Migros Magazine 47, 22 novembre 2010
ENTRETIEN
ROLAND CAMPICHE|37
ces positions quand elles
font scandale. Le religieux
conservateur est ainsi rendu plus
visible que le religieux ouvert, pro-
gressiste, libéral. C’est la raison
pour laquelle on a de la peine à
voir le spécifique du christianisme
alors qu’on peut être plus facile-
ment frappé par la singularité
d’une autre religion. Voyez tout le
bruit que l’on fait autour du voile
et de la burqa. Ce n’est pas seule-
ment un symbole religieux ou
culturel, mais c’est perçu comme
une rupture avec la culture
contemporaine. Egalité homme-
femme, libéralisation sexuelle…
Dans votre ouvrage*, vous
analysez «la désinstitutionnali-
sation» de la religion en Suisse.
Que s’est-il produit?
La révolution culturelle des années
soixante a mis en question l’autorité
et a bouleversé le politique, les ins-
titutions scolaires, la religion...
L’institution, alors représentée par
les Eglises catholique romaine et
protestante, a été mise en cause. On
a alors refusé leur «prêt à croire».
On a confondu cette attitude avec la
négation du croire. La génération
des boomers (n.d.l.r.: de soixante-huit)
a voulu montrer son refus qu’on lui
impose quelque chose. Mais elle
avait un savoir religieux, elle avait
suivi le catéchisme, etc. La liberté
faisant partie des valeurs des années
soixante, les boomers ont renoncé
assez souvent à donner une éduca-
tion religieuse à leurs enfants, pré-
férant les laisser «choisir plus tard».
Voilà qui a conduit à une rupture
dans la transmission. Cela a à peu
près engendré le même résultat sur
toute une génération que ce qui s’est
produit dans les pays de l’Est avec la
stigmatisation de la religion.
La conséquence, c’est que les
générations suivantes ont une
méconnaissance du religieux et
que le christianisme s’est
affaibli, c’est ça?
Effectivement. Il existe néanmoins
encore des familles où l’on va à
l’église, où les enfants, les petits-
enfants sont attachés à ce modèle.
Et il y a cet immense ventre-mou
où l’on est détaché des institutions
mais où on continue à maintenir
un rapport à la religion, plus flou.
Une chose nous a beaucoup frap-
pés lorsque nous l’avons observée
la première fois: une majorité des
familles avec des enfants de moins
de 12 ans pratiquaient encore la
prière.
Le christianisme a perdu du
terrain surtout en raison d’un
affaiblissement de sa transmis-
sion, dites-vous. Et qu’en est-il
de l’influence des autres
religions?
On ne peut pas esquiver des rai-
sons du type attrait du nouveau, ou
des effets de mode; un engoue-
ment pour les religions orientales
telles que le bouddhisme. Mais ça
n’est pas la raison principale de la
perte de terrain de la tradition
chrétienne. La pluralisation reli-
gieuse a plutôt entraîné une rela-
tivisation de la vérité religieuse.
Vous constatez toutefois que
rares sont ceux qui disent ne
pas croire du tout en Dieu ou en
une force supérieure, en Suisse.
Le besoin de transcendance
demeure?
Le pôle universel de la religion se
caractérise justement par la réfé-
rence à une transcendance un peu
floue et à la pratique de la prière.
Uneressource pour les temps dif-
ficiles. La religion sous cette forme
reste un fait de société.
On va de moins en moins à
l’église. Vaut-il la peine de
maintenir l’institution?
Dans nos enquêtes, nous avons
posé la question: «Si les Eglises
disparaissaient, qu’est-ce qui se
passerait?» A notre surprise, les
gens étaient traumatisés par cette
hypothèse au sens où ils ont ré-
pondu que tout ce qui touche à la
marginalité sociale – les drogués,
les personnes âgées, etc. – en souf-
frirait. Son rôle caritatif est donc
reconnu. L’autre fonction qui vient
tout de suite après c’est que les
Eglises permettent de donner sens
àl’existence. Des possibilités de
réfléchir. Mais pas des réponses
toutes faites.
Reste que les rangs sont vides...
Si on regarde le nombre de gens
fréquentant l’Eglise et qu’on le
compare au nombre de personnes
affiliées à un parti politique, les
Eglises sortent gagnantes. On a
tous l’image d’un âge d’or où les
églises étaient pleines. Sur le plan
historique, en fait, on ne sait pas
grand-chose. Néanmoins, il y a
une érosion de la pratique. 10% de
moins entre 1989 et 1999. Les pro-
chains chiffres arriveront bientôt
mais je ne pense pas qu’on soit
tombés beaucoup plus bas. On va
moins à l’église mais on constate
que les rites de passage, le bap-
tême, le mariage, l’enterrement
tiennent encore bien le coup.
L’église comme un lieu de rituels.
De même, les symboles comp-
tent: lorsqu’un enseignant a
voulu dernièrement enlever un
crucifix du mur de la salle de
classe en Valais, les réactions
ont été très fortes.
C’est là que l’on voit que la reli-
gion n’est pas qu’une affaire pri-
vée. Je trouve intelligent ce qu’on
a fait sur le plan suisse. Soit de
laisser aux cantons le rôle de ré-
gler ces questions. Faire un drame
du fait que dans le Haut-Valais,
canton très marqué par le catho-
licisme, les crucifix soient encore
présents, c’est inutile. Dans les
cantons-villes, dans le canton de
Vaud, ce serait impensable. Mais
pourquoi faudrait-il uniformiser?
Si on mettait quelqu’un en prison
parce qu’il a décroché un crucifix
il faudrait alors intervenir, car les
droits humains seraient violés.
C’est une affaire d’appréciation. Il
en va de même pour le
voile.
«Pour moi, le protestantisme
s’est confondu avec
la civilisation moderne»
La fréquentation des églises a accusé une baisse de 10% entre 1989 et 1999.