La justification par la foi
Laurent Miller – novembre 2013
Cet article vise à présenter brièvement ce que chrétiens catholiques, anglicans et luthériens
entendent lorsqu’ils parlent de la justification par la foi. Cette présentation unifiée a été rendue
possible vers la fin du XXe siècle par des déclarations communes qui furent le fruit d’un long travail
œcuménique qui aboutit non pas à un compromis, mais à l’éclaircissement des positions de chacun.
Ainsi, après quatre siècles de controverse sur le sujet, on peut lire dans la Déclaration conjointe sur
la doctrine de la justification (articles 40-41) de la Fédération Luthérienne Mondiale et de l’Église
catholique :
La compréhension de la doctrine de la justification présentée dans cette déclaration montre
qu’il existe entre luthériens et catholiques un consensus dans des vérités fondamentales de la
doctrine de la justification. […]
Il en découle que les condamnations doctrinales du XVIe siècle, dans la mesure où elles se
référent à l’enseignement de la justification, apparaissent dans une lumière nouvelle :
l’enseignement des Églises luthériennes présenté dans cette déclaration n’est plus concerné
par les condamnations du Concile de Trente. Les condamnations des Confessions de foi
luthériennes ne concernent plus l’enseignement de l’Église catholique romaine présenté dans
cette déclaration.
Pourquoi, dès lors, revenir sur une histoire « réglée » ? Parce que, justement, si catholiques et
protestants ont trouvé si important de s’accorder sur ce sujet, c’est qu’il ne s’agit pas de quelque
chose d’annexe à la foi chrétienne, mais peut-être bien de la compréhension de son fondement-
même. Comprendre la controverse de la justification par la foi, c’est comprendre le christianisme
par deux de ses affirmations essentielles : le salut offert par Dieu, et l’impératif de la charité
fraternelle.
1. Le contexte de la controverse
Comme en témoigne son ancrage biblique, la problématique du salut par la foi et par les œuvres est
ancienne, mais elle se pose de façon plus criante lors de la période de la Réforme et de la Contre-
Réforme.
Au XVIe siècle, en effet, Martin Luther affirme contre les catholiques que la foi seule sauve. Il est
vrai que certaines affirmations et pratiques de l’Église de Rome pouvaient donner à penser que
l’homme devait se sauver lui-même par des œuvres de piété ou des dons. Luther se représente alors
le croyant comme soumis à des cas de conscience et à une torture spirituelle, tant il est angoissé par
la recherche de ce qu’il pourrait faire pour satisfaire Dieu. S’il doit satisfaire Dieu tout en ayant
conscience de son péché, comment ne pas provoquer en lui à la fois désespoir et crainte du
jugement de Dieu ? Il veut dès lors affirmer la confiance en Dieu et la paix que la foi donne.
Nous enseignons aussi que nous ne pouvons pas obtenir la rémission des péchés et la Justice
devant Dieu par notre propre mérite, par nos œuvres ou par nos satisfactions, mais que nous
obtenons la rémission des péchés et que nous sommes justifiés devant Dieu par pure grâce, à
cause de Jésus-Christ et par la foi.
Car la conscience ne pourra jamais trouver le repos et la paix par les œuvres, mais
uniquement par la foi, dès qu'elle s'assure que nous sommes réconciliés avec Dieu par Christ,
comme le dit saint Paul, Rom. 5, 1 : « Étant donc justifiés par la foi, nous avons le repos et la
paix avec Dieu ».
Confession d’Augsbourg en 1530, articles 5 et 20.
D’un autre côté, l’insistance pour les œuvres de piété dans l’Église catholique comporte un
fondement biblique tout aussi fort. L’enjeu est également de maintenir la liberté de l’homme devant
Dieu, liberté qui s’exprime par les œuvres de charité que le croyant réalise. Ainsi, l’Église catholique
dira du croyant qu’il « coopère » à son salut. Cette coopération exprimée par les œuvres est la
manifestation du salut réalisé en lui par Dieu.
L’enjeu devient donc : si Dieu seul sauve, qu’en est-il de la liberté humaine face à l’action de Dieu ?
Et si la charité n’est pas nécessaire au salut, en quoi peut-elle en être la manifestation même ?
Autrement dit, comment expliquer qu’elle fait l’objet d’un commandement explicite de Jésus ?
Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai
aimés, aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à
l’amour que vous aurez les uns pour les autres. (Jean 13, 35)
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2. Les arguments bibliques
Traditionnellement, l’argumentation liée à ce sujet se focalise autour de deux textes apparemment
contradictoires. L’un de Jacques, cité du « coté catholique », appuyant l’importance des œuvres,
l’autre de Paul, cité du « côté protestant », insistant sur la foi seule. Nous allons lire et analyser ces
deux lettres afin de comprendre l’argumentaire de chaque apôtre.
L’épitre de Jacques (2, 14-20)
À quoi bon, mes frères, dire qu’on a de la foi, si l’on n’a pas d’œuvres ? La foi peut-elle
sauver, dans ce cas ? Si un frère ou une sœur n’ont rien à se mettre et pas de quoi manger
tous les jours, et que l’un de vous leur dise : « Allez en paix, mettez-vous au chaud et bon
appétit », sans que vous leur donniez de quoi subsister, à quoi bon ? De même, la foi qui
n’aurait pas d’œuvres est morte dans son isolement. Mais quelqu’un dira : « Tu as de la foi ;
moi aussi, j’ai des œuvres ; prouve-moi ta foi sans les œuvres et moi, je tirerai de mes œuvres
la preuve de ma foi. Tu crois que Dieu est un ? Tu fais bien. Les démons le croient, eux aussi,
et ils frissonnent. » Veux-tu te rendre compte, pauvre être, que la foi est inopérante sans les
œuvres ?
La pointe de ce texte est la critique de l’hypocrisie. Comment puis-je souhaiter un bon appétit à
quelqu’un qui n’a pas de quoi se nourrir ? Mon souhait n’est alors qu’un vœu pieux sans effet. Ainsi
en va-t-il de la foi si elle est comprise comme une croyance. « Je crois que Dieu existe et qu’il sauve
les hommes. » C’est une idée abstraite, qui ne change rien à ma vie ni à celle du monde. D’où
l’exemple du démon qui croit lui aussi en Dieu. Cela fait-il de lui un juste ? En ce sens, l’acception
commune du mot « croyance » dans la langue française ne peut suffire à définir la foi au sens
chrétien du terme.
Jacques interpelle « Prouve-moi ta foi sans les actes ! », et bien sûr, cela est impossible. La foi telle
que l’entend Jacques, est non seulement croyance, mais conviction et confiance. La foi, ce n’est pas
seulement penser que Dieu sauve, mais le vivre comme une conviction qui change ma vie et me
rend différent. Une conviction qui change une pensée en valeurs et les valeurs en maxime de vie.
Pour Jacques, dans cette lettre, une conviction qui devrait m’inciter à imiter Dieu accueillant le
plus pauvre. On peut aussi dire que la foi est également la confiance que Dieu fait ce qu’il dit. J’y
reviendrai plus tard lors de la lecture de la lettre de Paul.
Mes frères, ne mêlez pas des cas de partialité à votre foi en notre glorieux Seigneur Jésus
Christ. En effet, s’il entre dans votre assemblée un homme aux bagues d’or, magnifiquement
vêtu ; s’il entre aussi un pauvre vêtu de haillons ; si vous vous intéressez à l’homme qui porte
des vêtements magnifiques et lui dites : « Toi, assieds-toi à cette bonne place » ; si au pauvre
vous dites : « Toi, tiens-toi debout » ou « Assieds-toi là-bas, au pied de mon escabeau »,
n’avez-vous pas fait en vous-mêmes une discrimination ? N’êtes-vous pas devenus des juges
aux raisonnements criminels ?
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Écoutez, mes frères bien-aimés ! N’est-ce pas Dieu qui a choisi ceux qui sont pauvres aux
yeux du monde pour les rendre riches en foi et héritiers du Royaume qu’il a promis à ceux qui
l’aiment ? Mais vous, vous avez privé le pauvre de sa dignité. (Jacques 2, 1-6)
L’enjeu des œuvres ne se limite pas à la cohérence, elles touchent aussi au témoignage de la
communauté. L’auteur de la lettre nous dit en substance ceci : contrairement aux hommes, Dieu a
choisi les pauvres pour en faire ses héritiers. Mais si la communauté chrétienne agit comme le
monde agit, comment cette bonne nouvelle peut-elle être entendue ? Ainsi, la foi ne peut exister
sans actes, non seulement parce qu’alors, ce ne serait pas la foi (mais une vague croyance), mais
aussi parce qu’alors, elle ne signifierait rien (comme un signifié est inaccessible sans signifiant).
La phrase « La foi peut-elle sauver sans actes ? » ne renvoie donc pas chez Jacques à la nécessité
d’agir pour être sauvé, mais à la qualité de foi (une foi honnête, convaincue et confiante). Si tu
avais vraiment la foi (celle qui sauve, celle qui soulève des montagnes), tu ne pourrais pas ne pas
agir.
Paul et l’épitre aux Romains (3, 21-31)
Mais maintenant, indépendamment de la loi, la justice de Dieu a été manifestée ; la loi et les
prophètes lui rendent témoignage. C’est la justice de Dieu par la foi en Jésus Christ pour tous
ceux qui croient, car il n’y a pas de différence : tous ont péché, sont privés de la gloire de
Dieu, mais sont gratuitement justifiés par sa grâce, en vertu de la délivrance accomplie en
Jésus Christ. C’est lui que Dieu a destiné à servir d’expiation par son sang, par le moyen de la
foi, pour montrer ce qu’était la justice, du fait qu’il avait laissé impunis les péchés d’autrefois,
au temps de sa patience. Il montre donc sa justice dans le temps présent, afin d’être juste et
de justifier celui qui vit de la foi en Jésus.
Y a-t-il donc lieu de faire le fier ? C’est exclu ! Au nom de quoi ? Des œuvres ? Nullement,
mais au nom de la foi. Nous estimons en effet que l’homme est justifié par la foi,
indépendamment des œuvres de la loi. Ou alors, Dieu serait-il seulement le Dieu des Juifs ?
N’est-il pas aussi le Dieu des païens ? Si ! il est aussi le Dieu des païens, puisqu’il n’y a qu’un
seul Dieu qui va justifier les circoncis par la foi et les incirconcis par la foi. Enlevons-nous par
la foi toute valeur à la loi ? Bien au contraire, nous confirmons la loi !
Pour Paul, Dieu sauve « indépendamment de la loi ». Il s’agit d’abord pour lui de montrer que le
salut de Dieu est universel. Dieu est aussi le Dieu des païens. L’homme n’est donc pas sauvé parce
qu’il suit la loi de Moïse.
Une deuxième affirmation de la lettre est qu’il n’y a pas lieu de s’enorgueillir d’être sauvé. Tous,
Juifs comme païens sont pécheurs devant Dieu. Personne n’a mérité d’être sauvé. Il en est d’ailleurs
lui-même l’exemple vivant : lui qui persécutait les chrétiens se voit choisi par Dieu pour devenir le
héraut du christianisme !
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Pour l’Apôtre, non seulement l’homme ne mérite pas d’être sauvé, mais il n’en a pas la possibilité. Il
est enfermé dans le péché. Cependant, par la foi en Jésus, l’homme peut être libéré de l’esclavage
du péché et être justifié, par grâce seule. L’homme n’a donc ni la dignité ni la capacité nécessaires à
être considéré comme juste, mais il les reçoit gratuitement, sans condition autre que l’amour infini
de Dieu manifesté par le Christ. La cause de son salut lui est donc totalement extérieure, et elle est
en Dieu.
Dès lors, aucun orgueil n’est justifiable : si je suis juste, c’est par la grâce de Dieu. Mais également,
plus aucune crainte n’est nécessaire : je ne dois pas me montrer « à la hauteur » pour me montrer
digne du salut. « Étant donc justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu par notre Seigneur
Jésus-Christ » (Romains 5, 1) L’amour de Dieu ne se soucie pas savoir si je suis digne ou pas de la
grâce. Il m’en rend digne.
Paul illustre son propos dans les versets suivants de la lettre en parlant d’Abraham : a-t-il été sauvé
parce qu’il était un homme juste ? Non, la foi d’Abraham le sauve avant qu’il ne suive la loi
(symbolisée ici par la circoncision). C’est cette foi, « espérant contre toute espérance » qui lui fut
comptée comme justice.
Espérant contre toute espérance, il crut et devint ainsi le père d’un grand nombre de peuples,
selon la parole : Telle sera ta descendance. Il ne faiblit pas dans la foi en considérant son
corps il était presque centenaireet le sein maternel de Sara, l’un et l’autre atteints par la
mort. Devant la promesse divine, il ne succomba pas au doute, mais il fut fortifié par la foi et
rendit gloire à Dieu, pleinement convaincu que, ce qu’il a promis, Dieu a aussi la puissance de
l’accomplir. Voilà pourquoi cela lui fut compté comme justice. (Romains 4, 18-22)
Nous retrouvons ici la troisième acceptation du mot foi évoquée plus haut lors de la lecture de la
lettre de Jacques : la foi comme confiance que Dieu agira comme il l’a promis.
Conclusion
L’affirmation de Paul « Nous estimons en effet que l’homme est justifié par la foi, indépendamment
des œuvres de la loi » semble s’opposer à celle de Jacques : « La foi peut-elle sauver sans les
œuvres ? »
Cependant, lues dans le sens que veulent leur donner leurs auteurs, elles affirment deux idées
différentes sans être incompatibles. La foi seule sauve (Paul) mais seule la vraie foi sauve, et les
œuvres accompagnent obligatoirement une foi authentique (Jacques).
Les lignes qui suivent tentent d’exposer brièvement la formulation que la théologie chrétienne va
faire de la problématique du salut par la foi et de la nécessité des œuvres.
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