Nouveau théâtre de Montreuil – Centre dramatique national
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d'idéal artistique, ils cherchent à créer une pièce révolutionnaire. Je ne parle pas
d’avant-garde : il ne s’agit pas de montrer un acteur sur scène qui se tranche avec un
couteau, c’est du déjà-vu.
Ce sont des utopistes. Ils se heurtent à une muraille car il est très difficile de changer le
monde aujourd’hui et via le théâtre c’est quasiment impossible. C’est leur rêve, mais
c’est un échec. Dans la réalité, au Chili, nous assistons aussi à un véritable échec
idéologique, celui du socialisme. Tout comme en Europe, on a abandonné le socialisme
depuis bien longtemps. Cela provoque beaucoup de regrets. Le spectacle parle aussi de
l’échec de cet idéal de société démocratique, et comment l’art peut être un instrument
pour tenter d'atteindre cet idéal. »
Comment se situe Tratendo de hacer una obra para cambiar el mundo par rapport au
premier spectacle de la compagnie, Simulacro (2008), et par rapport au suivant La
Imaginacion del futuro (2013) qui sont basés sur une forme de provocation féroce?
Marco Layera : A la fin d’un spectacle, nous réfléchissons et cela nous mène à au
spectacle suivant. Cela naît de différents désirs. Pour celui-là, je voulais m’éloigner de
mon premier spectacle. En travaillant d’avantage sur le texte, j'ai voulu apporter une
réflexion intellectuelle. Ce n’est pas une pièce insolente comme les spectacles
précédents. L’imagination du futur parle des ministres qui veulent refaire l’histoire du
Chili. Simulacre parle de l’identité du Chili et des pays latino-américains. Dans ces
spectacles, nous critiquons et nous faisons de l'auto-critique. En tant qu’homme de
gauche, je m’interroge : ce rêve d’Allende valait-il la peine ? Ces dix-sept années de
dictature valaient-elles la peine ? A quoi bon cette utopie ? Le problème est que l’on
nous a appris à rêver, on a créé en nous des illusions. Dans cette perspective, notre
travail est provocateur. Allende est un saint, nous le rendons plus humain. Seule la droite
remet en question Allende, pas la gauche. La gauche ne se questionne jamais sur elle-
même, pourtant il me semble important de pouvoir nous regarder nous-mêmes plutôt que
de regarder celui qui pense différemment. Oui, Simulacro est un spectacle plus insolent,
plus dur ; il a fait dire à certains : « qui sont ces petits morveux qui maltraitent le
théâtre et la génération des optimistes ? ». Notre vision est effectivement pessimiste,
nos autres spectacles sont cruels, mais notre objectif est plus que de faire seulement un
spectacle différent. »
Vous avez déjà présenté Tratendo de hacer una obra... en Europe, depuis sa création en
2010. Le spectacle est-il reçu de manière différente par rapport au public chilien ?
Marco Layera : « Dans certains pays comme en Belgique, en France ou en Allemagne, on
fait des lectures différentes de celles faites ici au Chili. Il faut croire qu’en Europe on
est encore sensible au rêve socialiste. Il y a davantage d'émotions face à ce spectacle, il
est arrivé que des gens sortent en pleurant. Ce n’est pas le cas, ici. Au Chili, plus
personne ne s’intéresse au projet socialiste, on pense que c’est fini. On ne discute pas,
on essaye de cacher les choses. Le Chili veut devenir comme les États-Unis, alors il n’y a
plus de place pour la culpabilité et la réflexion. En Europe, ces questions sont encore
possibles car on se sent, je pense, davantage coupables d'avoir abandonné le
socialisme. »