Première partie Alexandre bouillait de colère. Ses yeux, dont le droit était d’un noir très foncé et le gauche bleu-vert, lançaient des flammes. Ses longues boucles blondes, séparées par une raie médiane, frémissaient sur sa tunique de pourpre. Près de lui, vêtu d’une tunique verte, les cheveux noirs aussi bouclés et les yeux bleus, Ephestion, son inséparable, partageait son courroux. Ils étaient nés le même jour de la même année, il y avait quinze ans. Leur beauté était différente, comme leur taille : Alexandre était plus viril et Ephestion plus grand. Arrivés la veille à Olympie, ils étaient ce matin, au lever du jour, dans l’hôtel de ville, en face du comité olympique. Derrière les dix juges, ils apercevaient l’ennemi de la Macédoine, qui prétendait faire exclure des jeux l’attelage du roi Philippe venu concourir pour les grands jeux : l’Athénien Démosthène, le fils du fabricant de . couteaux de Péanie, village de l’Attique. Cet orateur de quarante-cinq ans, aux traits sévères, à la barbe en pointe, à l’aspect disgracieux, mais dont l’éloquence était irrésistible, avait convaincu les juges que le père d’Alexandre, en assiégeant Périnthe et Byzance, villes alliées d’Athènes, avait rompu le traité de paix signé avec elle et violé la trêve olympique. (( Ce barbare, avait-il dit, ce destructeur de villes grecques, sorti d’un pays misérable qui ne put jamais fournir seulement un bon esclave, a déjà usurpé la présidence des jeux Pythiens et il cherche à mettre la main sur ceux d’Olympie, par l’intermédiaire de son fils. Renvoyons ce gamin à Delphes, où il pourra danser nu quelque danse lascive en l’honneur du dieu. Nous n’avons que faire ici de ses chevaux, de ses cochers, de ses soldats et de son mignon. Que le comité olympique se montre digne de Jupiter Olympien : qu’il restaure les lois de la Grèce et ROGER P E Y R E F I T T E 8 donne une leçon à cette dynastie qui en est le fléau. 1) Par six voix sur dix, le conseil s’était rallié à cet avis. (( Infâme! s’écria Alexandre, qui tendait le bras vers Démosthène comme s’il tenait une épée. Toi que, depuis ton enfance, on surnomme (( Derrière », tellement tu as abusé de ton corps! toi qui as installé ton mignon Cnosion au domicile conjugal et que ta propre épouse fait cocu avec lui ! Toi qui as ruiné Aristarque, dont tu étais l’amant et dont tu soutirais l’argent, même lorsqu’il eut été exilé !... Est-ce que tu t’es prostitué jadis à ces vénérables juges pour les avoir trompés à ce point? 1) Le comité olympique sourit de ces mots avec indulgence. (( Le petit jeune homme de Pella n’a pas l’éducation athénienne », fit Démosthène ironiquement. Alexandre tapa du pied avec rage, contre le sol de marbre, mais il avait pâli : Démosthène le touchait au point sensible en citant le nom de la caoitale de la Macédoine, qu’il avait qualifiée, dans un de ses discours, de bourgade chétive et inconnue ».Voyant l’effet produit, l’orateur voulut le renforcer : (( Citoyens juges, ajouta-t-il au comité, pardonnez à ce gamin de contester vos suffrages. Les barbares n’ont pas l’habitude de la démocratie. - Chien ! dit Alexandre. Tu oses répéter en ma présence l’injure que tu as adressée à mon père ! Je descends d’Hercule par lui et d’Achille par ma mère, qui est sœur du roi d’Epire et des Molosses, et ta mère à toi descend d’un barbare, d’un Scythe! Et c’est Hercule qui a fondé les jeux Olympiques. - Je reconnais, fit Démosthène avec la même ironie, que mon ascendance est plus facile à prouver que la tienne. Hercule et Achille à part, ni les Molosses ni les Epirotes ni les Macédoniens n’étaient considérés comme Grecs au temps de Périclès et n’étaient admis aux jeux Olympiques. - Menteur! dit Alexandre qui ne pouvait commencer toutes ses réponses que par une violente exclamation. Le roi d’Epire, Tharypas, arrière-grand-oncle de ma mère, eut la citoyenneté d’Athènes, comme mon ancêtre paternel, le roi de Macédoine Alexandre Ier, qui portait le surnom d’Ami des Hellènes, et c’était au temps de Périclès. - I1 n’était donc pas un Hellène, dit l’orateur. - Insolent! répliqua Alexandre. I1 vint concourir en personne à Olympie, prouva qu’il était Argien d’origine et arriva second à la course du stade. Enfin, un cheval de mon père remporta le prix, le jour même de ma naissance. Un de ses chars avait précédemment gagné. - C’est vrai, ô Alexandre, dit un des juges, et Démosthène s’est trompé. - Son ignorance est égale à son impudence, dit Alexandre. Hérodote, qui a lu son Histoire aux jeux Olympiques, y écrit expressément, au sujet du premier Perdiccas, du premier Amyntas et du premier Alexandre de Macédoine : Ils se disent Hellènes et je suis en mesure de savoir que (( (( La jeunesse d’Alexandre 9 c’est vrai et je le démontrerai. Et il le démontre, ô Démosthène, Scythe de Péanie. n Le comité pria l’orateur de s’éloigner vers le fond de la salle et délibéra à voix basse. Ephestion s’était agenouillé pour renouer le lacet de cuir d’une des sandales d’Alexandre, qui s’était défait quand il avait tapé du pied. Le jeune garçon reformait amoureusement l’entrelacs rouge sur le cou-de-pied et sur la cheville, puis sur le bas de la jambe. Au-dessus du dernier tour, un triple cercle d’or serrait le mollet. Un cercle semblable serrait la jambe d’Ephestion, qui baisa celle d’Alexandre, avant de se relever. Les deux amis s’étaient apaisés : ils comprenaient que la défaite de Démosthène se préparait. Celui-ci le comprit également. Méfie-toi, fils de Philippe, cria-t-il du fond de la salle, tu n’es qu’un lionceau et votre ami Eschine m’appelle un lion. 1) Le nom de l’orateur rival de Démosthène et représentant des intérêts de Philippe à Athènes, retentit comme un autre signe de bon augure pour la Macédoine : leurs joutes dans l’assemblée du peuple, sous les murs de la citadelle, étaient fameuses et Démosthène n’avait pas été constamment le vainqueur. La voix limpide d’Ephestion éclata. La noblesse de sa naissance et ses sentiments pour Alexandre lui inspiraient peut-être encore plus de mépris et de colère qu’à lui. Fils de coutelier, cria-t-il à l’adresse de l’illustre Athénien, tu es un lion en paroles et Alexandre sera un lion en action. Tu ignores sans doute que, lorsque sa mère était enceinte de lui, Philippe rêva qu’elle avait sur le ventre le sceau d’un lion. Le devin Aristandre de Telmesse interpréta ce songe en disant que l’enfant qui naîtrait, aurait, comme son ancêtre Achille, un cœur de lion. n Pour le remercier, Alexandre baisa Ephestion sur la bouche. I1 s’enorgueillissait de ce rêve de sa mère, parce que celle de Périclès avait rêvé qu’elle enfantait un lion. Mais Alexandre comptait bien dépasser la gloire de Périclès. Citoyens juges, déclara-t-il, j’ai oublié de dire quelque chose : le roi, mon père, m’avait prié de vous annoncer qu’en souvenir de ses deux victoires, à la course des chars et à la course à cheval, aussi bien que pour commémorer les victoires de ses armes, il construirait un monument de notre famille dans l’enceinte de votre sanctuaire. Les plans en sont déjà faits. Ce sera une rotonde à colonnades, avec cinq statues grandeur nature, en or et en ivoire, la sienne, la mienne, celles de ma mère Olympias, de mon grand-père Amyntas et de ma grand-mère Eurydice. Elles sont déjà commandées à Léocharès, et elles iront à Delphes, si elles ne peuvent plus venir à Olympie. v L’argument parut d’un autre poids que la question de savoir si Philippe avait rompu ou non la trêve olympique. Le chef des juges se pencha vers ses collègues pour leur parler à l’oreille; puis, malgré les protestations de quelques-uns, il dit à Alexandre : Les suffrages que nous )) (( (( (( (( 10 ROGER PEYREFITTE avons exprimés, n’ont pas été pris sur l’autel, ce qui ne leur a pas conféré un caractère sacré. Après avoir invoqué le dieu et fait un second sacrifice, nous allons effectuer un second vote, pour lequel ne nous manquera pas sa lumière et devant lequel, par conséquent, tous devront s’incliner. - Je l’accepte d’avance )) dit Alexandre, en jetant à Démosthène un regard ironique. L’Athénien devina qu’il avait perdu la partie ;mais il dissimula sa fureur, pour ne pas compromettre la faible chance d’un sursaut de dignité chez les juges. (( Je souhaite, leur dit-il seulement, que le dieu soit aussi favorable à l’honneur de la Grèce et au vôtre que la première fois. )) Malgré ces mots piquants, il lui était difficile de rien ajouter sans provoquer de nouvelles réactions d’Alexandre. I1 lui était impossible, en tout cas, de s’élever contre un argument, même spécieux, d’ordre liturgique. Alexandre, sur les lèvres de qui était revenu le sourire, voulut achever d’écraser son adversaire par l’étalage de sa richesse, sous le couvert de la religion. Je suppose que cet homme, dit-il en le désignant, m’a devancé pour invoquer le dieu. C’est maintenant à moi de faire un triple sacrifice qui précédera le second vote et, si mon char gagne la course, je sacrifierai cent bœufs à Jupiter. Ce seront vraiment cent baeufs, comme me l’a commandé mon père, et non pas cent bœufs de nom, ainsi que dans les hécatombes célébrées à Athènes, où il n’y en a que dix et parfois un seul. - Les Grecs, disait Démarate à Xerxès, sont pauvres, mais vertueux », rétorqua Démosthène. - Tu en es bien une preuve, dit Alexandre, toi qui es cousu d’or et de (( (( vices. - Va, fils de Philippe, dit le chef des juges. T u as tout loisir, car notre cérémonie, à laquelle nous devons seuls participer, sera aussi longue que la tienne. n Tant de déférence envers Alexandre indiquait déjà que le vote était acquis et que l’on aurait pu s’en dispenser. Démosthène, prenant un pan de son manteau avec sa main aux doigts chargés de bagues, se couvrit la tête à demi, en signe de deuil, et quitta la salle par une porte dérobée. Vite, par Hercule! dit Alexandre à son petit esclave et à celui d’Ephestion. Allez chercher nos tuniques blanches pour le sacrifice. Les deux garçons, Epaphos et Polybe, qui avaient le même âge que leurs maîtres, et qui avaient entre eux la mê:me intimité, leur étaient dévoués plus que personne : quand des marchands d’Asie mineure vinrent les vendre à Philippe, son fils, qui avait donné l’un d’eux à son ami, avait refusé de les laisser marquer au fer rouge. Ephestion et lui les aimaient bien, comme de jolis animaux domestiques. La maison de leur hôte Cléotime était toute voisine de l’enclos du sanctuaire, près de la colline de Saturne. Ce riche marchand, l’un des principaux citoyens de l’Elide, avait visité, dans sa jeunesse, la cour de Macédoine et avait été le mignon de Philippe. C’est la première fois qu’il (( )) 11 La jeunesse d’Alexandre revoyait Alexandre depuis son enfance et il lui vouait une adoration, égale à celle qu’il avait eue pour son père. I1 avait été aussi indigné que lui en apprenant le mauvais tour que leur jouait Démosthène et dont la notification avait été faite à Alexandre la veille au soir, quand il était arrivé. Or, les chevaux de Philippe étaient, selon la règle, entraînés à Olympie depuis un mois. La manigance avait été préparée à l’insu de tous et le résultat en avait été différé au dernier moment pour le rendre public devant la Grèce réunie. Jaloux de la fortune de Cléotime, les juges lui avaient gardé le secret. Alexandre avait voulu leur répliquer sans le secours de personne, afin de montrer que, dans un lieu où il n’était jamais venu, il n’avait besoin que de son nom et de la gloire de son père. I1 avait même refusé d’être accompagné de son ancien précepteur Léonidas, cousin de sa mère, lequel lui servait de guide dans ce voyage. Celui qu’Alexandre et Ephestion affublaient de l’épithète de grave », comme celles des héros d’Homère, était resté chez Cléotime avec les soldats de l’escorte. Tout courant, Epaphos et Polybe arrivaient. ils retirèrent à leurs maîtres les tuniques de couleur. Selon son usage, Epaphos s’exclamait avec admiration devant une nudité qu’il pouvait cependant contempler plusieurs fois par jour. Que tu es beau, mon maître ! disait-il. Tu descends d’un dieu, tu es un dieu et tu seras un dieu. )) A quelque distance, le comité olympique, qui attendait, pour sa propre cérémonie, le départ d’Alexandre, regardait cette scène avec intérêt. Ce qui plaisait à Alexandre et à Ephestion, c’est qu’ils étaient solides comme des athlètes et qu’on pouvait les appeler beaux sans les faire rougir. Epaphos et Polybe avaient apporté aussi des sandales à lacets blancs. I1 leur fallut un moment pour nouer ces lacets, puisqu’ils faisaient le nœud d’Hercule. C’est l’ancêtre d’Alexandre qui en était l’inventeur : il y avait deux boucles, dont l’une passait en dessus et l’autre en dessous du cordon. Ephestion avait procédé plus sommairement pour le lacet rouge d’Alexandre ; mais la différence, c’est qu’Epaphos ne prenait pas la liberté de lui baiser le mollet. Ils sortirent. (( Tes cent bœufs, dit Ephestion à Alexandre, ont mis en déroute l’armée athénienne. Je crois que ce qui a le plus humilié Démosthène, c’est ton allusion à l’imposture des hécatombes. - Voilà ce que c’est d’avoir pour précepteur Aristote, dit Alexandre : nous sommes bien renseignés sur les Athéniens. Quelle chance que mon père leur ait enlevé le plus grand de leurs philosophes, pour le restituer à la Macédoine dont il est originaire! L’allée où ils marchaient d’un pas léger bordée de chênes, de peupliers et de statues, menait au temple de Jupiter. C’est là, au bas des marches, que les trois grands prêtres en exercice, avertis de la célébration demandée par Alexandre, l’attendaient pour le conduire à l’autel. Malgré l’heure matinale, il y avait déjà beaucoup de monde. Les jeux ne devaient commencer que dans quelques jours, le lendemain de la pleine lune de (( (( )) 12 ROGER PEYREFITTE juillet, mais les visiteurs devançaient cette date : ils suivaient les courses et les exercices d’entraînement et se divertissaient dans l’immense foire organisée à cette occasion. Ceux que l’on croisait, revêtaient, soit les divers costumes des peuples grecs, soit ceux des barbares : n’importe qui assistait aux jeux, même les esclaves, bien qu’il ne fût permis qu’aux Grecs de concourir. Les longues robes chamarrées des Perses et des Egyptiens se mêlaient aux manteaux des Hellènes et à leurs tuniques qui laissaient voir les jambes nues. Comme on était à l’ombre, rares étaient les couvre-chefs, - principalement des chapeaux de feutre à grands bords, mode qui venait de la Macédoine, comme celle des courtes tuniques. La plupart étaient pieds nus, mais on voyait aussi toutes les espèces de chaussures, depuis le brodequin des Crétois jusqu’aux socques à bouts recourbés ou aux bottines en cuir souple des Orientaux, des Macédoniens et des Thraces. Les Etoliens étaient reconnaissables à leur habitude singulière, qu’ils prétendaient excellente pour la course, d’avoir le pied gauche chaussé et le droit nu. Les statues, dont Alexandre et Ephestion n’avaient jamais vu un tel nombre, - on en comptait plus de trois mille dans l’enceinte du sanctuaire, - semblaient faire partie de la foule, tant elles étaient vivantes, mais presque toutes étaient nues. Les marbres donnaient particulièrement cette illusion : à chaque olympiade, des artistes les recouvraient d’un enduit qui leur rendait les couleurs de la chair, des yeux et des cheveux. On dévisageait Alexandre et Ephestion. Cela ne les intimidait pas. Ils étaient fiers de leur prestance, fiers aussi de leur élégance. Ils n’avaient pas seulement des cercles d’or au mollet, mais trois bagues à la main gauche. Celles d’Alexandre étaient une améthyste représentant un mufle de lion (le Lion était le signe de sa naissance), une émeraude représentant un phallus (cadeau de sa mère, pour le mettre sous la protection de Bacchus, dont c’était le symbole), et une aigue-marine représentant Hercule imberbe. Les bagues d’Ephestion montraient, dans des pierreries moins précieuses, un lion, puisqu’il était né, lui aussi, le 28 juillet, l’initiale de son nom et l’Amour bandant l’arc. Toutes ces gravures étaient de Pyrgotèle, habile artiste athénien qui travaillait pour Philippe à Pella. Alexandre et Ephestion répondaient au salut de leurs compatriotes, qui leur donnaient le sentiment d’être moins isolés. Ils feignaient de ne pas entendre les plaisanteries obscènes des Athéniens, que renvoyaient allègrement leurs esclaves. Cependant, Alexandre frémissait parfois. (( Je t’en prie, disait Ephestion, n’écoute pas ces mangeurs d’oignons. T u sais le proverbe : a La fumée cherche les beaux. D Ils riaient néanmoins des injures choisies par Epaphos et Polybe et qui étaient puisées dans le vocabulaire d’ Aristophane et d‘autres comiques. N Si Démosthène était là, dit Alexandre, il verrait que même nos esclaves ont reçu l’éducation des Athéniens en écoutant les pièces de leurs auteurs. n Par dérision, quel)) 13 La jeunesse d’Alexandre qu’un jeta à Alexandre une pomme après l’avoir mordue. I1 s’amusa de cet hommage, même impertinent, puisque les amoureux jetaient de ces fruits mordus à leurs aimés ou aux courtisanes, pour signifier qu’ils voudraient bien mordre aux pommes de leur corps. Un jeune homme d’une vingtaine d’années, couronné de fleurs, l’air arrogant, lui barra le passage. (( Écarte-toi devant Alexandre de Macédoine, lui dit Ephestion. - Je peux prétendre aussi au titre de prince, dit ce jeune homme : je suis Nicolas de Strate, descendant des rois d’Acarnanie, et mes ancêtres étaient des rois grecs, quand les Macédoniens n’étaient que des barbares. n Alexandre se demanda un instant si Démosthène avait aposté ce garçon pour insulter de nouveau à son origine. Mais il n’était pas à Olympie pour se colleter avec un inconnu, même descendant de rois. I1 se contenta de lui cracher au visage. La réplique similaire de 1’Acarnanien fut immédiate, mais Ephestion, s’interposant, reçut le crachat du jeune homme. Les deux amis allaient bondir sur lui. Les gardes du sanctuaire accoururent pour les calmer. L’insulteur fut repoussé brutalement, malgré son ascendance royale. (( Par Hercule, je le retrouverai, dit Alexandre : la ville de Strate est une alliée de mon père. I1 en coûtera cher à ce Nicolas. Mais je sais gré à ceux qui nous ont empêchés de nous battre. D I1 prit un mouchoir de lin dans un petit sac que portait Epaphos et essuya le visage d’Ephestion. Les mouchoirs étaient nouveaux à la cour de Macédoine et Philippe avait encore la coutume grecque de se moucher dans ses doigts. Aristote ne se mouchait pas autrement lorsqu’il était arrivé d’Athènes. C’est Olympias qui avait raffiné son entourage à cet égard, d’après les lumières d’une de ses esclaves orientales. Elle avait aussi fait adopter l’éponge dans les latrines, au lieu des pierres ou des feuilles avec lesquelles se torchaient les Macédoniens, comme les Athéniens ; Aristophane raillait ses compatriotes d’utiliser les feuilles d’ail. Qui aurait cru, dit Alexandre, qu’un Acarnanien se conduirait avec nous comme un goujat ? Philippe d’Acarnanie est mon médecin et Lysimaque d’Acarnanie a été notre premier précepteur. - I1 t’avait donné avant moi le nom d’Achille, dit Ephestion, et il avait pris celui de Phénix pour mieux ressembler au gouverneur de ton ancêtre. - Phénix conducteur de chars », dit Alexandre citant Homère. Les trois grands prêtres de Jupiter, vêtus de blanc, un voile blanc sur les épaules, la tête ceinte de feuilles de chêne en l’honneur du dieu, se hâtèrent au-devant d’Alexandre, pour lui faire oublier l’incident dont on venait de les instruire. Ils se montrèrent d’autant plus empressés qu’ils étaient des Achéens de Phtiotide, patrie d’Achille et possession de Philippe, l’intendance du sanctuaire d’Olympie appartenant aux Grecs de cette région. Sur leurs robes, étaient brodés en lettres d’or les noms de ceux qui en avaient fait présent au temple, dont le célébrant tenait la clé à la main. Derrière eux, étaieni ouvertes les trois grilles et les portes de bronze (( ((