LES DYNAMIQUES DE LA LÉGITIMITÉ DU POUVOIR LOCAL AU CAMEROUN Du mirage des phénomènes répétitifs Sociologie africaine Collection dirigée par Valentin NGA NDONGO D’après Georges Gurvitch, « la sociologie est une science qui fait des bonds, ou au moins fluctue, avec chaque crise sociale de quelque envergure ». Cette assertion sied fort bien à la sociologie africaine. La conjoncture sociopolitique actuelle crée comme une sorte de « printemps de la sociologie en Afrique », pour emprunter la savoureuse formule d’Albert Bourgi. Après bien des vicissitudes, en effet, la sociologie a fini par sortir du ghetto où l’avait confinée le régime de la pensée monolithique pour acquérir ses lettres de noblesse, à la faveur d’une double et pressante demande venant d’une société civile émergente et d’une communauté internationale plus que jamais déroutée face à une Afrique noire toujours déconcertante et « ambiguë », selon le mot de Georges Balandier. Mais si le temps de la sociologie africaine s’impose, il reste que celle-ci doit encore convaincre de la crédibilité de ses paradigmes, de la solidité de ses méthodes ainsi que de la spécificité de ses problématiques, de sa vocation et de ses enjeux politiques et géopolitiques dans le monde d’aujourd’hui. La sociologie africaine doit également démontrer qu’elle n’est pas une sociologie argotique, tropicalisée, périphérisée, adossée à quelque absurde revendication raciale mais qu’elle est une sociologie tout court, une sociologie prométhéenne, c’est-à-dire une appropriation, par les Africains, d’un savoir qui, ayant longtemps servi à leur oppression, doit désormais constituer l’instrument par excellence de leur libération. La présente collection se veut donc un espace public, au sens habermassien, de réflexion et de débat pour la défense et l’illustration d’une sociologie africaine à refonder. Déjà parus : Valentin NGA NDONGO, Jean Mfoulou, Jean-Marc Ela : deux baobabs de la sociologie camerounaise, 2010. Joseph DOMO, Le nord du Cameroun. Mythe ou réalité, 2010. Valentin NGA NDONGO et Emmanuel KAMDEM (dir.), La sociologie aujourd’hui : une perspective africaine, 2010. Gabriel Etogo LES DYNAMIQUES DE LA LÉGITIMITÉ DU POUVOIR LOCAL AU CAMEROUN Du mirage des phénomènes répétitifs Préface du Pr Valentin Nga Ndongo © L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-96656-7 EAN : 9782296966567 Ouvrage publié avec le concours de la PAPETERIE IMPEX TEAM SARL 39, rue Dominique Savio primaire – Bonapriso Pour ma maman, et pour mon papa À la mémoire de tonton, à celle de papa T., trop tôt disparus Et à vous «monseigneur», où que vous soyez Remerciements Au moment où j’effectue mes premiers pas de chercheur, qu’il me soit permis de dire un mot à l’endroit des personnes qui ont généré et nourri les évolutions de ce travail intellectuel. En cela, la variante actualisée à mon livre a bénéficié du regard bienveillant, éclairé, et des discussions que j’ai eues avec les professeurs Janvier Onana, Louis Paul Ngongo, Pierre Fabien Nkot et Valentin Nga Ndongo. Bien que je sois l’auteur de ces lignes, leurs analyses particulièrement pénétrantes m’ont poussé à glisser sur certaines délicatesses du langage. De la sorte, ma dette envers ces maîtres de la science est grande par rapport aux observations qu’ils ont faites aux textes préliminaires. J’ai beaucoup appris à leur côté, tant et si bien que je leur sais profondément gré d’avoir activement pris part à la matérialisation de cet ouvrage. Mes remerciements vont au docteur Pierre Isidore Mbouombouo, complice des questions urbaines, qui m’a superbement proposé cet axe de recherche. C’est peut-être avec lui que cette stimulante réflexion a véritablement pris corps. Assurément, au cours de nos longues et enrichissantes conversations, il m’a amené à mieux comprendre les faits politiques que je m’étais engagé à observer. J’ai eu le plaisir de m’entretenir avec le docteur Serge Paulin Akono Evang, dont les analyses politiques m’ont été, entre autres, précieuses. Toute mon obligation au professeur Faustin Mvogo, relativement à la conjonction minutieuse des informations diverses recueillies sur le sujet et à sa relecture attentive. Pour l’épistémologie et la méthodologie, la contribution du professeur Camille Ekomo Engolo a été décisive de par ses remarques et sa critique sans complaisance. J’ose conjecturer 11 Gabriel Etogo qu’il se reconnaitra de quelque façon que ce soit dans la présente version. Je dis ma gratitude aux doctorants Ghislain Steve Etogo et Jean Roger Abessolo Nguéma pour leurs commentaires sur les idées que j’exprime dans cette publication. Je remercie le docteur Armand Leka Essomba qui a bien voulu lire la mouture finale de cet essai. Un merci particulier au professeur Raymond Boudon, ma plus grande source d’inspiration, pour le message qu’il m’a cordialement adressé. Il sait toute mon affection. Les professeurs Roberta Cafuri et Jean-Pierre Olivier de Sardan m’ont félicité et autorisé à citer leurs travaux. Je m’en voudrais de ne pas leur exprimer toute ma gratitude. Un grand merci à Marie Anne Onguéné Mbolo qui, dès la lecture de la première version de cet ouvrage, n’a eu de cesse de me rappeler de garder le sens des proportions. Ce travail est le résultat de longues confrontations d’idées. Parmi les nombreux relecteurs dont les remarques, de temps à autre pertinentes, ont contribué au polissage du manuscrit, je dis particulièrement merci à Alexandre Mbassi pour son assistance. Ma reconnaissance va à mes répondants, dont les informations, encore plus que les réponses, me donnent jour après jour de nouveaux axes de recherche. Sans prétendre être exhaustif, je cite pêle-mêle madame Atangana Etémé, messieurs Marcel Mbono, Jean-Paul Awouda, Gallus Monti Ekani, Louis Zoa, Joseph Ndzié, Henri Atangana, Jean-Marie Etaba Mintolo, Guillaume Cyriaque Edzogo, feux Etienne Elouna Messi et Joseph Biloa Mbassi, Fidèle Messi Kélé, Albert Etémé Mfégué, Pascal Atangana, etc. 12 Les dynamiques de la légitimité du pouvoir politique local au Cameroun Je reconnais l’appui financier de madame Atsa Marianne, messieurs Simon Pierre Ediba et Luc Ndjodo. La publication de ce texte s’est faite progressivement et n’aurait peut-être pas encore été possible sans l’intervention et la grandeur d’âme d’un homme. Je remercie monsieur Antoine Darazi pour son soutien constant. Il sait toute ma considération. Enfin, je dis merci à mes neveux Francine et Léandre du bonheur qu’ils m’ont donné. 13 Le sociologue doit assumer pleinement la qualité et l’insuffisance que contient le terme d’essayiste : il ne peut que s’essayer à atteindre une connaissance pertinente, et il doit s’y essayer en prenant ses risques intellectuels. Le sociologue doit accepter la limitation inhérente au terme d’auteur mais en même temps assumer la mission qu’il comporte : s’engager personnellement dans son interrogation des phénomènes et des évènements ; s’aventurer dans son diagnostic et son pronostic ; problématiser de façon critique ce qui semble évident ou naturel, mobiliser sa conscience et sa réflexion d’humain et de citoyen, élucider ses paris intellectuels. Autant il doit rechercher et utiliser les données fiables et vérifiables, autant il doit développer une pensée personnelle. Au lieu de se réfugier dans un jargon anonyme qu’il croit scientifique, il doit s’engager dans son écriture singulière et ainsi s’affirmer auteur. Edgard Morin, Sociologie (Edition revue et augmentée par l’auteur), Paris, Fayard, 1994, p. 13. Préface Il me fait grand plaisir de promouvoir auprès du public camerounais, tant de la diaspora que de l’intérieur et, au-delà, du public international, le tout premier essai de Gabriel Etogo, jeune chercheur et doctorant en sociologie. Prolongement d’une réflexion entamée, en 2009, dans son mémoire de maîtrise de sociologie urbaine, dont j’ai assuré la direction scientifique, cet essai présente le triple mérite de constituer : une monographie sur la détermination des caractéristiques générales qui organisent le rapport différentiel des acteurs de la vie politique au pouvoir local à Obala (commune d’arrondissement dans le département de la Lékié, région du centre - Cameroun) ; une relecture d’un certain nombre de mythes politiques locaux ; une investigation à la jointure de deux temporalités politiques. L’ouvrage fait également le point, avec bonheur, des différentes questions relatives à la légitimité du pouvoir local, à l’éligibilité au pouvoir local et, partant, s’inscrit avantageusement dans la perspective de cette sociologie africaine que je m’efforce de construire, depuis 2003, et qui à l’heure actuelle, vit son processus de falsifiabilité et de réfutabilité, pour emprunter à l’épistémologue Karl Popper. Etogo a su donc apporter une contribution remarquable au projet théorique vers lequel j’engageais moi-même, à la suite de Jean-Marc Ela, les sociologues africains1. Il s’agit d’une intuition originale, dans la mesure où Etogo amorce une étude de sociologie politique locale, dans un contexte où la tendance générale des investigations néglige ce type de recherche. Une compréhension des procédures de rationalisation de la représentation politique locale, dans une conjoncture de pluralisme institutionnel et de «compétition clanique», peut 1 V. Nga Ndongo : Plaidoyer pour la sociologie africaine, Yaoundé, PUY, 2003. 17 Gabriel Etogo ainsi aider à saisir ce qui fait la singularité de la dynamique du pouvoir communal dans certaines régions du Cameroun. Sans pour autant avoir la prétention d’épuiser le sujet, l’auteur nous livre une réflexion simple, claire et accessible, posant, en quelque sorte, les jalons d’une analyse à poursuivre et à approfondir. Puisse la recherche de Gabriel Etogo, qui représente une contribution positive et significative à la sociologie africaine en construction, servir d’exemple à suivre, voire à dépasser par d’autres jeunes chercheurs africains, relativement à leur engagement pour le devenir d’une Afrique ballotée par les défis d’une mondialisation de plus en plus incertaine pour le continent noir. Professeur Valentin NGA NDONGO Chef de département de sociologie (Université de Yaoundé I) 18 Avant-propos La présente étude développe un thème que j’avais sommairement évoqué dans un mémoire de sociologie urbaine soutenu près l’Université de Yaoundé I sous le titre «Les conflits claniques dans la commune d’Obala au Cameroun». C’est que, précisément, cet essai est le fruit de recherches personnelles que je mène depuis près de cinq ans. Et en raison de cette singularité, il m’avait d’abord semblé intéressant de ne pas me plonger dans l’exploitation des travaux de recherche qui auraient précédé celui-ci et, partant, de ne pas rédiger un ouvrage d’érudition2. D’ailleurs, il aurait été rébarbatif d’aborder, même dans un style lapidaire, toutes les productions, empiriques ou théoriques, qui s’intéressent, par certains de leurs aspects, à des préoccupations de nature identique aux miennes. J’avais alors voulu alléger ce livre non seulement en m’adonnant à un travail constructif, mais aussi et surtout en essayant de situer ce travail de recherche par rapport à mes «explications» antérieures. Il est même possible que je ne m’arrête de penser que j’aurais gagné davantage en œuvrant dans ce sens. Ce faisant, j’ai tout de même choisi de convoquer quelques penseurs politiques, souvent, pour des raisons de collusion intellectuelle. J’ai aussi cru bien faire en procédant de la sorte. C’est au demeurant pourquoi, sans rien changer au contenu du mémoire, j’ai opté pour une autre approche du sujet. Mais avant d’aller plus loin et de m’appliquer à mettre en relief ce qui caractérise cette investigation, j’aimerais dire les conditions dans lesquelles elle a pris corps. Tout de suite, j’ai jugé opportun de préciser cela dans le but de désigner l’élément M. Dogan et R. Pahre : L’Innovation dans les sciences sociales : la marginalité créative, Paris, PUF, 1991. Pour ces deux auteurs, le patrimoine est propriété collective. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de citer les créateurs d’un concept ou d’une théorie chaque fois qu’on l’utilise. 2 19 Gabriel Etogo le plus important, l’objet de cet ouvrage - les phénomènes répétitifs3. Cet objet pénètre un univers particulier et original. Au premier jet, quand j’ai entrepris la rédaction de cet opuscule, j’étais presque convaincu que le champ politique, à Obala, était la chasse gardée des hommes politiques appartenant aux deux clans qui, jusqu’alors, avaient «restreint» et «privatisé» le périmètre politique officiel. Rien de plus, l’observation attentive et méthodique de l’environnement social et politique de cette société m’a contraint à jeter un regard critique sur ce fait qui me paraissait arrêté. Je réalisai aussitôt que si je voulais comprendre les évènements ayant présidé à l’écriture de ce texte, il était nécessaire de revenir sur certains aspects du sujet passés inaperçus, certainement les plus pertinents et les plus déterminants, que j’avais malencontreusement occultés. Si bien que le regard que je porte sur les phénomènes répétitifs que je m’en vais vous exposer ne provient pas du fait qu’ils n’interviendraient pas dans le champ politique ; même s’il est tout aussi difficile d’affirmer que c’est pour ce que mvog-kani et essélé seraient plus compétents politiquement au sens gaxien4 du terme que, curieusement, les 3 Par phénomènes répétitifs j’entends, les manifestations régulières de l’activité sociale et politique qui ont cours à différents moments de développement des conjonctures et trajectoires sociopolitiques dans une société donnée, ce, de façon en apparence similaire. En sorte que le mirage des phénomènes répétitifs renvoie aux dissimilitudes qui opposent ces différentes conjonctures et trajectoires sociopolitiques - relevant de différentes histoires -, de manière à faire remarquer les traits caractéristiques au fondement de leurs singularités et dynamiques propres, et de les interpréter par rapport aux savoirs en cours dans la société concernée. Ceci en explicitant les différenciations entre les moments de développement des conjonctures et trajectoires sociopolitiques. 4 D. Gaxie : Le Cens caché (Inégalités culturelles et ségrégation politique), Paris, Seuil, 1978. Cet auteur définit la compétence comme l'aptitude à opérer une construction politique de l'espace politique et à 20