Sur les hauteurs du Kenya, uneSur les hauteurs du Kenya, une
communauté juive résistecommunauté juive résiste
Les autodidactes juifs de Kasuku, qui
prient en mélangeant l’hebreu et le kikuya,
luttent pour garder leur identité
Kasuku, Kenya – A un jet de pierres de l’équateur, près du lieu où les
hippopotames jouent dans le lac Naivasha, le vent hurle dans la vallée du
Grand Rift sur les montagnes du Kenya.
Dans les collines – à plus de 2 000 mètres au-dessus du niveau des mers et à
des kilomètres des routes pavées – se dresse une synagogue construite avec
des bâches en plastique.
Les murs sont faits de bois dégrossi, tout comme les bancs. La porte est un
vieux châle, et le sol, comme dans toutes les maisons environnantes, n’est
que poussière.
Dehors, quelqu’un a peint une étoile juive et les mots « Beit Midrash » en
bleu sur le plastique près de la porte.
Les 60 membres de la communauté juive Kasuku Gathundia, dispersés à travers
ces montagnes du Kenya, vivent comme des fermiers au cours de la semaine
grâce à l’élevage de vaches et la récolte de maïs.
Samedi matin, ils tirent un vieux houmash – un exemplaire relié de la Torah –
d’un sac de toile et lisent la parasha hebdomadaire, en partie en hébreu, en
partie dans la langue tribale locale, le Kikuya.
« La synagogue est petite, mais c’est un lieu de shechinah, affirme Yehuda
Kimani, en utilisant ce mot hébreu qui désigne la présence de Dieu ». Ce
Kimani de 26 ans est le chef passionné de la communauté juive de Kasuku, il
consacre sa vie à établir un lien entre ses rares membres et le reste du
monde juif.
Les Juifs africains ne sont pas un phénomène nouveau sur le continent.
Les Juifs Abayudaya ougandais sont passés d’un avant-poste isolé du judaïsme
à une communauté juive vibrante. Presque tous les Shabbat, ils reçoivent des
hôtes venus du monde entier, et présentent même la meilleure indication d’une
société juive saine et croissante : ils se divisent en synagogues
concurrentes.
Mais depuis 15 ans, un autre groupe d’agriculteurs africains lutte
tranquillement pour bâtir une vie juive au Kenya.
La communauté juive Kasuku est située près de la ville de Naharuru, à
l’intérieur du pays. Les montagnes où ils vivent forment un côté de la vallée
du Grand Rift africain. Sur l’autoroute, vous pouvez sentir le vide obstinant
de la vallée du Rift, juste au-delà du bord du tarmac, comme si le monde
était sur le point de s’échouer à vos pieds.
Le début de
l’histoire de la
communauté juive
de Kasuku n’est
pas bien clair.
Yossef Ben
Avraham Njogu,
patriarche de la
communauté et
père de Yehuda
Kimani, explique
que Kasuku est
aussi le siège de
l’importante
congrégation
juive messianique
kenyane.
Dans les années 1990, certains Juifs messianiques ont décidé qu’il était
temps de réaliser la prophétie et de s’installer en Israël. Ainsi, les
dirigeants de l’église messianique ont contacté l’ambassade d’Israël à
Nairobi et entamé le processus d’alyah en Terre sainte.
Njogu raconte que l’ambassade d’Israël et des représentants de la
Congrégation hébraïque de Nairobi (la capitale du Kenya) abritée dans une
synagogue vieille de 100 ans, constituée essentiellement d’expatriés, sont
venus visiter l’église messianique de Kasuku en 1998 pour voir si les rumeurs
sur une population juive locale étaient exactes. Cependant, ni l’ambassade ni
la congrégation de Nairobi n’ont de souvenir de cette réunion.
« Ils sont venus et ont
observé, ils se sont
rendu compte qu’ils
pratiquaient le
messianisme et non le
judaïsme, explique Njogu,
qui fut l’un des leaders
de l’église messianique.
Certains d’entre nous ont
commencé à s’interroger :
si ce n’est pas du
judaïsme, alors qu’est le
judaïsme ? »
Lui et d’autres membres de l’église se sont rendus dans la capitale, ont
participé à des services de la Congrégation hébraïque de Nairobi et ont
emprunté des livres de culte.
« Nous avons commencé à comprendre la différence entre le messianisme et le
judaïsme, et certains d’entre nous ont choisi de se tourner vers le
judaïsme », dit Njogu, assis dans son salon orné d’un drapeau israélien et
d’un grand alphabet hébraïque.
Mais la plupart des membres de l’église messianique n’étaient pas d’accord.
Donc, Njogu et un autre ancien de l’église, Avraham Ndungu Mbugua, ont pris
leurs distances et ont commencé à étudier le judaïsme en profondeur – y
compris l’observation du Shabbat et des autres fêtes – dans des livres sur le
judaïsme photocopiés à la bibliothèque.
Quelques autres familles ont quitté la congrégation messianique et rejoint le
petit groupe de familles qui étudiaient le judaïsme.
En 2002, le leader ougandais Abayudaya JJ Keki a visité Nairobi et rencontré
certains des membres de ce groupe local de Juifs kenyans autodidactes.
« C’était la première fois que nous entendions parler de l’existence de Juifs
en Ouganda, explique Njogu. C’était très intéressant pour nous, parce que
nous ignorions que d’autres Africains s’intéressaient au judaïsme. »
Les dirigeants d’Abayudaya ont visité Kasuku, à quatre heures de route de
Nairobi, en 2004. Ils ont invité dix des enfants kenyans à étudier à l’école
juive en Ouganda. En 2006, le rabbin Gershom Sizomu a converti la majorité de
la communauté juive du Kenya avec l’aide du Beit Din du Mouvement
conservateur américain.
Maintenant, les Juifs Kasuku sont considérés comme des membres à part entière
de la communauté juive d’Abayudaya et du Mouvement conservateur mondial.
Cependant, alors que la communauté juive ougandaise augmentait
considérablement au cours de la dernière décennie grâce à un soutien
international, la communauté juive kenyane avait du mal à croître en raison
de l’extrême pauvreté et de l’isolement.
Alors que la communauté de Kasuku bénéficiait d’une certaine reconnaissance,
elle n’entretenait aucun lien avec la Congrégation hébraïque de Nairobi, ni
avec l’ambassade d’Israël.
« L’ambassade a pleinement connaissance de leur existence, mais il n’existe
pas beaucoup de contacts, déclare le porte-parole du ministère des Affaires
étrangères Emmanuel Nahshon. J’ignore si cette communauté est juive ou non,
et l’ambassade d’Israël n’est certainement pas le bon organisme pour
déterminer si une personne est juive ou non, ce n’est pas notre travail. »
« Personne dans la communauté n’a de souvenir de cette réunion [entre
l’église messianique et de la Congrégation hébraïque de Nairobi], déclare
Ashley Myers, le Secrétaire honoraire de la Congrégation. »
Myers remarque que les années précédentes, ils avaient parfois des invités
africains qui venaient assister à des services de Shabbat, mais il n’est pas
sûr qu’il s’agissait des membres de la communauté Kasuku.
« La communauté orthodoxe ne les considère pas comme Juifs, nous n’avons pas
plus à faire avec eux qu’avec tout musulman ou chrétien », ajoute Myers.
Manger casher à Kasuku
La lutte pour pratiquer le judaïsme dans le Kenya rural est un combat
quotidien contre l’isolement et la pauvreté. C’est seulement lorsqu’on est
confronté à ce genre d’isolement que les objets nécessaires aux rituels juifs
deviennent précieux. Des livres, bien sûr, mais aussi des mezuzot, des
rouleaux de la Torah, des tefilines ou du vin casher.
« Quand arrivent les
Haggim [fêtes], nous ne
disposons pas de ce
qu’il faut – le vin, la
Matsa, un loulav, un
Etrog etc., déplore
Avraham, l’un des
anciens qui a rompu avec
Njogu. Nous avons
entendu parler du
loulav, mais nous ne
savons pas ce que
c’est. »
Kaningi souligne que même certains objets, comme un os pour le Seder de
Pessah, sont impossibles à obtenir parce qu’ils n’ont pas de boucher casher.
Les voisins sont également sceptiques à propos de cette « nouvelle »
religion.
« Ils nous demandent : ‘A quel point êtes-vous juif ? Pouvez-vous respecter
toutes ces lois ?’, relate Kaningi. C’est comme s’ils se moquaient de vous,
ils ne comprennent pas ce que cela signifie, de sorte qu’il peut être
difficile d’interagir avec eux. Quand ils ont des fêtes le samedi et vous ne
pouvez pas y aller, ils ne comprennent pas et pensent que vous ne voulez pas
y participer. Les écoles n’acceptent pas que vous manquiez quelque chose le
samedi. »
Un autre problème est la circoncision. Au Kenya, la circoncision est un rite
pratiqué habituellement à la puberté, pendant les vacances d’été, après la 8e
année.
Le ministère de la Santé du Kenya refuse de permettre à la communauté juive
de circoncire les garçons à huit jours, alléguant que c’est une coutume
barbare. Cela signifie que la communauté doit se rendre en Ouganda pour le
rituel, et doit attendre que la mère et le bébé soient assez solides pour
entreprendre le voyage difficile.
La communauté ougandaise d’Abayudaya est à 12 heures de route en bus de
Kasuku, ainsi, les enfants doivent choisir entre recevoir une éducation juive
et rester à la maison.
En outre, la communauté ougandaise est située dans les basses terres
tropicales. Les enfants kenyans, qui ont grandi dans les montagnes sans
moustiques, n’ont aucune défense naturelle contre les moustiques et sont
souvent affaiblis par le paludisme, obligeant certains à rentrer chez eux.
Lorsque les enfants grandissent, il y a aussi la question de trouver un bon
shiddukh [partenaire] juif.
La communauté planifie la construction d’une synagogue. Ils doivent lever 10
000 dollars pour la construction, mais disposent déjà de la terre et du plan
d’un architecte associé à Koulanou, une organisation à but non lucratif de
New York qui aide les communautés juives isolées dans le monde entier.
Yehuda Kimani, le fils
aîné des 13 enfants de
Njogu, est le plus
grand défenseur de la
communauté. Il fait
des études de
tourisme. Quand il
sera diplômé l’an
prochain, il espère
commencer à organiser
des safaris « juifs »
pour les touristes
internationaux,
combinant un safari
traditionnel avec un
Shabbat à Kasuku, afin de fournir une source durable de revenus à la
communauté.
Le frère de Kimani Samson est actuellement en Ouganda dans la yeshiva de
Rabbi Sizomu et étudie pour devenir un chef spirituel pour la communauté
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