CHAPITRE IV
MANIPULATION DES GAMETES
ET DES EMBRYONS
Au cours de la riode préimplantatoire, l'ovocyte puis l'embryon de mammifère est
libre (figure 4.1). Il peut donc être prélevé aux différents stades de cette période pour être
manipulé. Le maintien de cet embryon in vitro suppose l'utilisation de systèmes de culture
capables d'assurer son développement jusqu'au moment de son transfert en mère porteuse.
Ces diverses manipulations ont pour but de mieux comprendre les mécanismes
fondamentaux du développement embryonnaire mais également d'optimiser la productivité de
nos animaux domestiques.
Ce chapitre IV traitera des principales techniques de manipulation qui présentent un
intérêt actuel ou potentiel en recherche fondamentale ou dans le domaine de la production
animale.
4.1. TECHNIQUES INTERESSANT LA PRODUCTION ANIMALE
Ces différentes techniques sont avant tout des outils d'amélioration de la sélection
génétique. Certaines ne sont réalisées que par des centres spécialisés, d'autres par le
vétérinaire traitant ou l'inséminateur. Elles sont également destinées à lutter contre les
endémies et certaines pourraient être envisagées pour la préservation des races et espèces en
voie de disparition.
4.1.1. L'insémination artificielle (I.A.)
L'insémination artificielle est la technique qui a permis de réaliser de considérables
progrès en matière de sélection animale. Nous prendrons le taureau comme exemple.
L'évaluation de la qualité génétique des mâles utilisés en I.A. est d'une extrême
importance étant donné le grand nombre de descendants que chaque mâle peut avoir
(plusieurs centaines de milliers pour les taureaux les plus populaires). Cette évaluation est
réalisée au sein des centres d'I.A. et les quelques mâles retenus chaque année verront leur
semence proposée aux éleveurs, généralement sur catalogue (cf. cours de génétique des
populations).
L'I.A. peut se faire avec du sperme frais ou du sperme congelé :
A) INSEMINATION A FRAIS
L'insémination artificielle à frais a été réalisée pour la première fois en 1780 par
Spallanzani chez la chienne et peut être avant cela, vers l'an 700 du calendrier musulman
(1.322 du calendrier grégorien) chez la jument
(1)
A l'heure actuelle, l'insémination à frais n'est utilisée que chez les espèces dont la
semence se congèle mal. C'est le cas du porc, de l'étalon, du bélier et des oiseaux (gallinacés
et anatidés). La contrainte de devoir synchroniser la récolte et l'insémination limite
considérablement l'utilisation de l'I.A. à frais. En effet, suivant l'espèce, le milieu de dilution
et les conditions de transport du sperme, celui-ci doit impérativement être introduit chez la
femelle en œstrus endéans les 24-72 heures.
(1) Walter Heape, un des premiers spécialistes en biologie de la reproduction, cite, dans un article de 1897, une
anecdote vieille de près de 7 siècles un arabe propriétaire d'une jument de valeur, en œstrus : "... armé d'une
poignée de fibres de coton saturée de la décharge vaginale de sa jument, il approcha silencieusement un étalon de
grande valeur appartenant à un membre d'une tribu hostile voisine. Après avoir suffisamment excité l'étalon par
les senteurs portées par le coton, il collecta sa semence qu'il introduisit à son retour dans le vagin de sa jument et
obtint de la sorte un poulain..." La source exacte de l'histoire n'est pas précisée et donc sa véracité ne peut être
démontrée.
B) CONGELATION DU SPERME
La congélation du sperme est basée sur l'utilisation d'agents cryoprotecteurs (glycérol,
DMSO). Le sperme récolté est analy (couleur, consistance, volume, concentration en
spermatozoïdes, mobilité, ... cf. chap. II) et dilué dans le milieu de congélation. Il est ensuite
distribué en paillettes et refroidi lentement jusqu'à -196°C. A cette température, dans de
l'azote liquide, il peut théoriquement se conserver indéfiniment. Ces opérations sont
effectuées dans des centres d'I.A. qui se chargent également de la promotion et de la
commercialisation des paillettes auprès des éleveurs.
Quelques minutes avant l'insémination, la paillette est rapidement réchauffée à 37°C et
montée sur le pistolet d'insémination. Le dépôt de la semence se fait dans l'utérus, même chez
les espèces où l'insémination naturelle est vaginale (voir tableau 2.2).
Dans l'espèce bovine, on prépare généralement 2 à 300 paillettes par éjaculat, chacune
contenant 10-15 millions de spermatozoïdes. Un taureau peut fournir 2-4 éjaculats par
semaine, ce qui permet d'inséminer une moyenne de 500 à 1.000 vaches. Avec un taux de
gestation de 60% après la première insémination, un taureau est donc capable de procréer 300
à 600 veaux par semaine, soit 15 à 30.000 veaux par an.
4.1.2. Le transfert d'embryons
L'insémination artificielle permet d'augmenter considérablement la capacité de
reproduction du mâle, mais ne modifie pas celle de la femelle dont le nombre de descendants
n'excède pas celui qu'elle peut porter.
Le transfert d'embryons a pour but de permettre à une femelle (d'élite) d'augmenter sa
capacité de reproduction en produisant un maximum d'embryons préimplantatoires portés par
d'autres mères. Ainsi, sa capacité de procréation n'est plus limitée que par le nombre d'ovules
qu'elle est capable de produire. En reproduction classique (I.A. ou monte naturelle), une
vache ne donnera que 2 à 10 veaux au cours de sa vie, alors qu'une femelle donneuse
d'ovocytes peut théoriquement être la mère génétique de plusieurs centaines de veaux.
Cependant, ce type de programme nécessite l'utilisation de diverses techniques dont chacune
altère le taux de succès (ponction écho-guidée des ovocytes, maturation - fécondation in vitro,
culture in vitro et congélation d'embryons, transfert en mère porteuse). A l'heure actuelle
(1997), le nombre de veaux obtenus par vache donneuse d'ovocytes n'excède pas de beaucoup
celui observé en reproduction classique.
Le transfert d'embryons a également pour but
- de pouvoir renouveler rapidement un cheptel (en cas d'abattage de nécessité)
à partir de quelques donneuses d'élite
- de contrôler ou d'éliminer certaines maladies dont l'agent n'infecte pas
l'embryon par la voie des gamètes ou au travers de la zone pellucide
Deux types de programmes sont mis en place :
1) la production d'embryons in vivo
2) la production d'embryons in vitro
A) LA PRODUCTION D'EMBRYONS IN VIVO
Généralement, la vache ne produit qu'un seul ovocyte par cycle de ± 21 jours. Pour
stimuler la croissance simultanée de plusieurs follicules ovariens, on lui administre des
hormones gonadotropes en milieu de cycle (figure 4.2). L'administration de ces hormones à
effet LH et FSH (cf. cours de physiologie) est suivie par l'induction de l'œstrus au moyen de
prostaglandines (PgF2
α
). Au moment de l'œstrus, la vache est inséminée deux fois à 24 h
d'intervalle (figure 4.3). Notons qu'un tel traitement de superovulation est généralement
instauré tous les trois cycles afin de permettre aux ovaires de reconstituer leur stock
d'ovocytes stimulables. On observe également que la réponse à la super ovulation est très
variable d'une femelle à l'autre. Il existe de bonnes et de médiocres donneuses d'embryons.
Les embryons sont récoltés au 7ème - 8ème jour post I.A. Ils sont au stade blastocyste
et situés dans les cornes utérines. Une sonde à trois voies permet de les prélever par voie non
chirurgicale (figure 4.2). Leur nombre et leur qualité individuelle sont notés. Chaque
embryon est alors transféré immédiatement dans l'utérus d'une mère porteuse synchronisée (c.
à d. à 7 jours post œstrus, figure 4.5A) ou est congelé à -196°C (figure 4.5C). Le transfert se
fait par voie non chirurgicale, suivant une technique analogue à celle de l'I.A. Le principe de
la production d'embryons in vivo est de maintenir l'embryon en dehors de l'organisme
maternel durant un temps minimal (on considère qu'un embryon congelé est en état de vie
suspendue. Pour lui, le temps cesse de s'écouler).
Une bonne donneuse d'embryons fournit une moyenne de 3 à 6 embryons transférables
après chaque traitement de super ovulation. C'est donc le nombre de mères porteuses
synchronisées qu'il faut prévoir à chaque fois. Le taux de mise bas (c. à d. le nombre de
veaux nés/nombre d'embryons transférés) est de l'ordre de 50%.
Une bonne donneuse fournit donc 4 embryons transférables tous les trois cycles, c’est-
à-dire 20 embryons et donc 10 veaux par an. Si elle est utilisée à ce rythme pendant 4 à 5 ans,
elle sera la mère génétique de 40 à 50 veaux comparer aux 15 à 30.000 descendants
potentiels annuels du mâle par I.A.). En pratique, ce nombre ne passe pas 30 de moyenne
(données 1997) et le coût élevé des manipulations réserve ce type de programme aux seules
vaches d'élite. Globalement, le nombre de descendants d'une vache d'élite est multiplié par 5
à 10 avec cette technique.
B) LA PRODUCTION D'EMBRYONS IN VITRO
La production d'embryons in vitro est une démarche plus complexe et plus difficile à
mettre en place que la production in vivo car l'essentiel du développement préimplantatoire se
déroule en dehors de l'organisme maternel. En pratique, les différentes étapes sont les
suivantes :
Les ovocytes immatures sont ponctionnés des follicules de 3 à 8 mm de diamètre par
voie transvaginale à l'aide d'un pistolet muni d'une sonde à ultrasons et d'une aiguille
rétractable reliée à un système d'aspiration. C'est la technique de la ponction échoguidée ou
OPU (Ovum Pick Up). L'opérateur manipule l'ovaire par voie transrectale d'une main et
l'approche de l'extrémité de la sonde positionnée dans le vagin et manipulée par l'autre main.
L'image échographique lui permet de repérer les follicules cavitaires. Lorsqu'un follicule se
trouve face à l'extrémité de la sonde, il actionne le pistolet. L'aiguille dissimulée sort, traverse
la paroi vaginale et pénètre dans le follicule. Le contenu du follicule est aspiré et récolté dans
un récipient stérile. Une vache est classiquement "ponctionnée" deux fois par semaine, sans
subir aucun traitement de super ovulation. Ce rythme peut être maintenu pendant plusieurs
mois. En moyenne, 3 à 4 complexes ovocyte-cumulus (COC) sont obtenus à chaque séance,
mais on observe une importante variabilité entre les femelles donneuses d'ovocytes.
Les COC sont alors examinés, classés par catégorie de qualité et mis en maturation
dans un milieu particulier pendant 18 à 24 heures en atmosphère contrôlée (20% O
2
, 5% CO
2
,
pH 7,2, 38,5°C). Le processus de maturation est nucléaire et cytoplasmique. La maturation
nucléaire consiste en la reprise de la méiose bloquée en prophase de première division pour
s'arrêter à nouveau au stade de métaphase II après expulsion du premier globule polaire (cf.
chap. II). La maturation cytoplasmique est un processus plus complexe et très mal connu. Le
taux de maturation (nucléaire!), repéré par la présence d'une métaphase II et du premier
globule polaire est de l'ordre de 80%. On soupçonne que la maturation cytoplasmique se
déroule beaucoup moins bien.
A l'issue de la maturation, la granuleuse (ou cumulus) entourant l'ovocyte s'est dilatée.
Les ovocytes sont alors fécondés par l'utilisation de sperme décongelé. Le taux de
fécondation est également d'environ 80%. Les zygotes sont ensuite mis en culture et leur
développement est surveillé régulièrement.
La culture des embryons se poursuit durant 7 à 8 jours, jusqu'au stade blastocyste,
toujours en milieu et atmosphère contrôlés. En moyenne, un embryon produit et cultivé in
vitro mettra 24 heures de plus à atteindre ce stade par rapport à un embryon se développant in
vivo. Ceci démontre que les différents systèmes et milieux de culture ne sont que des
imitations approximatives des conditions naturelles. Le taux de développement (nombre de
blastocystes/nombre de zygotes) se situe généralement entre 25 et 35%.
Les blastocystes obtenus après 7 à 8 jours sont soit transférés en mère porteuse
synchronisée (figure 4.5B), soit congelés à -196°C. La congélation du blastocyste bovin est
assez bien maîtrisée car elle n'occasionne qu'une diminution modérée du taux de mise bas
après transfert (50% pour les embryons congelés contre 60% pour les frais)
La production d'embryons in vitro est encore une technique expérimentale. Le taux de
succès global (nombre de veaux/nombre de COC maturés) est faible. On considère qu'une
bonne donneuse d'ovocytes peut être la mère génétique de 2 à 3 veaux par mois soit 15 veaux
après 6 mois de traitement. A l'heure actuelle, les principaux problèmes de cette technique
concernent :
- la qualité de la maturation cytoplasmique de l'ovocyte
- l'efficacité des systèmes de culture in vitro
- l'importante variabilité de la qualité et de la quantité des COC entre
donneuses
- un niveau technique élevé qui confinera cette technique au sein de centres
spécialisés.
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