
Quelle autonomie pour le patient face au projet technique de soins – E.ROUCHON
d’utiliser, d’exercer son propre entendement), la personne dont le handicap physique ou mental altère la
faculté de juger (quel que soit son âge) et, a fortiori, celle qui est dans un état d’inconscience rendant
impossible cet usage. C’est là que le recours à la personne de confiance et/ou aux directives anticipées
(thème abordé dans d’autres conférences) peut permettre parfois de lever l’obstacle.
Cette référence centrale à l’autonomie de la personne malade est fondée dans notre culture sur une
conception philosophique du sujet et de ce qui le définit dans son essence : le libre-arbitre indissociable
(nous allons le voir) de la faculté de juger appelée encore raison ou « bon sens » qui est, selon, la
formule de Descartes « la chose du monde la mieux partagée » i-e universelle. Pour en préciser le
contenu nous essaierons d’en dégager les facettes, en laissant de côté la dimension physique celle qui
consiste à pouvoir se déplacer librement dans l’espace en utilisant les forces dont dispose son corps et à
accomplir un certain nombre de gestes sans le secours d’autrui. Bref ce qui peut être évalué et mesuré et
qu’on qualifie aussi bien d’indépendance. D’emblée si nous prenons en compte sa dimension
« intellectuelle », la définition de l’autonomie s’enracine dans la philosophie des Lumières et plus
particulièrement dans l’anthropologie morale de Kant. Dans son opuscule intitulé « Qu’est-ce que les
Lumières » (1784), l’auteur constate que la raison permet à tout homme (elle est universelle) de
conduire une réflexion cohérente, ordonnée, et personnelle pour peu qu’elle ait été éduquée à son
propre exercice (c’est la finalité de l’éducation au sens large du terme).La pensée libre est celle qui
parvient à s’affranchir de toute tutelle extérieure : celle des opinions étrangères, des préjugés, des
superstitions, mais aussi des passions et des intérêts, etc … et à s’appuyer sur le seul entendement du
sujet. Selon la formule de Kant c’est « la capacité à se servir de son propre entendement » ou encore « le
courage de penser par soi-même » (dont il fait la devise des Lumières : « sapere aude ! Ose penser par
toi-même ! ») On retrouve ici le sens étymologique du mot « autonomie » formé sur les deux mots
grecs : le pronom autos : soi-même et le nom nomos : la loi. L’autonomie c’est la capacité de se donner
sa propre loi, par opposition à l’hétéronomie, état d’une personne qui pense (et agit) sous la conduite
d’un autre, qui est soumise à une règle étrangère. Le défaut de discernement est la principale cause de
l’hétéronomie mais parfois aussi la paresse ou la lâcheté (Kant remarque par exemple ,dans le texte cité
qu’ « Il est commode d’être sous tutelle…si j’ai un livre qui a de l’entendement à ma place, un directeur
de conscience qui a de la conscience à ma place, un médecin qui juge à ma place…je n’ai alors pas moi-
même à fournir d’efforts…Il n’est pas nécessaire de penser dès lors que je peux payer ; d’autres
assumeront bien à ma place cette fastidieuse besogne . »)
Il reste que c’est pourtant cela, l’effort de penser par soi même, qui permet à la personne de réfléchir à
ses objectifs et de préciser ce qu’elle pense être bon pour elle. Le médecin n’est pas seul juge (malgré
son savoir et son savoir-faire) de ce qui convient à son patient dans le cadre d’un projet thérapeutique
dont il maîtrise les dimensions scientifique et technique , c’est-à-dire celles qui (dans des conditions
données, à préciser) sont applicables à tous les sujets porteurs d’une même pathologie . L’autonomie de
la pensée conditionne celle de la volonté qui n’est autre que la faculté du sujet à s’auto-déterminer c’est-
à-dire à choisir en son nom .En ce sens, c’est au patient de s’engager activement dans le processus du
soin en disant ce qui lui apparaît raisonnable, convenable ou préférable pour lui, dans la situation
singulière qui est la sienne. A sa charge d’énoncer aussi le cas échéant ce qu’il souhaite ne pas assumer,
ce qu’il pense ne pas pouvoir supporter dans le cadre du projet de vie qui est le sien. C’est dans cet