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moderne. Kant oppose à la philosophie scolaire la philosophie du monde qui intéresse
tout homme. Schopenhauer se moque de la philosophie universitaire qui n’est que de
l’escrime devant un miroir. Thoreau déclare : « De nos jours, il y a des professeurs de
philosophie, mais pas de philosophes », et Nietzsche écrit : « Avons-nous appris la
moindre des choses que les Anciens enseignaient à leur jeunesse ? Avons-nous appris le
moindre trait de l’ascétisme pratique de tous les philosophes grecs ? » Bergson et les
existentialistes défendent la même conception, celle d’une philosophie qui ne serait pas
un échafaudage de concepts mais un engagement de et dans l’existence »
Pierre Hadot. Propos recueillis par Thierry Grillet. Nouvel Observateur du 10.07.2008.
« L’Europe a un lieu de naissance. (…) C’est la nation de la Grèce antique des VIIème et
VIème siècles avant Jésus-Christ. En elle naît une nouvelle sorte d’attitude des individus
à l’égard du monde environnant. Et en conséquence, s’effectue la percée en direction
d’une toute nouvelle sorte de configurations spirituelles qui rapidement s’accroissent
jusqu’à former une figure culturelle systématiquement cohérente ; les Grecs l’ont
nommée philosophie. En son sens originaire, correctement traduit, ce terme ne signifie
rien d’autre que science universelle, science de l’univers, de l’unicité de tout ce qui est.
(…) Je voudrais ici prévenir l’objection évidente selon laquelle la philosophie, la science
des Grecs, n’aurait pourtant rien d’absolument remarquable et ne les aurait en rien
attendus pour venir au monde. Pourtant, ils parlent eux-mêmes des sages Égyptiens, des
Babyloniens, etc. et, en vérité, ils apprirent aussi beaucoup de ces derniers. Nous
possédons aujourd’hui un flot de travaux sur les philosophies indienne et chinoise etc.,
lesquelles ne sont en rien analogues à la philosophie grecque. Néanmoins, on peut ne
pas vouloir effacer les différences principielles et omettre le plus essentiel. Le mode de
position du but est fondamentalement différent et, par là même, le sens des résultats
l’est aussi de part et d’autre. Seule la philosophie grecque, selon un développement
propre, conduit à la science des théories infinies, dont l’exemple et le modèle dominants
depuis des millénaires a été la géométrie grecque. La mathématique, l’idée de l’infini,
celle des tâches infinies, est une tour de Babel qui, malgré son caractère indéfini, reste
pourtant une tâche pleine de sens in infinitum. Le corrélat d’une telle infinité est
l’homme nouveau, les buts nouveaux de l’homme. »
Edmund Husserl, La crise de l’humanité européenne et la philosophie, Introduction,
commentaire et traduction par Nathalie Depraz, p.84-88