gestions hospitalières n° 532 - janvier 2014 [réflexion] 17
Conclusion
Aujourd’hui, Hippocrate symbolise souvent la nostalgie d’un
humanisme que la médecine « technique » aurait perdu (8)
avec un médecin devenu un « ingénieur du corps » dans une
technoscience, pour reprendre une expression de Rony
Brauman (9). Le but ultime n’est pas de connaître mais d’agir
pour soigner, pour soulager, voire guérir. Le centre de gravité
de l’éthique médicale est le rappel constant de l’exigence
inhérente à la relation de soin, en l’occurrence respecter,
tout au long de l’acte thérapeutique, la personne humaine.
La pratique médicale ne se définit pas seulement en fonction
des moyens qu’elle met en œuvre, mais aussi et surtout en
fonction des fins qu’elle poursuit et dont la légitimité ne
peut être que morale.
Face aux enjeux moraux que constituent la relation
médecin/patient et le progrès scientifique, l’éthique antique
est maintenant plébiscitée «sur le tard». Elle suggère à la fois
antiquité et modernité, et nous renvoie tout autant à l’origine
lointaine du discours moral qu’à l’extrême actualité. Parler
d’éthique médicale, c’est donc évoquer la généalogie de la pen-
sée, remonter vers une dimension oubliée et presque «mettre
à nu les structures de l’Occident » provenant de la Grèce
ancienne avec le serment d’Hippocrate (10). Mais dire l’éthique,
c’est aussi désigner quelque chose qui est devenu omniprésent
et triomphant. Le serment d’Hippocrate est l’impérissable
modèle d’une forme alors nouvelle d’encadrement du savoir-
faire qui, tout à la fois, accrédite ce savoir-faire, l’organise et
le fait exister pleinement en tant que profession : à l’origine,
«professer» signifie «prêter serment». La lecture des différents
écrits du corpus hippocratique montre
bien qu’il existe une sagesse pratique du
médecin grec, avec, d’une part, la capa-
cité de délibération éthique, bien sûr,
d’autre part le respect de la morale qui
vaut pour tout patient et tout citoyen, et
qui revêt une importance plus grande
encore pour celui qui a en charge la santé
et la vie des autres hommes. Ces textes
antiques d’éthique médicale assurent
bien la continuité de l’éthique depuis
Hippocrate jusqu’à aujourd’hui. Quelle
que soit l’approche retenue, l’éthique
semble bien s’être imposée comme un
lieu de débats sur les valeurs fondamen-
tales remises en question dans le
contexte de la modernité. L’éthique s’ins-
crit donc à la fois dans la mouvance de
l’élargissement des champs de l’éthique
appliquée et dans la demande morale
qu’expriment les sociétés modernes. ●
NOTES
(6) J. Michaud, L’Éthique
à l’épreuve des techniques,
L’Harmattan, 2007.
(7) C. Angé, Pour une lecture
«communicationnelle» d’un mythe
fondateur, Les Enjeux de l’information
et de la communication, 2009.
(8) D. Sicard, «Hippocrate
et le scanner». Réflexions sur la
médecine contemporaine.
Entretiens avec Gérard Haddad,
Desclée de Brouwer, 1999.
(9) J.-M. Mouillie, C. Lefèvre,
L. Visier, Médecine et sciences
humaines. Manuel pour les études
médicales, Les Belles Lettres, 2007,
préface, p.10.
(10) P. Legendre, L’Inestimable
objet de la transgression, étude
sur le principe généalogique
en Occident, Fayard, 1985, p.13.
Au moment d’être admis(e) à exercer la médecine,
je promets et je jure d’être fidèle aux lois de
l’honneur et de la probité.
Mon premier souci sera de rétablir, de préserver
ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments,
physiques et mentaux, individuels et sociaux.
Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie
et leur volonté, sans aucune discrimination selon
leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour
les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou
menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Même
sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes
connaissances contre les lois de l’humanité.
J’informerai les patients des décisions envisagées,
de leurs raisons et de leurs conséquences.
Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai
pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer
les consciences.
Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque
me les demandera. Je ne me laisserai pas
influencer par la soif du gain ou la recherche de
la gloire.
Admis(e) dans l’intimité des personnes, je tairai
les secrets qui me seront confiés. Reçu(e) à
l’intérieur des maisons, je respecterai les secrets
des foyers et ma conduite ne servira pas à
corrompre les mœurs.
Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne
prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne
provoquerai jamais la mort délibérément.
Je préserverai l’indépendance nécessaire à l’ac-
complissement de ma mission. Je n’entreprendrai
rien qui dépasse mes compétences. Je les entre-
tiendrai et les perfectionnerai pour assurer au
mieux les services qui me seront demandés.
J’apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu’à
leurs familles dans l’adversité.
Que les hommes et mes confrères m’accordent
leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que
je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j’y manque.
ENCADRÉ 1
Le serment d’Hippocrate