28 juin 1919), il menace l’Allemagne
lorsqu’elle se montre incapable de payer les réparations. Mais, rapidement, Briand opte finalement pour une politique de réconciliation qui,
incomprise par sa majorité, l’oblige à démissionner en 1922. Délégué de
la France à la SDN (Société des Nations), la sécurité collective lui paraît
la meilleure méthode pour renforcer la paix. Revenu au Quai d’Orsay en
1925, ses idées trouvent une première application avec la signature des
accords de Locarno (16 octobre 1925) qui mettent notamment en place
un « pacte de stabilité » (respect des frontières et assistance mutuelle)
entre la France, l’Allemagne (représentée par Gustav Stresemann), la
Belgique, la Grande-Bretagne et l’Italie. Briand milite ensuite pour
l’entrée de l’Allemagne à la SDN qui est effective le 10 septembre 1926.
À cette occasion, à Genève, il prononce son discours le plus célèbre :
« Messieurs, la paix, pour l’Allemagne et pour la France, cela veut dire :
c’est fini de la série des rencontres douloureuses et sanglantes dont toutes
les pages de l’Histoire sont tachées ; (…) plus de guerre, plus de solutions
brutales et sanglantes à nos différends ! (…) Arrière les fusils, les mitrailleuses, les canons ! Place à la conciliation, à l’arbitrage, à la paix ! » Prix
Nobel de la paix en 1926, avec Stresemann, Briand continue ensuite
d’être un inlassable défenseur du rapprochement avec l’Allemagne. Le
déclenchement de la Seconde Guerre mondiale le fait passer pour un
doux rêveur au pacifisme inconséquent. En réalité, il avait raison avant
tout le monde…
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Aristide Briand, 10 septembre 1926
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Il faut savoir terminer une grève
dès que satisfaction a été obtenue
Citations politiques expliquées
Moins grave qu’ailleurs, la crise économique qu’affronte la France dans
les années 1930 ne représente pas l’explication majeure de l’explosion
sociale de 1936. Le chômage est contenu – à 8,6 % des salariés en
mars 1936 – et le recul du pouvoir d’achat est globalement limité (les
prix baissent plus vite que les revenus en raison d’une politique de
déflation résolue). L’ampleur des grèves ouvrières de 1936 s’explique
davantage par l’utilisation du taylorisme dans les usines. En quête
de gains de productivité, les industriels – comme Renault – systématisent le travail à la chaîne et exigent une organisation scientifique du
travail (OST). Les cadences imposées par cette rationalisation du travail
permettent de saisir pourquoi des arrêts de travail isolés initialement
(le 11 mai au Havre et le 13 mai à Toulouse) aboutissent à une vague
de grèves qui submerge les usines d’aviation et d’automobile de la
région parisienne. Et alors que l’on croit la reprise du travail proche à la
fin du mois de mai – des négociations sont entamées sous l’égide du
ministère du Travail –, le mouvement social redémarre plus vivement
encore et gagne la province. Tandis que le Front populaire remporte les
élections et que Léon Blum devient président du Conseil le 4 juin 1936,
ce sont toujours plus d’usines qui sont occupées à travers la France.
Une spécificité nouvelle de ces grèves réside en effet dans l’une de ses
modalités : l’occupation d’usines. Les ouvriers s’offrent ainsi une parenthèse – qui, par définition, ne peut être révolutionnaire – se révélant
très souvent festive. Les grévistes sont joyeux. En dépit de la signature
des accords de Matignon du 7 juin, au cours desquels les patrons « ont
cédé sur tout », les grèves s’étendent et se durcissent. De nouvelles
revendications apparaissent – comme le paiement des jours de grève.
Le 11 juin, Maurice Thorez, le secrétaire général du Parti communiste
français, déclare : « Il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction
a été obtenue. » Une intervention décisive pour expliquer la reprise du
travail. Aujourd’hui, cette phrase est souvent citée même si l’on en
oublie (volontairement ?) la seconde partie…
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Maurice Thorez, 11 juin 1936
Ah les cons ! S’ils savaient !
En 1938, Adolf Hitler se montre de plus en plus pressant au sujet d’une
petite région de Tchécoslovaquie, les Sudètes, qui contient une majorité d’Allemands – dont une bonne partie demande le rattachement à
l’Allemagne. Invoquant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes,
le chancelier allemand annonce qu’il l’annexera le 1er octobre, sachant
pertinemment que cela équivaut à une déclaration de guerre avec la
France et la Grande-Bretagne. Même s’ils sont loin d’être prêts à entrer
dans un conflit qui ne manquerait pas d’embraser toute l’Europe,
il serait bien difficile aux alliés de la Tchécoslovaquie de laisser faire.
La guerre est imminente… Peu favorable à cette perspective, Benito
Mussolini propose une rencontre de la dernière chance : la conférence
est organisée à Munich le 29 septembre sans le président tchécoslovaque. Le président du Conseil français, Édouard Daladier, tente
jusqu’au dernier moment de convaincre le Premier ministre britannique, Neville Chamberlain, de ne pas jouer l’apaisement. Ce dernier
se montre inflexible. Comme la France n’a pas les moyens d’entrer
en guerre sans la Grande-Bretagne, un accord est signé dans la nuit,
le 30 septembre, qui se traduit par l’abandon des Sudètes contre de
nouvelles promesses de paix bien vagues de la part de Hitler. Lorsqu’il
rentre en France, Daladier pense être accueilli par des huées. À sa grande
surprise, au Bourget, il est vivement acclamé car le pays est soulagé
d’être encore en paix. Plus tard, dans ses Mémoires, il écrira : « Je m’attendais à recevoir des tomates et j’ai reçu des fleurs. » Sur le moment,
Daladier aurait dit : « Ah les cons ! S’ils savaient ! » – la seconde partie de
l’exclamation n’est toutefois pas attestée. Le président du Conseil est
en effet bien conscient qu’il s’agit d’une « défaite sans avoir la guerre »
(pour reprendre l’expression de Winston Churchill). Une défaite qui ne
peut qu’en annoncer d’autres. De fait, le 1er septembre 1939, l’Allemagne
entre en Pologne et déclenche ainsi la Seconde Guerre mondiale. Dans
la mémoire collective, un « munichois » est désormais celui qui croit
pouvoir négocier avec un dictateur…
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Édouard Daladier, 30 septembre 1938
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J’entre aujourd’hui dans la voie
de la collaboration
Philippe Pétain, 30 octobre 1940
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Citations politiques expliquées
La défaite face à l’Allemagne acceptée, le maréchal Pétain est appelé à la
présidence du Conseil le 16 juin 1940. Le « héros de Verdun » paraît alors
le mieux placé pour défendre ce qu’il reste des intérêts de la France.
Demandé le jour de son intronisation, l’armistice est signé dès le 22 juin.
À Vichy, le 10 juillet 1940, Pétain obtient les pleins pouvoirs de la part
du Parlement. Le 11 octobre, une allocution radiophonique lui permet
d’exposer aux Français les contours de la « révolution nationale » qu’il
espère mettre en place. Sur le plan intérieur, cela suppose de rendre
concret le triptyque « Travail, Famille, Patrie ». La valeur travail est exaltée, une vision traditionnelle de la famille est consacrée et les « mauvais
Français » sont désignés (comme les francs-maçons et les juifs). Sur le
plan de la politique extérieure, Pétain s’autorise un changement d’attitude vis-à-vis de l’Allemagne. Et le 24 octobre, il rencontre Adolf Hitler à
Montoire. Cette entrevue suscite néanmoins une certaine émotion dans
le pays et rend nécessaire un second message radiophonique délivré le
30 octobre. Pétain explique n’avoir subi aucun « diktat » pour répondre
à « l’invitation du Fürher » qui « marque le premier redressement » de
la France. « C’est dans l’honneur et pour maintenir l’unité française, une
unité de dix siècles dans le cadre d’une activité constructive du nouvel
ordre européen, que j’entre aujourd’hui dans la voie de la collaboration. »
Même s’il présente ce choix comme le moyen de conserver à la France
sa place dans une Europe en pleine reconstruction, Pétain souhaite
surtout pouvoir mener à bien son projet de « révolution nationale ». La
fin de son allocution sera souvent utilisée par ceux qui pensent n’avoir
fait que leur devoir en obéissant aux ordres : « Cette politique est la
mienne. Les ministres ne sont responsables que devant moi. C’est moi seul
que l’histoire jugera. Je vous ai tenu jusqu’ici le langage d’un père. Je vous
tiens aujourd’hui le langage du chef. »
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Sans l’Empire, la France ne
serait qu’un pays libéré. Grâce à
son Empire, la France est un pays
vainqueur
Gaston Monnerville, 25 mai 1945
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Au cours des deux conflits mondiaux, l’armée française a reçu le précieux
renfort de ses « troupes coloniales ». Particulièrement exposés, les
tirailleurs sénégalais qui couvrent la retraite lors de la débâcle de 1940
sont littéralement décimés. Si une grande partie des colonies reste sous
l’autorité de la France de Vichy après l’appel du 18 juin 1940, quelques
territoires choisissent de suivre le général de Gaulle : les comptoirs de
l’Inde, les Nouvelles-Hébrides, Tahiti et la Nouvelle-Calédonie. Puis, très
rapidement, l’Afrique équatoriale se rallie à la « France libre », offrant
ainsi une attache africaine stratégiquement cruciale aux Forces françaises libres (FFL). À partir de 1942, les soldats coloniaux font preuve
d’une grande détermination et jouent un rôle important dans la libération de la France. Ancien député de Guyane et sous-secrétaire d’État aux
colonies, courageux dénonciateur des lois discriminatoires de Vichy et
résistant de la première heure, Gaston Monnerville ne manque pas de
le souligner devant l’Assemblée consultative provisoire, le 12 mai 1945,
lorsqu’on le charge de célébrer la victoire des Alliés au nom de l’Union
française : « Sans l’Empire, la France ne serait qu’un pays libéré. Grâce à
son Empire, la France est un pays vainqueur. » Avec d’autres, Monnerville
définit ensuite le cadre constitutionnel permettant à toutes les populations d’Outre-Mer d’êtres représentées au Parlement. Il préside ensuite
la Chambre haute de 1947 à 1968. Ainsi, un Noir a été le deuxième personnage de l’État français. Difficile de le croire aujourd’hui, lorsqu’on jette
un regard sur notre Parlement monochrome !
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Gouverner, c’est choisir
Citations politiques expliquées
Compte tenu de la forte empreinte laissée par Pierre Mendès France
sur le champ politique et, plus généralement, sur les Français, on pourrait croire à une longue carrière à la tête de l’État. Or, « PMF » devient
président du Conseil le 18 juin 1854 et démissionne le 5 février 1955, ce
qui représente seulement sept mois et demi comme chef du gouvernement. Période courte qui représente néanmoins un moment fort de
l’histoire de la IVe République puisque les accords de Genève du 21 juillet
1954 achèvent la guerre d’Indochine (qui avait débuté en 1946) et que la
Constitution est révisée pour mettre un terme à la double investiture
du président du Conseil qui occasionnait des tractations politiques peu
reluisantes. On distingue ici deux traits importants de l’action politique de Mendès France : l’anticolonialisme et la volonté de ne pas se
compromettre. S’il possède bien un art de gouverner particulier, c’est
davantage un style en politique qui est retenu : celui qui ne se départit
jamais de la morale. Cette méthode porte un nom : le mendésisme. Elle
insiste sur une idée toujours actuelle : si difficiles soient-ils, la bonne
pratique politique impose de faire des choix. Dès 1950, après une défaite
militaire, PMF explique à l’Assemblée nationale que la politique française en Indochine suppose de choisir entre deux options : l’intensification militaire qui demande des crédits très rapidement et des pertes
humaines inévitables ; la recherche d’un accord politique qui ne va pas
sans concessions. « En vérité, il faut choisir entre deux solutions également difficiles mais qui sont les seules vraiment qu’on puisse défendre
à cette tribune sans mentir… » Le 3 juin 1953, appelé une première fois
par Vincent Auriol pour diriger le gouvernement, Mendès expose son
programme dans un discours d’investiture au cours duquel il résume
sa philosophie par cette formule : « Gouverner, c’est choisir. » S’il n’est
pas investi, PMF frappe les esprits par sa capité à prendre de la hauteur
et apparaît comme la grande chance de la gauche non communiste.
Et il impose durablement l’idée d’une politique des choix qui réclame
courage et probité. PMF reste encore aujourd’hui l’incarnation de la
morale en politique.
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© Groupe Eyrolles
Pierre Mendès France, 3 juin 1953
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