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l’économie moderne), la distinction entre la chrématistique et l’économique, qui n’a pas du
tout le sens qu’on lui donne aujourd’hui. La chrématistique, c’est l’accumulation de l’argent
pour l’argent et, dans
Aristote très clairement condamne cette
forme de la richesse qui est individualiste, qui détruit le lien social. Vouloir la monnaie pour
la monnaie, ce n’est pas productif et ça ne peut rien produire de positif. Il oppose cette chré-
matistique à l’économique, composée de deux mots grecs, la communauté et la
norme, la loi, l’administration. L’économie, chez Aristote, c’est l’art d’administrer le bien-
être de la communauté, et donc c’est une vision différente de celle à laquelle on peut penser
immédiatement aujourd’hui, celle d’un univers individualiste, impitoyable. Chez Aristote,
l’économique, c’est plutôt la bonne gestion du foyer, de la cité, de la communauté. J’ai
trouvé que c’était assez intéressant, même si cela n’a pas survécu très longtemps.
Il y a un point de vue très normatif, très éthique chez les scholastiques au Moyen Âge. Les
écrits économiques présentés aux étudiants de l’histoire de la pensée économique, (quand
on en fait encore : en effet, on en fait de moins en moins), parlent des scholastiques. Thomas
d’Aquin, Albert Legrand et quelques autres ont produit des écrits économiques mélangés
à des sommes théologiques, avec là aussi un point de vue très normatif sur ce que doit
être l’économie, l’échange équitable etc. On les a un peu oubliés, et l’économie qui va se
développer après eux va mettre de côté ces points de vue éthiques, tout simplement parce
que l’économie a voulu s’ériger en science et que c’est un point de vue, très répandu en-
core aujourd’hui en sciences sociales, qu’on ne peut pas faire de la science si on fait de la
morale. On a évacué de plus en plus le contenu moral et c’est une préoccupation aussi que
l’on a aujourd’hui dans la définition du PIB. Les comptables nationaux cherchent à définir
des indicateurs sans les « dé-moraliser » dans le sens « amoral ». Nous reparlerons de ce
problème intéressant
Je saute ensuite quelques centaines d’années et j’arrive à Malthus, très connu pour sa vision
pessimiste du grand banquet de la nature au sein duquel nous ne pourrions pas tous prendre
place. Dès 1820, dans ses
Malthus définit la richesse en
disant que, si on veut être rigoureux, scientifique, si on ne veut pas partir dans tous les sens,
les économistes doivent délimiter ce que peuvent être les bornes de la richesse. Pour Mal-
thus, la richesse ce sont les biens produits par le travail productif, il faut qu’il y ait à la fois
du travail productif et des objets matériels. C’est donc une vision assez étroite de la richesse.
Ce rejet du travail improductif va se maintenir, avec d’autres économistes classiques, de
Smith à Marx, et pendant très longtemps les services seront considérés comme ne faisant
pas partie de la richesse. Mais aujourd’hui, dans les mesures du PIB, on prend en compte ce
qu’ils auraient appelé du travail improductif.
Économicisation du concept d’utilité
Une deuxième étape importante va aboutir à la définition du PIB telle qu’on la connaît
aujourd’hui, c’est une phase que je me permets de qualifier d’économicisation du concept
d’utilité, parce que, pour définir ce qui a de la valeur, on va progressivement renoncer à la
valeur travail pour la remplacer par la notion d’utilité.
Certains économistes vont chercher à définir cette notion d’utilité, de richesse dans cette
perspective-là. Dans le livre de Dominique Méda sur le PIB, il y a un chapitre très intéressant
qui s’appelle
dont je me suis largement inspiré.
Il y a un processus dès le XIXe siècle de dé-moralisation, c’est-à-dire de suppression des
contenus éthiques dans le concept d’utilité. Dans un texte célèbre de Jean Baptiste Say de
1815,
» (Jean Baptiste Say est un économiste connu