2
L’idée de révélation suppose l’existence d’un être divin capable de révéler ou de se révéler; c’est-
à-dire distinct du monde et doué de conscience, d’entendement, de volonté et d’action, à peu près
ce que nous appelons « personnel ».
Mais l’idée de révélation, et par conséquent d’un Dieu qui en soit l’auteur, n’est pas propre aux
trois seules religions juive, chrétienne et islamique; elle est très répandue dans l’univers des
religions; sa présence en deux ou trois points différents n’entraîne donc pas une parenté étroite et
riche de conséquences.
« Les religions des peuples du Proche-Orient qui environnaient le peuple d’Israël
étaient aussi, à leur manière, avec leurs dieux épiphaniques, des religions de la
révélation. Aussi la différence réelle ne se situe-t-elle pas entre les dieux dits naturels
et un Dieu de la révélation, mais entre le Dieu de la promesse et les dieux
épiphaniques. Il n’y a donc pas de différence lorsque l’on affirme simplement une
“révélation” divine, mais seulement lorsque se révèle et se montre la divinité.2 »
En d’autres termes, ce n’est pas tant la révélation qui importe que l’image de Dieu qu’elle livre, les
notions sur Dieu et les actes de Dieu qui déterminent cette image.
Si nous appliquons cette règle à notre sujet, les différences deviennent manifestes. Le Dieu de
l’islam ne quitte pas son secret, sa transcendance (la mystique, pourtant fort répandue en islam,
est toujours restée suspecte aux grands docteurs orthodoxes); il ne fait connaître quelque chose
de son être que par ses « noms », c’est-à-dire que sa connaissance reste, pour l’essentiel, au plan
cognitif. Le Dieu de l’Ancien Testament, par contre, visite Abraham, Jacob, Moïse; il « habite » au
milieu de son peuple; les prophètes sont tendus vers sa manifestation finale. Enfin, en Jésus-
Christ, Dieu se fait homme, le Fils éternel descend et s’incarne, devient un membre de l’humanité :
si l’incarnation n’est aujourd’hui connue que par la foi, il n’empêche qu’elle a réellement eu lieu, et
redeviendra un jour visible et manifeste, non pas dans un paradis surgi pour la circonstance, mais
dans le Royaume du Christ qui sera, avec des changements inouïs, cette même terre sur laquelle
nous marchons. Ici, la révélation n’est pas cognitive, mais réelle; c’est une venue personnelle, un
face à face, en même temps qu’une union intime. Allah révèle des paroles; le Dieu de la Bible
révèle et se révèle en quelqu’un qui est un autre lui-même.
Tous les attributs de Dieu, c’est-à-dire son image tout entière, se trouvent transformés par cet agir
si différent du Dieu biblique par rapport au Dieu coranique. Sa toute-puissance se manifeste dans
la faiblesse, dans l’abaissement. Sa sagesse ressemble à une folie. Sa liberté se lie : il devient au
premier chef le Dieu fidèle (attribut inconnu du Coran), fidèle à son élection, à sa promesse et à
son alliance. Sa miséricorde n’est pas une faveur majestueuse et arbitraire : elle renverse les
notions humaines les plus ancrées, car elle est le pardon du rebelle, de l’ennemi de Dieu; et elle
est coûteuse à Dieu qui sanctifie son Fils innocent. L’amour de Dieu (terme absent du Coran, au
sens où Dieu serait le sujet de cet amour), c’est son essence même; il se donne et se livre en
Jésus, il participe à la souffrance et à la mort de son Fils. L’on pourrait continuer.
Nous sortirions de notre sujet en faisant plus que mentionner à quel point revêtent une valeur et un
contenu différents tous les termes qui jalonnent et décrivent la relation historique de Dieu et de
l’homme : parole, prophétie, livre, loi, grâce, salut, etc. Et le sens même de l’histoire de Dieu et des
hommes; ainsi que des termes anthropologiques, en particulier celui de péché.
Parmi les attributs divins, il en est un que nous avons passé sous silence, nous réservant d’en
parler maintenant. C’est celui de l’unité, ou plutôt de l’unicité. En effet, il est courant, pour donner
2 Moltmann, Théologie de l’espérance, p. 41.