3Louis Assier-Andrieu
comparables à ceux qu’a proposés Claude Lévi-Strauss dans le domaine des sociétés indigènes »10. La base 
du travail de l’historien, c’est le désormais célèbre Essai de géographie coutumière de l’historien du droit 
Jean Yver (1966), et les sources de celui-ci, les  Étud sur l coutum  de Henri Klimrath (1837) et le 
Nouveau coutumier général composé en 1724 par Charles Bourdot de Richebourg11. Notons tout de suite 
que de cet heureux emboîtement, ou de cette perspective gigogne, ressortent deux idées maîtresses, l’une 
exprimée par Klimrath, l’autre par Yver.
6. Klimrath arme au l de ses travaux, rédigés entre 1833 et son trépas à trente ans en 1837, que « le 
législateur ne saurait se soustraire à l’élément historique, aux usages, aux coutumes […] parce que tout cela 
répond à des besoins et à des habitudes qu’il est hors de son pouvoir de changer »12. Ainsi, en attestant que 
« l’élément historique » repose sur des « besoins » et des « habitudes », et que ceux-ci s’impriment dans 
les usages, les coutumes et la législation, le jeune savant strasbourgeois lie le droit au substrat social dont il 
ne saurait être que l’expression. Dans les années 1830, l’idée n’est pas nouvelle, mais on ne saurait la 
confondre avec l’« esprit » des lois selon Montesquieu, chez qui, loin de se fonder sur l’usage, la loi 
exprime ou doit exprimer la « raison primitive » – on y reviendra. C’est, semble-t-il, un disciple du baron 
de la Brède, Pierre-Jean Grosley, assurément l’un des fondateurs de l’histoire du droit français13, qui en 1757 
arme que les « coutumes traditionnelles » et les « lois non écrites » des Gaulois et des Germains ont été 
conservées   dans   la   France   coutumière14.   C’est   certainement   aussi   chez   Grosley,   qui   disserte   sur 
« l’inuence qu’ont sur les Mœurs les diverses manières de partager établies par les diverses coutumes »15, 
que Jean Yver, spécialiste des coutumes de l’Ouest, tire cet argument de généralité, repris par Emmanuel 
Le Roy Ladurie, que les deux phénomènes de « l’égalité entre héritiers » et de « l’exclusion des enfants 
dotés », c’est-à-dire les règles successorales, forment le critère de base qui permet de remonter jusqu’à 
« l’esprit des coutumes », selon Yver, ou jusqu’aux « aires culturelles », selon Le Roy Ladurie.
7. Considérons donc ce que cette problématique suppose et implique en tant que méthode d’accès à la 
tradition, à la fois comme transmission et comme culture. Sur quoi, en d’autres termes, repose la portée 
scientique de cette idée qui fait de la succession xée par le droit le témoin immédiat de la diérenciation  
des cultures ? L’appel à l’idée de « culture », tel qu’il sous-tend l’anthropologie historique, requiert que 
l’on subordonne l’existant singulier à ce qui l’englobe et le caractérise. Cette opération si usuelle ne va 
pourtant pas de soi. La collision de l’héritage et du tout social relève, pour devenir signicative, de cette 
procédure intellectuelle qui consiste à dénir le particulier local à la fois comme le fruit et l’indice d’une 
détermination plus large. En outre, pour alimenter de données cette induction, il convient de tenir pour 
acquises   deux  vérités  complémentaires :  l’autonomie   de  la   parenté  et  le   caractère   neutre du   droit. 
L’immédiateté de la relation de l’héritage à la culture ou à l’ « aire culturelle » suppose que les règles 
organisatrices de la parenté ne relèvent que d’elles-mêmes, sans aucune interférence, et que les actes et les 
documents juridiques, que l’on rencontre inévitablement dans toute enquête sur l’Occident, ne servent 
qu’à les reéter, à les enregistrer, à les valider, sans exercer elles-mêmes de puissance organisatrice. Nous 
allons examiner ces deux points avant d’envisager la question de la « culture » en domaine européen.
10 Art. cit., p. 222.
11 Jean Yver, Égalité entre héritiers et exclusion d enfants dotés. Essai de géographie coutumière, Paris, Sirey, Société d’histoire 
du droit, 1966 ; Henri Klimrath, « Études sur les coutumes »,  Travaux sur l’histoire du droit frança par feu Henri 
Klimrath, Paris-Strasbourg, 1843, II, p. 133-338 ; Charles Bourdot de Richebourg, Nouveau Coutumier Général ou Corps d 
coutum général et particulièr de France et d provinc connu so le nom d Gaul, Paris, 1724.
12 Henri Klimrath, « Essai sur l’étude historique du droit et son utilité pour l’interprétation du Code civil »,  Travaux, 
Ibidem, I, p. 12-13. On trouve diverses exploitations de la problématique, entre Klimrath et Yver, sans apport théorique 
majeur (voir Émile Jarriand, « La succession coutumière dans les pays de droit écrit », Revue historique de droit frança et 
étranger, 14, 1890, p. 20-79 et 222-268 et Alexandre de Brandt, Droit et coutum d populations rural de la France en 
matière successorale, Paris, Librairie de la société du recueil général des lois et des arrêts, 1901).
13 Pierre-Jean Grosley, Recherch pour servir à l’histoire du droit frança, Paris, 1752.
14 Pierre-Jean Grosley, De l’inuence d loix sur l mœurs, Nancy-Paris, 1757, p. 27.
15 Id., p. 33.
Clio@Thémis  - n°9, 2015