Sieyès confirmaient leur accord à Bonaparte. Ce dernier se laissa-t-il convaincre par la
description que Roederer fit de l'ancien secrétaire de Maupéou : "Il n'est entiché que d'une
chose : un gouvernement fort (...). Quand une fois il s'est engagé dans un parti, il y est fidèle,
et il n'existe pas un homme plus sûr (...). C'est un vieillard qu'on aimera à voir à vos côtés.
Vous êtes jeune, on se plaira à voir un modérateur dans votre collègue" ? Ce qui est certain,
c'est que Bonaparte se soucia peu du jugement de Talleyrand qui considérait Lebrun comme
"un paysan en sabots condamné aux escarpins". Le jugement du ministre des Relations
extérieures est relayé par celui de madame de Chastenay qui rendit visite à Lebrun, en 1801 :
"Je trouvai un homme âgé, d'un bel extérieur, d'un ton protecteur et paterne, mais auquel a
toujours manqué, selon moi, je ne sais quelle dignité. Chez lui, dans le plus riche salon, dans
ses manières, il m'a toujours paru quelque chose de sous-ordre et d'indéfinissable".
Le troisième consul.
Le 21 frimaire an VIII (12 décembre 1799), la France avait une constitution. Restait à lui
donner un exécutif. Les cinquante membres des commissions législatives provisoires, qui
avaient travaillé à l'écriture du texte, élirent les trois nouveaux consuls. Chaque commissaire
déposa un bulletin dans une urne. Le dépouillement allait commencer lorsque Bonaparte
interrompit les opérations. Se tournant vers Sieyès, il proposa de confier à l'ancien direc
désignation des consuls. Sieyès prit la parole et nomma : Bonaparte, Cambacérès et Lebrun.
Les derniers députés du Directoire applaudirent à tout rompre. Les bulletins furent brûlés sans
avoir été décomptés. Les journaux du 13 décembre 1799 purent écrire que la nouvelle
constitution et la nomination des consuls avaient été adoptées par acclamations. Charles-
François Lebrun devenait le troisième consul de la République française. Alors que
Cambacérès se voyait déléguer de larges possibilités d'intervention dans les affaires
administratives et judiciaires, Lebrun devint rapidement l'expert des questions financières
auxquelles Bonaparte, de son propre aveu, ne comprenait pas grand chose.
Rien n'importait plus au troisième consul que l'efficacité. C'est lui qui conseilla de prendre
Gaudin au ministère des Finances (il allait y rester quinze ans, un record) et, plus tard, Abrial
à la Justice. Il fit sortir de l'ombre Dufresne qu'il plaça à la direction du Trésor public et
Devaisnes, ordonnateur des comptes courants. Il poussa avec succès à l'élévation de Barbé-
Marbois jusqu'au ministère du Trésor. Il poussa à la création de la caisse d'Amortissement et
de la Banque de France, patronna la réorganisation des contributions directes et travailla au
redressement de la monnaie, sans oublier qu'il participait à tous les conseils et fut donc un des
acteurs-clé des réformes Consulat. Il n'y eut pas une décision financière ou économique de
quelqu'importance qui fut prise sans que le troisième consul donne son avis. Les travaux
essentiels de Guy Thuillier sur la création du franc germinal le montrent abondamment : avant
de décider dans ces matières techniques, Bonaparte exigeait un conseil, voire une approbation
de Lebrun.
Contrairement à Cambacérès, le troisième consul accepta de s'installer aux Tuileries, non loin
de Bonaparte, mais dans des appartements secondaires tandis que Napoléon et Joséphine
occupaient les appartements royaux. Cambacérès avait tenté de l'en dissuader : "C'est une
faute d'aller nous loger aux
Tuileries; cela ne nous convient point à nous, et, pour moi, je n'irai
pas. Le général Bonaparte voudra bientôt y loger seul; il faudra alors en sortir. Mieux vaut n'y
pas entrer". C'est exactement ce qui allait se passer, après l'élévation du Premier consul au
Consulat à vie. Mais, en dépit de cette tentative de se hisser -par son habitation officielle- au
niveau du nouveau maître, Lebrun comprit, comme son collègue, qu'il ne servirait à rien de
s'opposer à Bonaparte et qu'au contraire, on aurait plus de chance de l'influencer en se ralliant
franchement à lui. Il y eut bien entre les deux hommes quelques "moments chauds". Ainsi, un