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www.prospectives-marine.fr n°11 – E - automne 2015
HISTOIRE ET MEMOIRE
LE 1ER BATAILLON DE TIRAILLEURS SOMALIS
L’entrée de la France en guerre en 1914, très vite bousculée par la rapidité de
l’avance allemande entrainant de lourdes pertes dans les lignes françaises, la
perspective d’une guerre longue et « totale » provoquent l’engagement massif de
l’Armée d’Afrique : dès septembre 1914, quelques 25000 tirailleurs algériens sont
engagés sur les frontières du Nord-Est.
Près de 280 000 soldats indigènes issus d’Algérie, de Tunisie et du Maroc viennent
combattre sur les fronts de France, du Moyen Orient, en Syrie, aux Dardanelles
contre les Turcs. D’autres Maghrébins concourent à l’effort de guerre dans l’industrie
et l’agriculture. Mais c’est tout l’Empire qui est sollicité : Indochinois, soldats
des « vieilles colonies » (Guadeloupe, Guyane, Réunion, Martinique) ressortissants
de nos possessions du Pacifique, de Nouvelle Calédonie, les Tirailleurs Sénégalais -
terme générique qui désigne un soldat noir de l’Armée d’Afrique et pas
exclusivement natif du Sénégal. Tous connaitront le prix du sang et paieront un lourd
tribut.
Cet effort de recrutement, plus ou moins forcé, est étendu aux « petites colonies »
de l’océan Indien, formées de territoires situés sur la côte des Somalis et dans
l’archipel des Comores, entre Madagascar et les côtes de l’Afrique de l’Est. Ces
soldats indigènes sont composés d’arabes du Yémen, de Comoriens, de Somalis.
Un statut en évolution
La présence française sur la Corne de l’Afrique s’inscrit dans une stratégie militaire et
commerciale destinée à contrer la puissance économique britannique. La lutte
d’influence économico-politique entre ces deux empires maritimes est âpre. La
France, solidement installée dès 1841 à Nossi-Bé depuis la conquête de cette ile
côtière de Madagascar, y a installé un port militaire et commercial. La même année,
le sultan de l’île cède à la France sa souveraineté sur l’île de Mayotte qui devient, de
fait, une colonie, statut confirmé deux ans plus tard par le gouvernement du roi
Louis-Philippe.
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Mais c’est principalement après le découpage et le partage de l’Afrique entre les
puissances européennes, lors de la conférence de Berlin en 1885, que la France
déploie son influence dans l’archipel des Comores. En 1886, la Grande Comore,
Anjouan et Mohéli deviennent des protectorats, placés sous l’autorité du gouverneur
de Mayotte qui conserve, elle, son statut de colonie. La loi du 25 juillet 1912
confirme l’unité des quatre îles en officialisant la colonisation des Comores. A la
veille de la 1ère Guerre mondiale, un décret de février 1914 rattache les quatre îles à
Madagascar, les transformant en « pendances » : les Comores perdent du même
coup leur autonomie administrative, ce qui aura des conséquences inattendues dans
la méconnaissance, voire l’ignorance de l’histoire des Tirailleurs comoriens.
Il faut attendre 1946, date de la réintégration des Comores dans l’Union française
avec le statut de Territoire d’Outre-Mer pour que l’archipel commence à renouer
avec sa mémoire. En effet, les soldats d’origine comorienne n’ont pas été engagés
dans des unités propres mais ont été versés soit dans le 12ème Bataillon de Tirailleurs
Malgaches, soit dans le 1er Bataillon de Tirailleurs Somalis. C’est ainsi que l’histoire
singulière, les destins individuels de ces hommes se brouillent, s’estompent et
disparaissent dans l’histoire englobante de ces glorieux bataillons.
La constitution du Bataillon de Tirailleurs Somalis
Ce bataillon est constitué en deux temps et avec deux composantes :
- un premier bataillon, le 6ème Bataillon de Marche Somali est formé le 11 mai 1916 à
Majunga à Madagascar à partir d’éléments recrutés sur la Côte française des Somalis,
aux Comores et sur la Corne de l’Afrique, appartenant aux 7ème et 8ème compagnies
du Bataillon Sénégalais de Madagascar. Placée sous le commandement du chef de
bataillon Fortin, l’unité embarque pour la France le 12 mai pour Fréjus elle
cantonne.
- Le 18 mai, les 5ème et 6ème compagnies du Bataillon Sénégalais de Madagascar,
basées à Diégo-Suarez, sont intégrées à leur tour dans le 6ème Bataillon de Marche
Somalis pour y former la 1ère et 2ème compagnies et rejoignent aussi Fréjus.
Le 10 juin 1916, ce bataillon prend le nom de 1er Bataillon de Tirailleurs Somalis
sous le commandement du capitaine Depuy. Il compte 8 officiers, 36 sous-officiers,
13 caporaux et soldats européens et 1194 sergents, caporaux et tirailleurs indigènes.
Après une période d’instruction, ces soldats rejoignent le front sur la Meuse près de
Verdun en juillet 1916. D’abord constitué en bataillon d’étapes, c’est à dire en
soutien des troupes de première ligne, leur principale occupation consiste à
entretenir les routes, les voies de chemin de fer, à ravitailler le front, à évacuer les
blessés. Les tirailleurs apprécient peu ces tâches : ils veulent combattre.
Cette revendication portée dans de nombreux rapports transmis par les chefs de
corps aboutit en octobre 1916 à la constitution d’une unité de marche rattachée au
Régiment d’Infanterie Coloniale du Maroc, le prestigieux RICM. L’affectation de
soldats coloniaux dans une unité combattante a surpris, compte tenu de leur relatif
sous-entraînement au combat et de la difficulté d’adaptation au climat. Cette
conception dite de « deuxième ligne de défense » était celle du colonel Mangin dans
l’emploi de la Force noire. Les soldats coloniaux auront à cœur de démontrer leurs
qualités au combat. Ces obstacles sont levés lors de l’hivernage entre novembre
1916 et le printemps 1917 à Saint-Raphaël, lieu de leur cantonnement le
bataillon va s’entrainer de façon intensive et percevoir du matériel et des armes
appropriées aux combats de première ligne.
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Le 21 novembre, l’arrivée d’un nouveau chef de corps, le chef de bataillon Bouet,
marque un moment important dans cette mutation. Ce chef aura des liens très forts
avec ses hommes et rendra plus tard un très bel hommage à ses
chers compagnons
d’arme du Bataillon Somali
dans son ouvrage « Historique du bataillon de tirailleurs
somalis pendant la guerre », paru en 1931. Il fait remonter leurs demandes,
rappelant que les Somalis ont été recrutés comme tirailleurs
en vue d’opérations de
guerre
, pas comme cantonniers.
De bataillon d’étapes à une unité combattante
Du 22 au 24 octobre 1916, désormais constitué en bataillon de renfort du RICM, le
1er BTS participe à l’assaut et à la reprise du fort de Douaumont. Les deux
compagnies engagées se distinguent « par le nettoyage rapide d’abris occupés par
les réserves allemandes. Cette action d’éclat a un fort retentissement. L’assaut des
lignes s’est fait au coupe-coupe ». Clémenceau, croisant des tirailleurs noirs de
retour du fort reconquis, leur dit toute son admiration :
ils revenaient avec des fusils
cassés, des vêtements en loque… magnifiques ! Et quand ils m’ont vu, ils se sont mis
à jouer la Marseillaise en tapant sur des morceaux de bois, des pierres. Je leur ai
parlé. Je leur ai dit qu’ils étaient en train de se libérer eux-mêmes en venant se
battre avec nous, que nous devenions frères, fils de la même civilisation Des mots
qui étaient tout petits à côté d’eux, de leur courage, de leur noblesse
. Pour cette
action, le drapeau du RICM reçoit la Légion d’honneur et sa 3ème citation à l’ordre de
l’armée. Les Tirailleurs Somalis pour leur part reçoivent la Croix de guerre avec
palme.
En mai 1917, c’est sur le front de la Somme et de l’Oise que le BTS va s’illustrer.
Lors de l’attaque du Chemin des Dames, il obtient sa première citation. Il participe
ensuite à la bataille de l’Aisne et remporte au sein du RICM la bataille de la
Malmaison le 23 octobre 1917. Le BTS est cité à l’ordre de l’armée. En mai-juin 1918,
c’est la bataille du Mont de Choisy et une deuxième citation, ce qui autorise le BTS
au port de la fourragère aux couleurs de la Croix de guerre. De nombreux officiers,
sous-officiers et soldats seront récompensés à titre individuel pour leur engagement,
totalisant 1160 citations (Cdt Bouet, op.cit).
D’autres combats, d’autres engagements se présenteront pour ce bataillon dont les
hommes sont venus de si loin combattre aux côtés de leurs camarades français et
qui désormais sont unis par le prix du sang. Le chef de bataillon Bouet détaille dans
son ouvrage les différents combats.
Bien que peu nombreux sur le théâtre des opérations, ces soldats ont acquis une
réputation de combattants efficaces. Nous l’avons vu : originaires des « petites
colonies » de l’océan Indien, leur recrutement géographique, tout comme leurs
pratiques au quotidien sont hétérogènes, diverses. Seule la religion musulmane les
relie.
Dans son ouvrage, le commandant Bouet dénombre 1700 hommes dont 1400
Somalis, 200 arabes du Yémen, 75 Comoriens, 25 Abyssins et Sénégalais. Au final,
cette diversité sera favorable au bataillon somali qui
s’est révélé troupe de choc
d’excellente valeur, qui a donné grande satisfaction
.
Une fois la guerre terminée, le retour ne s’est pas fait sans problèmes, liés bien sûr
aux blessures, aux maladies mais également à l’expérience du front et à la
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découverte de la « vie à la française ». Ainsi, un journal de la Grande Comore écrit
en 1919 à propos de soldats revenus à Moroni que
la désinvolture sans gêne,
l’injure à la bouche, l’éloignement des coutumes musulmanes, tout cela a produit
chez les sages qui réfléchissent une triste opinion de la civilisation occidentale
Le 1er BTS n’en avait pas fini avec l’Histoire
La Deuxième Guerre mondiale lui donne à nouveau l’occasion de s’illustrer.
La Côte française des Somalis rallie la France libre en décembre 1942. Elle fournit à
nouveau une unité de tirailleurs somalis qui revendique l’héritage du 1er BTS de la
Grande Guerre pour participer aux combats pour la libération de la France.
Après maintes péripéties et retards, le bataillon est reconstitué et équipé en Afrique
du Nord dès 1943. Intégré avec deux autres bataillons au Régiment de marche
d’Afrique équatoriale et somali, il rejoint le Détachement d’armée de l’Atlantique
commandé par le général de Larminat et est finalement dirigé vers les poches de
l’Atlantique pour y déloger les dernières mais ô combien redoutables forces
allemandes.
Le 2 avril 1945, sur la place de la Concorde à Paris, le général de Gaulle remet les
drapeaux aux régiments de l’armée française, en particulier le drapeau du 57ème
régiment d’infanterie coloniale au régiment de marche de l’Afrique équatoriale
française et somali. Quelques jours plus tard, le bataillon somali s’illustre avec le
Régiment de marche dans des combats exceptionnellement durs :
a mependant 7
jours dans la pointe de Grave du 14 au 20 avril, un combat exceptionnellement dur
contre un ennemi enragé à se défendre, allant jusqu'à se faire sauter sur place plutôt
que de se rendre, très fortement armé et appuyé sur des ouvrages cuirassés à toute
épreuve, couvert par un terrain d’inondation dont les passes étroites étaient
littéralement bourrées de mines. A tué 947 Allemands, pris 100 ouvrages bétonnés et
90 pièces de canon, fait 3 300 prisonniers. Fait d’armes qui mérite de prendre rang
dans les annales de cette guerre
(citation à l'ordre de la division attribuée au
Régiment de marche d’Afrique équatoriale française et somalie après les combats
pour la libération de la Pointe de Grave). Le BTS libère Soulac et le Verdon.
Le 22 avril 1945, lors d’une prise d’armes rassemblant l’ensemble des forces ayant
participé à la libération des poches du Médoc, le général de Gaulle accroche une
palme au fanion du bataillon, à côté de celle gagnée à Verdun en 1916 avec le RICM.
La Croix de guerre 1939-1945 décernée au BMS est accompagnée de la
mention : Bataillon qui, sous le commandement calme et énergique du chef de
bataillon Bentzmann a, par sa valeur, sa bravoure et son opiniâtreté, réussi le 15
avril 1945, le franchissement de vive force, sous le feu violent et ajusté de l’ennemi,
de la ligne d’eau du Gua, large de plus de 400 mètres. Par son habile manœuvre a
fait tomber les éléments de défense ennemis du Pont du Gua. Dans la journée du 18
avril a bousculé l’ennemi sur les fortes positions d’un fossé antichars et, d’un seul
élan, a enlevé le village du Vieux Soulac, ainsi que l’ensemble très fortement
bétonné et vigoureusement défendu des ouvrages constituant le poste de
commandement de la forteresse ennemie de la Pointe de Grave. Au cours de ces
deux journées de combat, a fait 300 prisonniers.
La reddition des armées allemandes les privent d’autres glorieux combats.
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Le 14 juillet 1945 , le bataillon défile dans les rues de Bordeaux qui acclament les
libérateurs de la Pointe de Grave avant de rentrer à Djibouti, après une guerre
courte mais intense.
Aujourd’hui, le 5ème RIAOM, stationné à Djibouti, est le gardien des traditions du
Bataillon de Tirailleurs Somalis.
DE L’HISTOIRE A LA MEMOIRE
La transmission de la mémoire combattante est au cœur de nos débats mémoriels.
Les premières commémorations du Centenaire de la Grande Guerre et celles du
70ème anniversaire de la Libération ont suscité des intérêts renouvelés pour ces
grands moments de notre histoire. A juste titre puisque la connaissance, la recherche
y trouvent leur compte.
Mais la mémoire ne peut s’écrire que sur la véracité historique.
C’est pourquoi, Le 21 septembre 2013 en l’Hôtel national des Invalides à Paris a été
créée l’Amicale pour la Mémoire des Tirailleurs Comoriens (AMTC), composante
importante du Bataillon de Tirailleurs Somalis, avec pour objectifs de :
- contribuer à la connaissance de l’histoire des tirailleurs comoriens ;
- commémorer la mémoire de ces soldats qui ont combattu et sont morts pour la
France durant les deux guerres mondiales ;
- leur donner la place qui leur est due dans la mémoire collective nationale.
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