MINISTÈRE DE L’AGRICULTURE DE L’AGRO-ALIMENTAIRE ET DE LA FORÊT L’ÉCONOMIE RÉSIDENTIELLE : l’autre composante du développement local Note à destination des élus de Champagne-Ardenne Juin 2012 Sylvain BAUDET, Chargé de mission Tél. : 01.43.92.67.97 - [email protected] 02 OBJECTIFS DE LA NOTE • Ouvrir des pistes de réflexion et de questionnement renouvelés pour l’action territoriale. • Prendre en compte et intégrer l’ensemble des ressorts du développement économique territorial dans les politiques publiques. LE CONSTAT La croissance économique régionale n’est pas, à elle seule, synonyme de développement territorial et social. Pour preuve, en région Champagne-Ardenne, on observe un hiatus entre le niveau de création de richesse produite sur le territoire (mesuré par le PIB par habitant), d’un côté, et le niveau moyen des revenus des habitants de la région, de l’autre. • Le PIB régional par habitant positionne la Champagne-Ardenne au 6e rang national (loin derrière l’Île-de-France mais devant l’Aquitaine). Cette situation plutôt flatteuse s’explique par une productivité apparente du travail plutôt forte dans le secteur industriel (surreprésenté au niveau régional), et singulièrement dans le secteur de l’agro-alimentaire régional, liée au poids de l’économie du Champagne. Dans ce domaine d’activité, elle est évaluée à un niveau bien supérieur à ce qu’elle est ailleurs en moyenne (80 000 euros / 50 000 euros par emploi et par an - source INSEE). • En revanche, les revenus moyens de la population champardennaise se situent en moyenne au 16e rang parmi les régions métropolitaines (données INSEE 2009), et le chômage reste à un niveau structurellement supérieur à la moyenne nationale. \L’ÉCONOMIE RÉSIDENTIELLE : l’autre composante du développement local 03 PIB par habitant en 2009 - comparaisons régionales Île-de-France Rhône-Alpes Provence-Alpes-Côte d'Azur Alsace Haute-Normandie Champagne-Ardenne Aquitaine Pays de la Loire Midi-Pyrénées Métropole sauf Île-de-France Bretagne Centre Bourgogne Auvergne Poitou-Charentes Franche-Comté Nord-Pas-de-Calais Basse-Normandie Limousin Lorraine Corse Picardie Languedoc-Roussillon 0 5 000 10 000 15 000 20 000 25 000 30 000 35 000 40 000 45 000 50 000 Revenus par habitant en 2009 - comparaisons régionales Île-de-France Alsace Rhône-Alpes Centre Aquitaine Provence-Alpes-Côte d'Azur Bretagne Haute-Normandie Midi-Pyrénées Franche-Comté Bourgogne Métropole sauf Ile-de-France Pays de la Loire Lorraine Picardie Limousin Champagne-Ardenne Auvergne Poitou-Charentes Basse-Normandie Corse Languedoc-Roussillon Nord-Pas-de-Calais 0 5 000 10 000 15 000 20 000 25 000 04 POURQUOI CE DÉCOUPLAGE ENTRE RICHESSES CRÉÉES ET REVENUS DES POPULATIONS RÉSIDENTES ? Plusieurs pistes de réflexion : • Une première piste consiste à mieux mobiliser et orienter les revenus du capital pour un ré-investissement dans les projets économiques locaux. Les détenteurs de capitaux investis dans la région sont situés pour une part importante en dehors de la région, notamment dans le secteur viticole (Cf. La part des groupes nationaux dans les maisons de Champagne où l’activité produit des forts taux de marge - près de 40% contre 20% en moyenne) qui, pour une part importante, ne sont pas fixés et réinjectés dans l’économie locale sous forme de dépenses d’investissement ou de consommation. C’est un manque à gagner en termes de retombées en activités et en emplois pour les territoires de Champagne-Ardenne. PISTES DE RÉFLEXION À CREUSER Peut-on mieux mobiliser et orienter l’épargne et les profits pour un réinvestissement dans des projets économiques locaux ? Y a-t-il des voies d’actions possibles pour accroître les retombées économiques et en emploi de ces activités sur les territoires ? (Cf. Par exemple, développer les synergies possibles entre économie du Champagne et activités touristiques.) • Une autre piste consiste à porter l’attention sur les revenus dits de la « Base résidentielle » et à voir de quelle(s) manière(s) il pourrait être possible d’accroître la contribution de ces revenus résidentiels à générer de l’activité et de l’emploi dans les territoires (Cf. Encadré ci-contre). Le véritable enjeu du développement d’un territoire n’est pas de créer plus de richesses, mais d’en capter le plus possible : revenus tirés de l’exportation ou des services produits localement mais aussi revenus des pensions de retraite, salaires versés aux actifs résidant sur le territoire mais travaillant ailleurs, touristes de passage, ... Autant de revenus dits de la Base « résidentielle ». \L’ÉCONOMIE RÉSIDENTIELLE : l’autre composante du développement local 05 Un cadre d’analyse approprié : la « théorie de la Base » ou la prise en compte de l’économie résidentielle La « théorie de la Base » propose une grille d’analyse des dynamiques territoriales qui s’appuie sur l’évaluation du volume et de la provenance des revenus disponibles sur un territoire (les revenus « basiques »). Elle repose sur l’idée que le développement d’un territoire dépend de deux faits générateurs : Le premier fait générateur : capter des revenus tirés de l’extérieur Suivant le postulat de la théorie de la Base, le premier fait générateur de développement pour un territoire renvoie à sa capacité à capter des revenus tirés de l’extérieur. Un premier champ d’action possible revient, dans cette optique, à chercher à accroître les revenus dits de la Base « productive » correspondants aux revenus tirés de l’exportation de biens et services produits localement. Une telle stratégie privilégie une optique de développement plutôt exogène qu’endogène et constitue, bien souvent, la modalité d’intervention privilégiée des collectivités et de leurs partenaires en matière économique. Mais cette approche n’épuise pas l’étendue des modes de captation de revenus extérieurs puisqu’une part significative et grandissante des flux de revenus entrants sont indépendants des capacités productives du territoire. Ils proviennent du paiement des retraites et des salaires versés aux actifs résidant sur le territoire mais travaillant hors du territoire (les navetteurs), de la présence de résidents secondaires une partie de l’année, de touristes de passage... L’existence de ces revenus - dits de la Base « résidentielle » - qui irriguent les territoires indépendamment de leur capacité productive pointe, dès lors, l’intérêt d’ouvrir la réflexion économique sur les facteurs d’attractivité résidentielle et touristique des teritoires, dans une perspective de captation et/ou de rétention de ces revenus. Pour être complet, il faut aussi tenir compte des revenus tirés de la présence de fonctionnaires : il s’agit des revenus dits de la Base « publique » ; ainsi que de l’ensemble des revenus sociaux de transferts dont bénéficient les habitants (allocations chômage, aides sociales diverses,...) qui composent les revenus dits de la Base « sociale ». Le deuxième fait générateur : faire circuler sur le territoire les revenus captés à l’extérieur La création de richesses et d’emplois supplémentaires provient ensuite de la capacité du territoire à réinjecter les revenus captés à l’extérieur dans l’économie locale. Les revenus captés sur l’extérieur sont du pouvoir d’achat qui, par le biais de la demande en produits et services exercée par les résidents, permet de susciter à son tour de l’activité et des emplois dits « domestiques », selon un mécanisme keynésien bien connu de multiplicateur de dépense de consommation (les revenus dépensés localement suscitent la création d’emplois et de revenus qui sont eux-mêmes, pour partie, injectés dans l’économie locale, etc.). Les dépenses réalisées en dehors du territoire représentent à cet égard une évasion monétaire pour le territoire en question se traduisant in fine par un « manque à gagner » en termes d’activités et d’emplois locaux. Cette approche conduit alors à poser le regard sur les effets d’entraînement générés par les revenus présents sur le territoire. 06 Poids des différentes « bases » de revenus selon les zones d’emploi au niveau national - Moyenne des zones d’emploi Base publique : 8% Base productive : 17% Base résidentielle : 53% Base sociale : 22% Source : OEIL - AdCF, 2010 Poids des différentes « bases » de revenus selon les zones d’emploi de Champagne-Ardenne ts an n r lte lle s ue tie q n i st ve ide ue m uri és cti le o s r q t u e e d s d bli cia s se s o e r u o s a e s p s b ba ire l l ait ep e e en r a a a s s s p l t t t Ba Sa Re Dé To Ba Ba To a ts n a igr Vallée de la Meuse Reims Châlons-en-Champagne Epernay Marne-Moyenne Sud-Ouest-Champenois Troyes Haute-Vallée-de-la-Marne 21% 5% 27% 8% 39% 13% 27% 100% 24% 7% 23% 7% 37% 13% 25% 100% 21% 9% 25% 6% 40% 17% 22% 100% 36% 9% 22% 7% 38% 7% 20% 100% 21% 8% 28% 7% 43% 11% 25% 100% 22% 13% 25% 12% 50% 6% 21% 100% 24% 4% 26% 10% 41% 11% 24% 100% 21% 5% 29% 11% 44% 12% 22% 100% Source : OEIL, 2010 Les enseignements à la lecture du tableau Le poids des revenus dits « résidentiels » est dans toutes les zones d’emploi de Champagne-Ardenne inférieur à celui qui prévaut en moyenne au niveau national (entre 38% pour la zone d’emploi d’Epernay, et 50% pour la zone d’emploi du Sud-Ouest Champenois, contre 52,8% en moyenne au niveau national). \L’ÉCONOMIE RÉSIDENTIELLE : l’autre composante du développement local 07 PISTE DE RÉFLEXION À CREUSER Comment peut-on accroître le poids de ces revenus résidentiels dans les territoires de Champagne-Ardenne ? N.B. : En dépit d’un poids moindre dans l’ensemble des revenus locaux, ils contribuent de manière importante (à hauteur de plus d’un tiers jusqu’à la moitié suivant les territoires), à la formation des revenus locaux. C’est donc, à cet égard, un ressort potentiel de développement pour l’économie locale, à condition qu’ils soient réinjectés dans l’économie locale et qu’ils créent ainsi à leur tour de l’activité et de l’emploi (effet multiplicateur des revenus). PISTE DE RÉFLEXION À CREUSER Comment tirer le meilleur parti de la présence de ces revenus présents pour accroître leurs effets d’entraînement, via les dépenses de consommation, sur l’économie locale ? N.B. : Ce questionnement invite les acteurs publics à élargir le champ de leur réflexion stratégique généralement axée sur les conditions de la création de valeur en matière de développement économique et induisant en matière économique des actions de prospection d’investisseurs, de marketing territorial, d’aménagement de zone d’accueil économique,... - en intégrant une approche fondée sur la formation et la contribution de l’ensemble des revenus présents dans les territoires à la création d’activités et d’emploi. LES DIFFÉRENTES CATÉGORIES DE REVENUS COMPOSANT LA BASE RÉSIDENTIELLE Les flux de revenus liés aux migrations domicile-travail Une analyse des flux domicile-travail (entrants et sortants) peut permettre d’identifier les « manque à gagner » pour l’économie locale correspondant aux revenus générés localement mais ne participant pas à la formation du pouvoir d’achat et à l’emploi local via des dépenses de consommation qui se font, ailleurs, sur le lieu d’habitation. Au-delà d’une analyse des soldes de population entrants et sortants, une approche qualitative de ces flux, fondée sur une observation de leur ventilation par catégorie d’actifs (CSP, tranches d’âge, secteurs d’activité) peut permettre d’évaluer le niveau d’évasion du revenu lié à ces migrations quotidiennes. PISTES POUR L’ACTION Identifier les volumes et la nature des flux ; cibler les navetteurs que l’on souhaite fixer prioritairement sur le territoire ; adapter l’offre locale en services, logements, aménités territoriales pour attirer/retenir ces populations. EXEMPLE La Communauté de communes de Vitry-le-François cherche à développer une offre d’habitat ciblée sur les besoins des cadres d’entreprises locales pour les fixer sur le territoire alors qu’aujourd’hui, une part d’entre eux préfère s’installer à Reims ou Paris et fait la navette quotidienne pour se rendre sur son lieu de travail. 08 Les flux de revenus touristiques Les dépenses touristiques réalisées dans les territoires de Champagne-Ardenne participent à la formation du pouvoir d’achat local et à l’emploi local. A contrario, les dépenses touristiques effectuées par les populations champardennaises en dehors du territoire représentent un « manque à gagner » pour l’économie locale. Ces enjeux étant relativement bien pris en compte dans les stratégies généralement mises en œuvre, la captation de revenus touristiques n’en demeure pas moins un élément à intégrer dans l’analyse globale des flux de revenus, et un enjeu pour les économies territoriales de ChampagneArdenne qui restent largement débitrices au regard des flux de revenus entrants et sortants. PISTE POUR L’ACTION Mieux cerner les segments de clientèle à cibler en fonction des ressources que l’on est en capacité d’organiser et de structurer pour attirer les clientèles sur le territoire. EXEMPLE Le Pays Vitryat développe autour d’une ressource locale, le Lac du Der, une offre touristique et des capacités d’accueil en ciblant les clientèles touristiques de proximité (notamment belges). Les flux liés aux pensions de retraite Les migrations résidentielles Un nouvel habitant, au-delà du coût supplémentaire généré pour la collectivité, est aussi un consommateur potentiel supplémentaire (ou a contrario un consommateur en moins), c’est-à-dire un agent économique qui peut contribuer à engendrer plus ou moins d’activité économique localement. Or, les migrations résidentielles peuvent être à l’origine d’importants bouleversements démographiques et sociaux pouvant très largement impacter le niveau de pouvoir d’achat et les comportements de consommation : suivant qu’il est retraité, jeune actif père de famille, étudiant... , le nouvel habitant a non seulement un pouvoir d’achat variable (fonction principalement de son statut social et de son âge) mais aussi des besoins spécifiques et parfois nouveaux pour le territoire. PISTE POUR L’ACTION Au-delà de l’analyse du solde démographique, une analyse qualitative des flux peut permettre d’évaluer le potentiel économique d’activité associé à ces flux de populations entrant et sortant et orienter le déploiement d’une offre économique et de services spéicalisée en fonction des cibles de populations que l’on souhaite fixer prioritairement, et des potentiels de valorisation des revenus associés en termes de retombées en activités et emploi. EXEMPLE Suite à l’élaboration d’un schéma de développement des services, le Pays Vitryat a choisi de jouer la carte de l’innovation et de la spécialisation dans le domaine de la santé, avec la création d’une maison d’accueil rurale pour personnes handicapées psychiques âgées (labellisée Pôle d’excellence rurale) et d’une maison de retraite accueillant des malades d’Alzheimer (portée par un investisseur privé venu de l’extérieur). Ces équipements représentent pour le territoire l’opportunité de devenir un pôle de compétence de rayonnement régional, générateur d’activités et d’emploi. \L’ÉCONOMIE RÉSIDENTIELLE : l’autre composante du développement local