Cadre d`intervention en matière économique: Esquisse de quelques

Janvier 2009
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Cadre d’intervention en matière économique:
Esquisse de quelques paramètres d’un nouveau modèle
Harvey L. Mead
Dans le processus de consultation pré budgétaire en cours, le mandat du Comité consultatif sur
l’économie et les finances publiques l’incite à chercher des orientations pour « accélérer la
reprise, faire en sorte que le Québec soit compétitif et créateur de richesse à moyen et à long
termes, permettre le retour à l’équilibre budgétaire et assurer un renforcement des finances
publiques à moyen terme »1. Dit autrement, le mandat est de viser dans ses recommandations la
croissance économique, réduire le fardeau de la dette, maintenir l’économie concurrentielle,
améliorer la productivité, cela en assurant le financement de services publics de qualité et en se
dotant d’infrastructures adéquates et renouvelées.2 C’est une sorte de quadrature du cercle,
motivée par une volonté de garder le modèle économique actuel en dépit de tout : le dépôt du
budget sera suivi d’un débat sur les finances publiques et l’avenir du Québec qui continuera
pendant longtemps.
1. Un contexte : l’échec du modèle économique actuel face à ses promesses
Il semble raisonnable de conclure à l’échec de ce modèle de développement en regardant les
origines des crises désastreuses de 2008-2009. Le mandat du Comité consultatif semble passer
outre toute remise en question du modèle. Pour caractériser cette remise en question, on peut
souligner que :
(i) 3 la croissance n’a pas livré le plein emploi promis;
(ii) la croissance n’a pas réglé le problème de la pauvreté, un de ses objectifs;
(iii) la croissance nous laisse avec une inégalité accrue alors qu’elle était censée
l’éliminer;
(iv) la croissance n’a pas tenu compte des externalités environnementales rendues à
des stades critiques;
(v) 4 les énormes budgets consacrés à la publicité pour la consommation de masse ont
amené une perte de la diversité et des valeurs culturelles;
1 Le Québec face à ses défis : Des services publics étendus, une marge de manœuvre étroite, de nouveaux défis à
relever (Gouvernement du Québec, décembre 2009) -http://consultations.finances.gouv.qc.ca/media/pdf/le-
quebec-face-a-ses-defis-fascicule-1.pdf
2 Pour ce dernier point, il s’agit de dépenses pour éliminer des déficits d’entretien engagées avant la récession, de
30 G$, et peut-être deux fois cela par après.
3 Suivant Peter Victor, Managing Without Growth (Edward Elgar, 2009), pour (i) à (iv).
4 Suivant l’énoncé de valeurs d’un nouvel organisme voué à des interventions en matière économique et dont
l’annonce officielle aura lieu le 4 février 2010.
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(vi) le modèle économique a mené à la concentration des populations dans les villes et
une déstructuration de régions entières, régions qui seront essentielles dans la
société transformée qui est à construire;
(vii) 5 il n’y a aucune corrélation entre le PIB et l’espérance de vie, au-dessus de
$18 000;
(viii) il n’y a aucune corrélation entre le taux d’alphabétisation et le PIB au-dessus de
$12 000;
(ix) le PIB n’a pas de corrélation avec l’inégalité au-dessus de $12 000.
(x) 6 la création de la « richesse » profite au premier décile de la population, tous les
autres en tirant de moins en moins de bénéfices, et entre 30 et 40% de la
population n’en tirant aucun bénéfice.
Finalement, et plus généralement, alors que les dettes financière et écologique représentent un
échec du modèle de développement, soulignant le coté négatif et illusoire de la croissance
inhérente dans l’approche économique qui inspire le mandat du Comité consultatif, ce mandat ne
porte que sur la dette gouvernementale, et ne soulève pas de questions sur le contexte mondial à
cet égard. Il n’y est surtout pas question de la dette écologique.
2. Les contradictions dans les orientations gouvernementales cherchant à éviter ce constat
Face à cette volonté de maintenir le modèle actuel dans les travaux du Comité consultatif et dans
les intentions du ministère des Finances, coûte que coûte et sans aucune référence à des leçons à
tirer des crises, nous voulons souligner les contradictions dans les orientations gouvernementales
associées à la consultation pré budgétaire et au mandat du Comité consultatif sur l’économie et
les finances publiques :
(i) la documentation met clairement en relief, directement ou via des références aux
travaux du FMI, que le PIB dans les années à venir va croître moins que le PIB
tendanciel de 2% des dernières décennies, résultat de l’impact permanent de la
récession et de l’arrêt de la croissance démographique7, mais le mandat vise à
dépasser le taux tendanciel8;
(ii) la documentation souligne que le développement basé sur l’endettement
(explicitement, celui du gouvernement) n’est pas une bonne approche, mais
propose de relancer la croissance (a) en stimulant les dépenses personnelles, alors
que le niveau d’endettement des ménages est déjà de 140% de son revenu
5 Et suivant Jean Gadrey pour (vii) à (ix) : « Croissance de la richesse économique ou « bien-être durable pour
tous » (février 2009) - http://www.alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey
6 Cf. René Morissette and Xuelin Zhang, Revisiting Wealth Inequality (Statistique Canada, décembre 2006) -
http://www.statcan.gc.ca/pub/75-001-x/11206/9543-eng.pdf Voir aussi le graphique présenté en Annexe du
présent document.
7 La croissance démographique augmente le PIB sans que cela ne représente aucune amélioration pour la
population déjà là, en ce qui a trait au développement, au-delà d’un seuil qui est dépassé depuis les années 1970.
8 Le premier fascicule du rapport du Comité consultatif semble ramener l’objectif en dessous du taux tendanciel.
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disponible9, et (b) en continuant à cibler des exportations vers les États-Unis, alors
que l’endettement massif de ce pays est reconnu, tout comme sa « croissance » sur
la base de cet endettement;
(iii) en même temps, l’intention manifeste de rechercher de nouveaux revenus via une
tarification des services et de nouveaux impôts ne peut que diminuer d’autant le
maintien des dépenses personnelles et entre donc en contradiction avec cette autre
intention de stimuler ces dépenses - à moins que ces nouveaux revenus ne viennent
exclusivement des riches;
(iv) le gouvernement a maintenu et maintient toujours l’évaluation de l’endettement
financier en fonction de son pourcentage du PIB, en s’y adaptant sans cesse au fur
et à mesure que la dette augmente et le PIB décroît, ce qui en fait une évaluation
qui ne s’explique pas10;
(v) le gouvernement ne reconnaît toujours pas, par le modèle économique qu’il suit, la
dette écologique et le passif associé à ces externalités - il souligne, à titre
d’exemple, que le coût pour arrêter les impacts des changements climatiques est
prohibitif et qu’il va falloir plutôt vivre avec les impacts, pour sauver
l’économie11.
3. Les conditions de base d’un autre modèle économique
Victor identifie certaines conditions d’un progrès possible12, d’abord en insistant sur des
évidences, évidences néanmoins toutes contraires aux objectifs du modèle économique actuel :
(i) la stabilisation de la population pour éviter que la « demande » ne s’accroisse13
(ii) une limitation du « throughput » associé directement à la consommation des
ressources qui est à l’origine de la dette écologique;
(iii) des mesures pour éliminer la pauvreté via une meilleure redistribution de ce qu’on
appelle « la richesse »;
9 Mark Carney, « Les enjeux actuels relatifs aux finances des ménages », (Gouverneur de la Banque du Canada,
décembre 2009) - http://www.banqueducanada.ca/fr/discours/2009/disc161209.html
10 Quant à la comparaison que fait le Comité consultatif comme élément fondamental de son analyse, voir le bloque
de Jean-François Lisée du 16 décembre 2009 pour une lecture tout autre http://www2.lactualite.com/jean-
francois-lisee/quebec-vs-ontario-un-bon-rapport-qualiteprix/1064/ .
11 Le Québec et les changements climatiques : Quelle cible de réduction d’émissions de gaz à effet de serre à
l’horizon 2020 (Gouvernement du Québec, octobre 2009) http://www.mddep.gouv.qc.ca/chang-clim/2005-
2020/cible2020.htm
12 Victor, op. cit., pour (i) à (vi).
13 La question démographique est fondamentale, même si elle n’est pas reconnue souvent, et certainement pas au
Québec, dont la population a spontanément agi néanmoins comme pionnière en la matière. Il est évident que la
vieillissement démographique a des conséquences importantes, sociales et économiques – le Comité consultatif y
consacre toute une section - mais celles-ci constituent des « effets pervers » jamais prises en compte quand la
population (et le PIB) croissaient, et qui restent toujours non prises en compte lors des réflexions sur l’idée
d’augmenter l’immigration pour y répondre. La section sur cette problématique dans le premier fascicule du
Comité consultatif ne sort jamais d’une réflexion limitée aux liens entre la croissance démographique et la
croissance économique.
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(iv) une semaine de travail réduite pour répondre aux stress imposés par le maintien du
modèle actuel qui, en visant la productivité, nécessite de nouveaux investissements
pour recréer les emplois ainsi éliminés.
Victor identifie également des contraintes peu reconnues, pour éviter une croissance non
souhaitable et pour mieux cibler les objectifs que le modèle actuel ne réussit pas à atteindre :
(v) une réduction de l’investissement et du recours à des innovations technologiques à
ce qui est requis pour le maintien des équipements, à part les innovations qui
peuvent respecter les quatre évidences;
(vi) une allocation des gains de productivité au loisir plutôt que vers la recherche de
nouveaux investissements et de nouvelles initiatives, qui sont en contradiction
avec les quatre évidences;
(vii) 14 et, plus généralement, une reconnaissance de l’impasse de la globalisation et de
l’effort de viser une compétitivité qui rejette les quatre évidences.
Le tout correspond à une diminution radicale de la consommation alors que la relance de cette
consommation est la clé de la « reprise » requise par le modèle actuel et souhaité par presque tous
les intervenants gouvernementaux et économiques15. Les travaux sur de nombreux indicateurs
alternatifs au PIB montrent qu’une telle diminution correspond à un niveau de progrès depuis
longtemps plafonné de toute façon.16 Les résultats de l’Indice de progrès véritable (IPV) des
États-Unis17 montre un exemple en comparant le PIB et l’IPV par habitant depuis 1950 :
14 Cf. Freitag et Pineault, Le monde enchaîné : perspectives sur l’AMI et la capitalisme globalisé (Nota Bene, 1999)
pour (vii).
15 Une exception intéressante est le document produit par l’Association des comptables généraux accrédités du
Canada, va l’argent : L’endettement des ménages canadiens dans une économie en déroute (2009) -
http://www.cga-canada.org/fr-
ca/ResearchAndAdvocacy/AreasofInterest/DebtandConsumption/Pages/ca_debt_index.aspx
16 Voir les nombreux travaux de Philip Lawn à ce sujet.
17 John Talberth et al., The Genuine Progress Indicator 2006; A Tool for Sustainable Development (Redefining
Progress, 2006) - http://www.rprogress.org/sustainability_indicators/genuine_progress_indicator.htm
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4. La situation actuelle est critique et sans précédent
De nombreux analystes insistent sur le fait que les conditions derrière la crise financière et la
crise économique qui en est résultée n’ont pas été corrigées par une réglementation et un contrôle
que tous semblaient reconnaître comme nécessaires. Ces crises qui risquent donc de se poursuivre
s’insèrent par ailleurs dans un contexte où d’autres crises, également planétaires, vont se faire
imposer à l’ensemble des populations humaines :
(i) crise énergétique (associée au pic du pétrole);
(ii) crise alimentaire (une rareté croissante de grains);
(iii) crise des pêches (avec l’effondrement de nombreux stocks);
(iv) crise de l’eau;
(v) crise des changements climatiques avec tout ce qui est impliqué par eux.
Bref, les crises écologiques et sociales sonnent la cloche sur le modèle économique. Lui-même
devrait être en interrogation de soi face à ces propres problèmes.
(i) La croissance est associée inéluctablement à une spéculation qui a laissé le secteur
productif en plan et qui menace la stabilité de toutes les économies, celles-ci ayant,
d’autre part, échoué face à leurs « promesses ».
(ii) Tout indique que cet ensemble de crises – dont un retour de la crise financière
dans l’absence de réglementation adéquate – constitue une menace qui risque de se
manifester de nouveau et à court terme.
Produit intérieur brut Indice de progrès véritable
Produit intérieur brut et Indice de progrès véritable
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