le retour des institutionnels dans le résidentiel

5.1/ LE POIDS DE L’ÉCONOMIE
IMMOBILIÈRE
Selon l’Institut de l’Épargne Immobilière, fin 2011, le
patrimoine immobilier total en France était estimé à
9 606milliards d’euros, soit environ 27,4 % du patrimoine
global, approchant les 35 000 milliards d’euros, de l’ensemble
des actifs des acteurs économiques. L’immobilier résiden-
tiel constitue une part majeure (7 842 milliards d’euros) du
patrimoine immobilier total. L’immobilier non résidentiel
(immobilier commercial, immobilier appartenant à l’État)
représente 1 763 milliards d’euros. Le résidentiel pèse plus
que l’immobilier commercial dans le PIB. Ce dernier reste
l’indicateur de référence pour mesurer la croissance d’un
pays. Relativisons son résultat. En effet, une croissance du
PIB proche de zéro n’implique pas que le marché immobilier
(résidentiel et tertiaire) l’est également. Malgré l’importance
de l’immobilier dans l’économie française, est-il envisageable
de prévoir le retour des institutionnels dans l’immobilier rési-
dentiel ? Notre relation à la pierre a-t-elle évolué ?
5.2/ NOTRE RELATION À LA PIERRE
Notre rapport à la pierre a évolué. Historiquement et
culturellement, nous avons une relation passionnée
avec la pierre. Ce rapport a toujours été très fort depuis le
Moyen Âge. Demeure-t-il toujours aussi présent aujourd’hui?
90 % des locataires aspirent à devenir propriétaires de leur
logement. 58 % des Français possèdent leur résidence prin-
cipale et trois millions une résidence secondaire. Ces chiffres
n’évoluent pratiquement plus depuis le début des années
2010. Les Français possèdent directement près de 8 000 mil-
liards d’euros (1) d’actifs immobiliers (résidence principale,
secondaire, investissement locatif) et les institutionnels un
peu moins de 1 800 milliards d’euros. L’immobilier est avant
tout un actif tangible qu’on utilise (occupation), qu’on gère
financièrement et fiscalement (investissement). Dans ces
conditions, comment certains investisseurs (personnes phy-
siques et morales) pourraient-ils rester indifférents à ce type
de placement direct ? Les institutionnels ont-ils une relation
à la pierre différente de celle des particuliers ?
(1) Ce chiffre n’intègre pas l’épargne des Français dans les SCPI, OPCI, actions foncières cotées, Sicav immobilières. L’épargne financière des ménages représente
4 000milliards d’euros.
LE RETOUR DES
INSTITUTIONNELS
DANS LE RÉSIDENTIEL
Par Nicolas Tarnaud, MRICS, Docteur en économie, Titulaire de la chaire immobilier
& société, Neoma Business School.
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L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
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résidentiel
5.3 / LA RELATION
DES INSTITUTIONNELS À LA PIERRE
Par essence, les personnes morales ont une approche
financière et non émotionnelle de leurs investisse-
ments. Adossés à des banques, à des assureurs, à des
caisses de retraite, à des fonds souverains (2) ou à des fonds
de pension (3), les fonds immobiliers (sécurisés et opportu-
nistes) ont toujours été présents et le seront encore demain
avec des implications diverses. Les institutionnels possé-
daient 1,2 million de logements au milieu des années 1980.
Après avoir cédé des immeubles de belle facture et bien
localisés à Paris, Lyon et Marseille, ils ne détiennent plus,
aujourd’hui, qu’environ 200 000 logements. Dans ces condi-
tions, comment ne pas s’interroger sur leur retour dans le
résidentiel ? Est-ce un sujet d’actualité ou une pure fiction ?
Avant d’aborder cette question, revenons aux fondamentaux
pour mieux comprendre la relation que nous entretenons
(2) En 2014, les actifs sous gestion des fonds souverains atteignent 29 100 milliards de dollars, l’équivalent de 40 % du PIB mondial.
(3) En 2015, les fonds de pension détenaient 36 000 milliards de dollars d’actifs dans le monde.
avec la pierre. Les institutionnels ont investi 16 milliards
d’euros dans l’immobilier de bureaux et 6 milliards d’euros
dans l’immobilier de commerce (centres commerciaux, bou-
tiques), en 2014. Depuis vingt-cinqans, cet intérêt se porte
principalement sur l’immobilier commercial (bureaux, com-
merces, centres commerciaux, hôtels, logistique, cliniques,
résidences hôtelières, etc.). L’allocation de l’actif résidentiel
dans leur portefeuille ne fait plus partie de leur stratégie
financière depuis le début des années 1990. La financiari-
sation de l’économie a réellement modifié la donne. Les
institutionnels ont suivi le modèle anglo-saxon, basé sur le
rendement du capital à court terme (4).
5.4 / LA FINANCIARISATION
DE L’ÉCONOMIE
Le monde s’est financiarisé, depuis le début des années
1980, avec l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan aux
États-Unis et de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne.
Ces deux pays ont été les locomotives de la dérégulation ban-
caire et financière. La France a suivi ce modèle au milieu des
années 1980. L’immobilier s’est financiarisé à partir du début
des années 1990, en France. Cette financiarisation a profité
aux investisseurs depuis cette période. La financiarisation a
constitué avant tout la meilleure réponse à l’accélération du
transfert des actifs immobiliers. Nous sommes passés, durant
les années 1990, d’un marché d’investisseurs institutionnels,
qui investissaient avec une logique patrimoniale sur long le
terme (20-30ans) à un marché de fonds immobiliers ayant une
approche exclusivement financière sur le court terme (maxi-
mum 1-5ans). La financiarisation de l’immobilier a permis une
prise de conscience des acteurs sur la nature du rendement
immobilier (le rendement locatif et le rendement en capital).
(4) ROI – return on investment.
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Ce dernier a pu être considérablement amélioré par une
gestion active des immeubles (asset management) et il est
devenu un outil d’appréciation de la performance des actifs
à court terme. La performance immobilière est donc, depuis
lors, mesurée par l’évolution du rendement global. Elle s’est
traduite par l’augmentation de la capitalisation boursière de
l’immobilier dans le monde. Par exemple, celle-ci a été mul-
tipliée par deux en cinq ans, passant de 300milliards d’euros
en 2000 à 600milliards d’euros en 2005. La financiarisation
des produits immobiliers a fait diminuer la durée de déten-
tion des actifs et a optimisé la gestion immobilière par l’effet
de levier du crédit (5), appelé également « leverage » et de la
fiscalité « statut de foncière ». Le désengagement de l’immo-
bilier résidentiel concerne également les foncières cotées dont
le statut SIIC, adopté en France en 2002, a rendu possible
un arbitrage fiscal exceptionnel. Ainsi, le patrimoine de la
foncière Gecina est passé de 20 000 logements en 2002 à 6 000
logements en 2011. Le groupe Icade a cédé, quant à lui, l’inté-
gralité de son patrimoine résidentiel en 2009 à un groupement
de bailleurs sociaux, soit 32 000logements, constituant la plus
grande vente de logements en bloc jamais réalisée. Nos insti-
tutionnels ont-ils été influencés par les Anglo-Saxons ?
(5) L’effet de levier « leverage » mesure l’incidence du recours à l’endettement sur la rentabilité des fonds propres de l’investisseur. Il résulte de la différence
entre la rentabilité économique et le coût de la dette. Le principe consiste, alors, à emprunter à un taux d’intérêt de la dette inférieur au retour sur investissement
du placement envisagé.
5.5 / L’INFLUENCE ANGLO-SAXONNE
Les institutionnels se sont désengagés du résidentiel
en faveur de l’immobilier tertiaire depuis une tren-
taine d’années, comme le souligne Jacques Bonnet (6) : « À
partir de 1970-1971, l’intervention massive d’investisseurs
britanniques et américains (principalement des fonds de
pension) sur le marché des bureaux des métropoles occi-
dentales a conduit à la mise en place d’un produit autono-
misé, économiquement, d’abord, par rapport à l’entreprise
(il est devenu la propriété d’investisseurs à plus de 80 %),
puis géographiquement, par rapport aux logiques spatiales
des entreprises (en devenant un actif immobilier, sa locali-
sation géographique a dû correspondre à la meilleure rente
urbaine) ». L’externalisation croissante de la gestion des
biens immobiliers et l’optimisation de cette gestion ont
favorisé le fort développement des métiers de l’asset
management immobilier et du property management. La
financiarisation du patrimoine immobilier a donné de
la liquidité à des actifs qui ne l’étaient pas à la base.
Cette augmentation de la liquidité a eu des effets sur le
prix des actifs et sur la fluidité du marché immobilier
commercial.
La méthode des cash-flows fonctionnant dans l’univers
anglo-saxon avait fait ses preuves durant les années 1980.
La diversification appliquée dans le secteur financier s’est
mise en place rapidement dans le secteur immobilier. Les
investisseurs financiers et immobiliers ont, ainsi, participé
à cette transition en France. Les ménages propriétaires
ont donc vécu cette financiarisation de l’immobilier avec
quelques contrastes : la baisse des prix parisiens durant les
années 1990 et l’augmentation des prix au niveau national
depuis cette décennie.
(6) Jacques Bonnet, « L’évolution de bureau dans l’espace urbain : évolutions des approches théoriques », Géocarrefour, vol. 78 04/2003, (p.269).
LA CAPITALISATION
BOURSIÈRE DE
L’IMMOBILIER A ÉTÉ
MULTIPLIÉE PAR DEUX EN CINQ ANS,
PASSANT DE 300MILLIARDS
D’EUROS EN 2000 À 600MILLIARDS
D’EUROS EN 2005.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 90
le retour des institutionnels
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Les banques et les assureurs avaient besoin d’importantes
liquidités pour faire face à la crise qu’ils rencontraient. Ils
se sont désengagés au début des années 1990 en cédant leur
patrimoine résidentiel à des fonds opportunistes essentiel-
lement américains.
5.6 / LE RENDEMENT DE L’ACTIF
IMMOBILIER
En retenant la rentabilité globale de l’investissement,
les actifs résidentiels, entre 1998 et 2009, ont procuré
un rendement global annualisé de 8,3 %, contre 10,1 % pour
les bureaux et 14,8 % pour les commerces. Selon IPD, pour
le résidentiel détenu en direct par les institutionnels, c’est
le rendement en capital qui impacte le rendement global.
En 2013, le prix du résidentiel en France (ancien et neuf)
a atteint son niveau le plus élevé dans les zones tendues.
Les derniers chiffres IPD vont dans la même direction.
La France connaît donc une crise du logement à la fois
quantitative (offre) et qualitative (caractéristique et type).
Selon l’OCDE, la France applique les droits de mutation
les plus élevés en Europe, après la Belgique. Ces coûts de
transaction freinent la liquidité et l’attractivité du marché
immobilier auprès des investisseurs privés et institution-
nels. Ce sont les privés, qui ont assuré le rôle d’acteur
dans l’investissement locatif neuf en dehors des bailleurs
sociaux pour le logement social et intermédiaire. Depuis
1986, les particuliers aidés d’avantages fiscaux ont investi
dans plus d’un million de logements neufs en France. Que
le support soit Méhaignerie, Besson ou Borloo, une fois la
durée légale atteinte pour bénéficier de l’avantage fiscal, les
particuliers revendent leur investissement locatif dans 90 %
des cas au lieu de le conserver. Les personnes physiques
ne conservent donc pas leur investissement locatif sur le
long terme. Il serait intéressant de savoir si de nouvelles
mesures permettraient à ces bailleurs individuels de conser-
ver leur investissement locatif plus longtemps. Depuis cette
période, en faisant une rapide comparaison internationale,
nous constatons que, dans le monde entier, la propriété des
logements locatifs privés s’est retrouvée également entre les
mains de personnes physiques dont l’objectif a toujours été
fiscal (réduction d’impôts) et patrimonial (préparation de la
retraite). À côté des privés, nous avons les institutionnels.
Mais qui sont-ils réellement ?
5.7 / QUID DES INVESTISSEURS
INSTITUTIONNELS ?
Nous avons identifié quatre cents investisseurs institu-
tionnels en France. Nous distinguons les institution-
nels de premier rang comme la Caisse des Dépôts et les ins-
résidentiel 47
5.8 / POURQUOI LES INSTITUTIONNELS
SE SONT-ILS DÉSENGAGÉS DU
RÉSIDENTIEL ?
Les institutionnels se sont désengagés de cette classe
d’actifs pour les raisons suivantes :
des rendements locatifs faibles (2 %, voire 1 % brut pour
les appartements du triangle d’or parisien) ;
réaliser d’importantes plus-values immobilières effectuées
lors des reventes en bloc à des fonds opportunistes comme
celui de Whitehall (filiale de Goldman Sachs). Ces derniers
revendaient lot par lot en réalisant également d’importants
profits ;
des économies d’échelle difficiles à réaliser dans le rési-
dentiel par rapport à l’immobilier commercial. Il revient
moins cher de gérer un immeuble de bureaux de 100mil-
lions d’euros à Paris 8e que de gérer 200 appartements
de 500 000 euros localisés à des dizaines d’adresses dif-
férentes ;
des frais de gestion plus élevés dans le résidentiel que
dans l’immobilier commercial (bureaux, commerces, logis-
tique, hôtels…) ;
un cadre juridique plus favorable à l’immobilier commer-
cial qu’au résidentiel avec l’encadrement des loyers et les
contraintes de la vente à la découpe ;
des freins fiscaux avec l’exonération totale des plus-values
immobilières sur trente ans.
5.9 / LES OPPORTUNITÉS
DU RÉSIDENTIEL
Le logement est un investissement pérenne, bénéficiant
d’une très forte demande locative, notamment dans
les grandes villes et agglomérations dynamiques économi-
quement où l’offre demeure insuffisante. Un immeuble de
logements, à la différence d’un actif de bureaux, ne se libère
titutionnels de second rang comme les SCPI. Quel que soit
leur statut (banque, assurance, caisse de retraite, mutuelle,
SCPI, OPCI, Opci, Sicav foncière…), tous devront s’adapter
aux évolutions macroéconomiques. Demain, les institution-
nels non résidents seront de plus en plus nombreux. Les
excédents de liquidités des pays du Golfe et des pays asia-
tiques seront de plus en plus actifs dans l’immobilier ter-
tiaire et commercial des grandes métropoles européennes
comme Paris (le Grand Paris) ou Londres.
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