Justice / Portail / Le procès du duc d`Enghien

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"Qu'il est affreux de mourir ainsi de la main des Français." - Louis de
Bourbon-Condé, duc d'Enghien
"Assassinat" pour les uns, "exécution légale" pour les autres, la
condamnation à mort du duc d'Enghien, peu avant l'avènement du
Premier Empire en 1804, n'en finit pas de faire couler beaucoup d'encres.
Marque indélébile de l'épopée napoléonienne, elle est décriée par les
détracteurs de Napoléon Bonaparte qui fustigent pour l'occasion son
attitude purement dictatoriale. Ses admirateurs, au contraire, ne peuvent
que saluer la mort du duc, sacrifié sur l'autel du tout nouvel Empire
naissant.
Retour sur un procès rapidement expédié et qui aurait peut-être pu, en
cas de dénouement différent, rallier les partisans de la monarchie à la
cause impérialo-bonapartiste.
CONTEXTE
Napoléon Bonaparte, alors consul à vie au début de l'année 1804, est au fait de sa puissance ; puissance aussi bien
politique, avec les "masses de granit" réformant la société française, que militaire, depuis la victoire de Marengo quatre ans
plus tôt et la signature de la paix d'Amiens avec l'Angleterre en 1802. Ainsi rien ne semblait arrêter l'ancien général de la
République qui rêvait désormais d'un pouvoir impérial, dynastique et sans limite.
Mais ce présent état de grâce n'était pas sans faire oublier au futur empereur la fragilité d'une telle situation : les menaces
de reprise de guerres à l'Est et les récents complots contre sa personne et ses proches (notamment l'attentat de la rue
Saint-Nicaise le 24 décembre 1800 et la "conspiration de l'an XII" en 1803) instaurèrent un climat paranoïaque et délétère
au plus haut sommet de l'État.
Forcé de réagir à ces attaques, le gouvernement consulaire décida de frapper fort et de faire littéralement un exemple.
Mais qui serait la cible de cette répression ? Les noms les plus fous circulèrent pendant les réunions de crise, comme
ceux des frères de Louis XVI, mais l'attention se porta tout particulièrement sur un autre héritier de la maison de France :
Louis de Bourbon-Condé, cousin du défunt roi.
Émigré à Etteinheim, à quelques kilomètres de la frontière française, le jeune prince était protégé par le duché souverain de
Bade, alors allié de la France. Au mépris de toutes les règles du droit des gens qui le protégeait, le duc d'Enghien fut enlevé
sur ordre de Savary, le chef de la la police de Bonaparte, dans la nuit du 15 et 16 mars 1804 et ramené de force à
Strasbourg pour être transféré cinq jours plus tard au château de Vincennes.
L'INSTRUCTION
Une commission militaire fut alors immédiatement formée pour juger le prisonnier, "prévenu d'avoir porté les armes contre
la République, d'avoir été et d'être encore à la solde de l'Angleterre [de nouveau ennemi juré de la France depuis la
dénonciation du traité d'Amiens de 1802 et la déclaration de guerre des britanniques du 22 mai 1803], de faire partie des
complots tramés par cette dernière puissance contre la sûreté intérieure et extérieure de la République" (arrêté du 29
ventôse an XII signé par le Premier Consul Bonaparte). Fait important, ces chefs d'accusation relevaient à l'époque des
juridictions ordinaires et non des juridictions militaires...
Le capitaine-rapporteur commença à interroger le duc d'Enghien dans la nuit du 20 au 21 mars à partir de minuit alors
même que les interrogatoires n'étaient en théorie possibles que de jour. Quoiqu'il en soit, le détenu eut à répondre de sa
connexité présumée avec l'Angleterre et de ses possibles tentatives d'attentat sur le sol français, ce qu'il nia en bloc. Il
sollicita même une audience privée avec Napoléon Bonaparte, demande restée sans réponse et qui coupa court à
l'interrogatoire. Cela induisant que la désignation du défenseur, obligatoire selon l'article 19 de la loi du 13 brumaire an V (3
novembre 1796) qui réglait la procédure devant être observée durant les conseils de guerre, ne fut pas entérinée.
Enfin, les militaires chargés de l'instruction du procès n'avaient en tout et pour tout en leur possession qu'un seul document
en guise de preuve.
LE PROCÈS
Sûrement l'un des plus rapides au monde, le procès consista pour le juge à faire amener le coupable présumé devant lui et
à lui signifier sa condamnation. Pour respecter un semblant de procédure, ce premier lui présenta la seule preuve à charge
constitutive de la sentence finale (et bien évidemment aucune à décharge), à savoir l'acte de renvoi devant la juridiction
militaire. Autrement dit, cet acte de procédure avait à lui seul valeur de culpabilité pour la juridiction militaire !
Vu l'objective teneur expéditive des débats, aucun témoin, même en défaveur de l'accusé, ne fut entendu cette nuit là.
Toute cette procédure aboutit enfin sur la sentence finale, prononcée par le juge et copiée littéralement dans l'instant :
La Commission, après avoir donné au prévenu lecture de ses déclarations par l'organe de son Président, et lui
avoir demandé s'il avait quelque chose à ajouter dans ses moyens de défense, il a répondu n'avoir rien à dire de
plus, et y persister. - Le Président fait retirer l'accusé. - Le conseil délibérant à huit-clos, le Président a recueilli
les voix, en commençant par le plus jeune en grade ; le Président ayant émis son opinion le dernier, l'unanimité
des voix l'a déclaré coupable, et lui a appliqué l'article... de la loi du... ainsi conçu ; et en conséquence l'a
condamné à mort.
Une seule remarque : l'article 35 de la loi précitée du 13 brumaire an V obligeait le juge à lire à haute voix le texte de la loi
incrimant le condamné, après lui en avoir d'ailleurs fourni un exemplaire papier selon l'article 25, articles non respectés en
l'espèce puisque les blancs laissés à la fin du jugement sont d'origine.
Ainsi la condamnation fut autant obscure pour le duc d'Enghien que pour l'Histoire, fait rare dans les affaires relevant de
façon évidente de la raison d'État.
ÉPILOGUE
Le cousin de Louis XVI fut fusillé quelques heures plus tard et jeté dans une fosse du château de Vincennes. La petite
histoire rejoignant la grande, il est avéré que le Premier Consul, pris de remords ou bien soucieux d'adopter une attitude
plus représentative d'un chef d'État, a envoyé une lettre de grâce pour le duc dans la nuit. Mais cette missive, partie trop
tard, n'arriva jamais jusqu'à la Commission : on raconte que Talleyrand ou Fouché, tous deux ministres de Bonaparte,
aurait intercepté l'ordre pour ne sciemment pas la transmettre au principal intéressé.
source : www.justice.gouv.fr
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